Aux origines
Du Néolithique nous sont parvenus des cercles mégalithiques, des dolmens et des tombes creusées directement dans la roche, que l’on baptisa Domus de Jana… ou Maison des Sorcières ! La Nécropole d’Anghelu Ruju avec ses dizaines de chambres funéraires rocheuses en est un bel exemple. Les premiers villages fortifiés font aussi leur apparition, mais c’est durant la période nuragique qu’ils vont surtout se développer. Cette culture tire son nom du nuraghe, haute tour de pierre de forme conique. A l’intérieur, l’édifice suit un plan circulaire dont la pièce principale, par laquelle on accède par un couloir, est couverte d’un dôme. Un escalier intérieur en spirale permet d’accéder aux différents étages. Véritable prouesse technique, le nuraghe est composé de pierres de taille parfois cyclopéennes et pourtant assemblées sans aucun mortier. Mais la vraie particularité de ces nuraghes est qu’ils sont la partie la plus visible d’un système extrêmement hiérarchisé. Le site de Su Nuraxi l’illustre très bien. Le nuraghe principal est protégé par une enceinte et des tours angulaires. Les recherches ont permis de montrer que cette tour était la demeure d’un roi-berger, elle-même entourée de nombreuses cabanes circulaires abritant les sujets du roi. Les différents afflux de population ont agrandi le village et entraîné la construction de nouveaux bastions et enceintes de protection. Le site de Santa Cristina avec sa « cabane ronde » munie de sièges circulaires montre la sophistication de cette société organisée en conseils pour administrer les affaires. Le site de Santu Antine montre, lui, combien ce travail de la pierre pouvait se faire fin et précis, comme le prouve le bastion trilobé protégeant la tour centrale. En parallèle, la culture nuragique a vu se développer d’autres types de structures dont les surprenants temples à puits, liés à la vénération des divinités de l’eau. Le plus beau est sans doute celui du Sanctuaire de Santa Cristina. Cerné par une enceinte sacrée prenant la forme d’une serrure ou d'un sexe féminin, il est composé de pierres subtilement taillées selon des motifs géométriques, tandis qu’à l’intérieur on peut admirer une chambre surmontée d’anneaux concentriques créant l’effet d’une coupole, et un escalier dont l’agencement donne un aspect d’escalier renversé. Ce site était aussi un observatoire astronomique et nous en dit long sur les connaissances en la matière de ce peuple. Enfin, la culture nuragique s’est également exprimée à travers les « tombeaux des géants », des chambres funéraires longues de 20 à 30 m, et hautes de 2 à 3 m, originellement recouvertes d’un tumulus ressemblant à une coque de bateau renversée. A l’extérieur, la « façade » de ces chambres funéraires suit la forme d’un demi-cercle de pierres, au centre duquel trône une stèle monumentale dans laquelle est percée une petite entrée, elle-même fermée par un gros bloc de pierre. La forme de ces monuments rappelle sans équivoque une tête de Taureau, divinité commune à tout le Moyen Orient et l'Occident antique. Sa Ena’e Thomes et Coddu Vecchiu comptent parmi les tombeaux les plus impressionnants. En ce qui concerne la sculpture, ce peuple nous a laissé de belles statuettes représentant des combattants, des navires, des déesses... Mais on ne peut oublier de citer les magnifiques statues dites I Giganti di Monte Prama découvertes en 1974 dans un champ. A elles seules, elles représentent un niveau d'abstraction et de perfection artistique jusque là inconnu en Europe occidentale à la même époque.
Des Phéniciens aux Byzantins
Phéniciens et Carthaginois ont durablement modifié le visage de l’île, créant ports et comptoirs commerçants le long de ses côtes escarpées et aménageant les premiers réseaux routiers. Parmi les plus beaux sites puniques, ne manquez pas la Nécropole de Tuvixeddu avec ses nombreuses tombes creusées dans la roche calcaire et pouvant atteindre jusqu’à 7m de profondeur. Nora, ancienne cité punique, possède un étonnant exemple de tophet, sanctuaire où l’on pratiquait des sacrifices en l’honneur de la déesse Tanit - sur le site, un temple lui est également dédié. Pragmatiques, les Romains s’attachent à continuer le développement du réseau routier, tout en développant une ingénieuse architecture de l’eau, comme le prouvent les vestiges du site de Tharros, parmi lesquels se trouvent des thermes et un castellum aquae ou réservoir relié à l’aqueduc de la cité. Les Romains se font également maîtres de l’urbanisme en établissant leurs cités selon des plans géométriques structurés par de grandes avenues, comme le Cardo Maximus du site de Tharros. Ces cités abritent des édifices symboles des différents pouvoirs (religieux, politique, culturel…) et c’est à Cagliari que vous pourrez en voir les plus beaux témoins. La ville est surplombée par un magnifique amphithéâtre dont la cavea (gradins) a été en grande partie préservée. Vous pourrez également y voir les vestiges de temples et tombeaux, sans oublier ceux de la Villa de Tigellius, très bel exemple d’architecture urbaine, le complexe comprenant trois domus disposant d’atriums aux riches colonnades. Le site de Nora est aussi un incontournable pour découvrir l’architecture de la Rome antique. C’est sous la domination de Rome que se développent les premiers cultes chrétiens avant de prendre leur plein essor sous la domination de Byzance. Se multiplient alors les édifices religieux suivant les plans de la célèbre basilique Sainte-Sophie. La basilique San Saturnino, bâtie aux Ve et VIe siècles et composée à l’origine selon un plan en croix grecque surplombé d’un dôme, en est un bel exemple. Les Byzantins sont également les créateurs des premières grandes forteresses de l’île, à Austis, Armungia et Nuragus notamment.
