Des chrétiens majoritaires en Jamaïque
Comme toutes les autres îles des Caraïbes, la Jamaïque est très religieuse. Les chrétiens sont majoritaires dans le pays, représentant 64,2 % de la population, notamment les Protestants (62 %) incluant l’Eglise adventiste du 7e jour (12 %), l’église Pentecôtiste 11 %, l’Eglise de Dieu (9,2 %), Nouveau Testament Eglise de Dieu (7,2 %), les Baptistes (6,7 %) et autres méthodistes et anglicans. Les catholiques sont seulement 2,2 %. Les églises protestantes se sont développées au cours du XIXe siècle grâce à l’implication des pasteurs dans la cause noire. C’est l’héritage de la colonisation britannique. Les Eglises et les sectes représentées sont nombreuses. L’anglicane est la plus ancienne, la baptiste, la méthodiste, la morave, la presbytérienne, l’orthodoxe éthiopienne sont pratiquées partout dans l’île. Les nouvelles églises adventistes et pentecôtistes, ainsi que les Témoins de Jéhovah comptent également de nombreux adeptes. Même les Eglises les plus traditionnelles ont intégré des éléments de culte d’Afrique occidentale.
Des cultes afro-caraïbes persistants
Les cultes africains sont eux aussi présents dans l'ADN des peuples déportés en Jamaïque. Les Noirs venus majoritairement d’Afrique de l’Ouest et centrale ont apporté avec eux l’islam et l’animisme. Apparu dans les années 1860, le Revival est le plus puissant de ces courants. Le Pocomania et la Kumina sont des cultes animistes de la Jamaïque du XIXe siècle encore pratiqués de nos jours. Les Maroons pratiquent des cultes kumfu hérités aussi d'Afrique de l'Ouest. La musique et la danse du culte africain myal se retrouvent dans les cérémonies. Transes, danses, chants et tambours permettent de faire appel aux esprits et à leurs pouvoirs bénéfiques ou maléfiques. Les sacrifices d’animaux font également partie du rituel. La croyance dans l’Obeah (vaudou jamaïcain), « l’esprit », est maintenant très réduite mais existe toujours.
Le rastafarisme, un mouvement politico-religieux
Ce mouvement afro-nationaliste est né dans les années 1930, il se fonde sur les principes de l’Eglise orthodoxe éthiopienne. Le retour vers l’Afrique, terre légitime de tous les Africains d’origine, va donner aux Jamaïcains noirs une identité culturelle spécifique. Plusieurs thèses s’affrontent quant à la naissance de la religion rastafarienne. De multiples influences bouillonnent sur fond de crise économique et sociale aiguë. Certains s’accordent à reconnaître en Althyi Rogers, originaire d’Anguilla (qui se suicidera après avoir fondé une église en Afrique du Sud), le père spirituel du rastafarisme. Son commentaire de la Bible, Holy Pibi, publié aux Etats-Unis au début des années 1920 aura une grande influence sur l’origine de la religion. Une prophétie, « Regardez vers l’Afrique, quand un roi noir sera couronné, le jour de la délivrance sera proche », se diffuse. D’autres acteurs entrent en scène dans les années 1930 : Leonard Percival Howell, Archibald Dunkley, Nathaniel Hibbert, qui vont identifier l’empereur d’Ethiopie comme le nouveau dieu. Marcus Garvey est une figure fondatrice de la théorie du retour en Afrique pour les Afro-Américains et il est considéré aujourd'hui comme son fondateur majeur, bien qu'il soit difficile d’identifier qui fut le premier d’entre eux. Peu à peu, la religion prend forme et le texte devenu sacré codifie le mode de vie des rastafariens.
Ras tafari, le roi des rois
C’est à la plus vieille dynastie du monde, descendant de Menelik, fils du roi Salomon et de la reine de Saba, qu’appartient l’empereur d’Ethiopie, le Ras Tafari Makonnen. Cette lignée biblique de monarques ne s’est jamais interrompue lorsqu’il naît le 23 juillet 1892 en Ethiopie à Ejersa Goro, dans la région Oromia. Unique survivant d’une famille de huit enfants, il reçoit à treize ans le titre de Dejazmach, commandeur de la porte. Il est investi le 2 novembre 1930 sous le nom de Hailé Sélassié Ier (puissance de La Trinité). Il va cristalliser les espérances des nouveaux initiés, réalisant la prophétie. Le Négus, le roi des rois, seigneur des seigneurs, lion de la tribu de Judas, ne connaît rien de la Jamaïque, mais il a réalisé la prophétie biblique reprise par Marcus Garvey. Il fait désormais figure de messie pour les Jamaïcains qui vont se déclarer rastafariens soumis à Ras Tafari, leur nouveau chef divin. Il devient le messie de la religion naissante. C’est lui, le dieu incarné, qui doit ramener la diaspora noire au royaume biblique de Saba, terre de leurs ancêtres.
Chef d’Etat avisé et visionnaire, il propulse l’empire médiéval d’Ethiopie dans le monde moderne et dirige son pays vers la démocratie avec force réformes telles l’abolition de l’esclavage, la création d’un Parlement, l’institution du droit de vote et des réformes agraires. A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, il a eu le courage de prendre la parole devant la Société des Nations pour dénoncer ouvertement la montée du fascisme et du nazisme. Il a pris une part active à la création des Nations unies. Il mourra assassiné en 1975 lors d’un coup d’Etat.