Effervescence médiévale
Dès le XIe siècle, le roman se diffuse largement en Sardaigne grâce à la présence de nombreux ordres monastiques. Venant des quatre coins de l’Europe, ces derniers vont teinter le roman d’influences provençales, bourguignonnes ou rhénanes, mais l’influence la plus prégnante est bien sûr celle de Pise, cité-Etat sous l’autorité de laquelle se trouve alors la Sardaigne. Le roman pisan se caractérise par un style très décoratif, une polychromie des marbres et des mosaïques, l’utilisation de formes géométriques comme le losange, des façades étagées de galeries à colonnades superposées et de portiques à arcades, le tout dans une recherche constante de pureté formelle. Ce style sera adapté à la « sensibilité » locale, chaque village exprimant son identité à travers son architecture. Parmi les plus belles églises romanes, notons : la Santissima Trinita (Saccargia), avec sa superbe polychromie de calcaire clair et pierre de basalte foncée et ses chapiteaux ornés de bas-reliefs ; Sant’Antioco di Bisarcio (Ozieri) avec son alternance de pierres noires et rouges créant une polychromie aux effets géométriques, son arcade décorée d’une rosace et son abside ornée de losanges ; ou bien encore San Gavino (Porto Torres), l’une des plus grandes et des plus anciennes églises romanes de l’île. Déterminés à défendre leur présence sur cette île stratégique, les Pisans multiplient les fortifications autour des grands centres urbains, à l’image de celles de Cagliari. Sur les quatre tours originelles ne subsistent que la tour de San Pancrazio et surtout la Tour de l’Eléphant ainsi baptisée car un éléphant de marbre y est placé sur une console à près de 10 m de haut ! Sous la domination aragonaise, la Sardaigne va voir se multiplier les édifices de style gothique catalan qui se caractérise par des édifices jouant davantage sur la largeur que sur la hauteur, développant des voûtes étirées d’une grande beauté. De plan simple, le plus souvent à nef unique, les églises gothiques catalanes possèdent souvent des contreforts entre lesquels sont construites des chapelles latérales. De façon générale, les volumes sont compacts et d’une grande clarté formelle. La basilique Notre-Dame de Bonaria est l’un des plus beaux exemples de ce style. Notez sa belle abside polygonale et ses chapelles latérales à voûtes en ogives. Pour vibrer au rythme aragonais, il faut se rendre à Alghero avec sa superbe cathédrale dont la coupole surplombe les remparts et son église San Francesco dont on admire surtout le campanile et le cloître à la très belle ornementation. Dans les rues de la ville, vous remarquerez également de très belles demeures patriciennes datant de cette époque et que l’on reconnaît à leur cour centrale accessible par un portail très travaillé, et par le premier étage qui se distingue par sa riche décoration en façade, via notamment des galeries et arcades. En parallèle, les Aragonais construisent de nombreux châteaux et fortifications. Les tours de guet jalonnent les côtes, tandis que de puissantes forteresses protègent les villages isolés. Parmi les vestiges des grands châteaux à ne pas manquer : Sanluri, l’un des mieux préservés, Monreale avec son mur d’enceintes à 8 tours, Acquafredda, perché à 256 m de haut, et Serravalle, originellement du XIIe siècle, mais reconstruit au XVIe siècle.
Du néoclassicisme à l’éclectisme
Sous les royaumes de Savoie et d’Italie, la Sardaigne se pare des atours du néoclassique, que l’on emploie aussi bien pour la construction de nouveaux édifices que pour la restauration d’édifices anciens, notamment les églises, à l’image de l’église San Giacomo de Cagliari, sanctuaire gothique catalan mais à la façade pleine de rigueur classique. C’est toute la ville qui va d’ailleurs se transformer à la fin du XIXe siècle. Une grande partie des remparts est rasée pour permettre aux quartiers bourgeois de se développer le long de nouvelles grandes artères comme la Via Roma. Dans le quartier historique du Castello, des terrasses sont aménagées sur les anciennes fortifications. Les anciens bastions sont ainsi dotés de façades à frontons et colonnades aux allures d’arcs de triomphe s’ouvrant sur de monumentaux escaliers. La ville de Sassari possède également de nombreux exemples de style néoclassique comme son Théâtre Municipal avec son intérieur s’inspirant d’un amphithéâtre antique ou bien son église San Giuseppe et sa superbe façade à colonnes reposant sur d’imposants piédestaux. Au tournant du siècle, la Sardaigne va se doter d’édifices opérant une synthèse assez étonnante entre éclectisme historicisant et décoration Art nouveau, appelé Liberty en Italie. A Cagliari, le Palazzo Civico est ainsi un bel exemple de néogothique catalan (arches, tours), rehaussé de bronzes et mosaïques aux motifs typiquement Liberty. Sur la Via Roma, vous trouverez de nombreux autres exemples de ce mélange des genres. Ne manquez pas non plus le Palazzo Balletto avec ses trois séries superposées de bow-windows, son jeu de polychromie entre le granit de la base, le parement de brique et les cadres de pierre, et ses motifs décoratifs végétaux.