L’un de ses discours exprimant l’essentiel de sa pensée philosophique et politique a été immortalisé par Bob Marley qui l’a mis en musique : « En attendant que la philosophie qui tient une race supérieure sur une autre inférieure ne soit définitivement discréditée et abandonnée, tant qu'il y aura des citoyens de première et de deuxième classe dans chaque nation, tant que la couleur de peau d'un homme a plus de signification que la couleur de ses yeux, et tant que les droits fondamentaux de l'homme ne sont pas garantis pour tous, sans considération de race... jusqu'à ce jour, le continent africain ne connaîtra pas la paix » (War, tiré de l’album Rastaman Vibration). Les premiers prêcheurs rasta, issus des communautés paysannes les plus pauvres de l’île, commencent à propager la doctrine.
La lutte armée et la persécution
De nombreuses communautés rasta vont voir le jour, avec autant de meneurs et de courants idéologiques. Certaines vont flirter avec la violence et le rastafarisme connaîtra même une branche armée. La communauté du Pinnacle, dirigée par Leonard Percival Howell, s’établit près de Spanish Town en 1940. C’est là que vont se mettre en forme les pratiques religieuses rastas inspirées en partie des règles des ashrams indiens. Mort en février 1981, ce grand leader rasta est considéré comme le premier rasta (lire Le Premier Rasta, de Hélène Lee). Cette communauté attire les foudres de l’administration et les raids de la police finiront par en avoir raison.
Dans les années 1950 et 1960, les rastas sont malmenés et persécutés. Ils vivent retirés dans les collines de l’intérieur de l’île d’où ils jettent l’anathème sur Babylone, la civilisation blanche. Malmenées, attaquées, décimées, les communautés rasta survivent malgré les assauts policiers. Les autorités liquident l’un des principaux bastions en 1954. Les rastas se dispersent dans les ghettos de la capitale, lieu propice à la propagation de leur philosophie de justice sociale et de dignité noire. Dans les années 1970 naît un courant de sympathie à leur égard car la répression policière frappe sans discernement. C’est l’époque où la musique jamaïcaine se fait entendre au-delà des frontières naturelles de l’île. Beaucoup de musiciens sont rastafariens ou en ont l’allure. Commence alors une ère de normalisation de la religion internationalisée par le succès grandissant de Bob Marley, figure légendaire du reggae.
Dreadlocks, reggae et végétarisme
Pacifiques de nature, les Rastafariens vivent dans la pauvreté une existence de méditation et de contemplation. Plutôt que de travailler au service de Babylone, la civilisation blanche qui les a asservis, c’est-à-dire l’ordre établi, ils ne travaillent que pour subvenir à leurs besoins essentiels, le plus souvent en cultivant des petits lopins de terre dans la montagne. Ils croient à la réincarnation et sont végétariens ; ils ont développé la nourriture I-Tal, naturelle et vitale. Les trois couleurs rastas – le rouge pour l’Eglise triomphante ou le sang versé en Afrique, l’or pour la richesse de l’Afrique, le vert pour les prairies d’Afrique – sont elles aussi omniprésentes dans les tenues vestimentaires, signe d’appartenance aussi évident que les dreadlocks.
L’origine de la coiffure rasta n’est pas clairement établie. Imitation des coiffures massaï ou des chevelures des Indiens ? Allusion à la coiffure de Samson ? Les rastas portent leur chevelure naturelle sans la coiffer ni la couper, et l’entretiennent avec des éléments naturels (aloé vera notamment). Les dreadlocks, les tresses des rastas, peuvent prendre des proportions étonnantes et sont parfois, pour plus de commodité, enfermées dans des bonnets de laine, les tams, ou de hauts couvre-chefs juchés telles de massives tours au sommet du crâne du rasta. Aujourd’hui, les rastas sont très minoritaires et il ne faut pas confondre les jeunes rastas d’opérette affichant les trois couleurs et les dreadlocks qui paradent dans les zones touristiques avec les vrais pratiquants. Les dernières communautés vivent retirées dans les Blue Mountains, à l’écart de la vie urbaine. On peut d'ailleurs en visiter quelques-unes ouvertes aux curieux, comme le Rastafari Indigenous Village près de Montego Bay.
La ganja, herbe sacrée et produit d’exportation
Au lendemain de l’émancipation, il faut remplacer les anciens esclaves des plantations. Des Indiens sous contrat sont amenés dans l’île au cours du XIXe siècle pour travailler sur les plantations. Ce sont eux qui introduisent la ganja dans l’île, une herbe originaire des rives du Gange. Cannabis sativa, de son nom botanique, est considérée par les Indiens comme une plante sacrée. Les planteurs britanniques, se rendant très vite compte qu’elle réduit la capacité de travail de leur nouvelle main-d’œuvre, sont à l’origine de la première interdiction de la ganja, mais son usage se développe avec l’arrivée massive d’Indiens. Dans les années 1930, le mouvement rasta donne un coup d’accélérateur à la consommation et donc à la production d’herbe. Plus tard, les années 1960 et la génération Peace and Love marquent un nouveau tournant dans la popularisation de la marijuana. La ganja est un élément pacificateur, tout comme la musique reggae. Lecture quotidienne de la Bible et chants religieux font aussi partie des rituels du rastafarisme. Le lion est un symbole omniprésent de la religion, inspiré du titre de Hailé Selassié.