Patrimoine rural et minier
Dans les plaines sardes, les terres sont partout quadrillées de murs de pierres sèches (technique consistant à assembler les pierres sans mortier) et abritent un petit patrimoine à ne pas manquer, comme les cabanes de berger le plus souvent de plan circulaire, disposées sur un soubassement de pierre, et possédant un toit conique de bois ou de chaume. A l’intérieur, une cheminée chaulée éclaire un mobilier rudimentaire. Ces cabanes communiquent souvent avec la bergerie toute proche via une fine cloison à claire-voie. Les corrals ou enclos complètent l’ensemble. En parallèle, vous pourrez également observer des maisons traditionnelles, assez modestes au nord et plus élaborées au sud. Les premières ne disposent que d’un espace intérieur largement occupé par l’âtre, tandis que les secondes s’organisent autour de plusieurs cours et possèdent parfois une loggia ou galerie couverte desservant les différentes pièces de la maison. Beaucoup de ces exploitations rurales se sont aujourd’hui converties à l’agrotourisme et accueillent les visiteurs dans un cadre résolument champêtre ! Moins pittoresque, mais tout aussi fascinant, le patrimoine minier de l’île est un incontournable. De nombreux sites ont d’ailleurs été regroupés pour former le Parc Géominier Historique et Environnemental de la Sardaigne, classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Parmi les sites incontournables, ne manquez pas l’étonnant village fantôme d’Ingurtosu avec le « Château de la Direction » de style néogothique; ou bien encore la superbe Mine de Nebida située sur un promontoire rocheux avec vue sur la mer, où l’on peut admirer la laverie Lamarmora avec ses quatre volumes superposés et décorés d’arcs, les bureaux administratifs avec leurs corniches crénelées et leurs fenêtres à ogives, et tout un ensemble de constructions pour mineurs (habitations, école, hôpital…), sans oublier le patrimoine technique avec chevalements, puits et galeries. C’est pour glorifier ces ressources minières que Mussolini fit construire, dans les années 1930, la ville de Carbonia. Pensée selon les codes du fascisme, Carbonia se voulait une cité idéale, adoptant un plan en étoile quadrillé par de larges avenues et organisé autour d’une place centrale comprenant l’église, le palais du podestat (terminologie médiévale reprise par les fascistes pour désigner le gouverneur) et la maison du fascisme. Destinée à loger les mineurs, la ville se composait de volumes bas et espacés pouvant s’étendre à l’infini. Un passé complexe mais révélateur de l’importance de la mine dans l’histoire de la Sardaigne.
Sardaigne contemporaine
La Sardaigne n’a pas été épargnée par les ravages de la guerre. S’en est suivie une période de reconstruction sans véritable plan d’ensemble, voyant s’accumuler les constructions de béton sans âme. Un phénomène renforcé par le développement du tourisme dès les années 1960 avec apparition de marinas, hôtels et résidences de luxe, notamment sur la très populaire Costa Smeralda. Cependant, ne vous laissez pas tromper par la vue d’ensemble et regardez de plus près. Là, vous découvrirez les réalisations de Jacques Couëlle. Cet architecte autodidacte est l’un des pionniers de l’architecture-sculpture pensée pour se fondre harmonieusement dans son environnement. Maisons étagées suivant le relief accidenté, terrasses végétalisées et grandes ouvertures caractérisent ses maisons-paysages. La Villa Monte Mano en est un bon exemple, tout comme l’Hôtel Cala Di Volpe, sur lequel il travailla avec son fils Savin Couëlle, qui réalise aujourd’hui encore de superbes villas dans la tradition des maisons-paysages de son père. La Villa Sirea à Porto Cervo le montre bien. La grande architecte milanaise Cini Boeri, adepte elle aussi d’une architecture respectueuse de son environnement, a créé la Villa Rotonda, superbe maison circulaire dont les courbes sont soulignées par la blancheur du béton ; la Casa Bunker dont le gris anthracite répond au relief rocheux environnant ; ou bien encore la très fonctionnelle et personnelle Villa Sbandata. D’autres villas aux lignes épurées, aux volumes simples et à la sobre décoration continuent de se construire, comme la Villa Grintosa de Stefania Sera dont les différents espaces en plateaux suivent la topographie du lieu. Et en parallèle, la Sardaigne continue de préserver son patrimoine historique qui fait sa fierté !