Origines
L’art indien s’est écrit sur plusieurs millénaires. Les premières traces remontent à la préhistoire, avec les pétroglyphes de Bhimbetka datés du Mésolithique. Sur les parois de ce site du Madhya Pradesh, des peintures rupestres représentent des figures humaines et animales dans des scènes de combat, de danse ou du quotidien. Paons, lézards, éléphants, tigres et chiens nous parlent des premiers occupants de ce vaste pays.
La sculpture indienne, qui se développera plus que la peinture, prend sa source dans la vallée de l’Indus. À la frontière de l'Inde et du Pakistan, les plus anciennes sculptures indiennes ont été façonnées entre 2 500 et 1 800 avant J.-C. Ces petites figures aux lignes épurées, en terre cuite et en bronze, sont de forme humaine ou zoomorphe. Le mouvement est déjà présent, comme le montrent les sculptures de danseuses. Conservées au Musée national de New Dehli dans le Rajasthan, elles sont interprétées comme des idoles. En effet, l’art indien est intimement lié à la religion, en particulier hindoue et bouddhiste.
Essor de la sculpture
La sculpture en pierre adopte des proportions monumentales et s’associe à l’architecture. Les divinités comme Shiva et Bouddha se font imposantes. On ressent dans ce développement l’influence du jaïnisme, attaché aux temples.
Les temples hindous flanqués de tours en pyramide tronquée s’ornent de centaines de sculptures. Sous la domination musulmane, nombre de ces lieux saints, en particulier ceux qui étaient illustrés de scènes érotiques, sont détruits. Mentionnons dans ce genre les sculptures sensuelles des étonnants temples de Khajuraho. Bâtis sous la dynastie Chandela entre le Xe et le XIIe siècle, ils auraient été conçus comme des guides pratiques à l’attention des jeunes garçons.
La légende veut que Brahma le créateur laissa tomber un lotus, faisant jaillir le lac de Pushkar. C’est ici que se visite l’un des seuls temples dédiés à Brahma de toute l’Inde. Daté du XIVe siècle, le temple se repère à ses pinacles rouges. Tout autour du lac, des centaines de temples et de ghâts alternent avec les commerces hippies.
Majestueux Taj Mahal
Le temple le plus connu en Inde, le Taj Mahal, a été construit entre 1631 et 1653 à Agra. Ce fleuron de l’architecture indo-islamique célèbre l’amour que l’empereur moghol Shah Jahan vouait à Mumtaz Mahal. Le majestueux édifice n’est autre que le mausolée de la troisième épouse du maharaja. Mumtaz était en vérité son premier amour, que son père lui interdit d’épouser en raison de son rang. Il lui imposa deux épouses, avec lesquelles il refusa de consommer son mariage. Au décès de son père, l’empereur put enfin s’unir à sa bien-aimée. Mumtaz lui donna quatorze enfants, avant de décéder le 17 juin 1631. Dévasté, Shah Jahan exigea de ses architectes qu’ils bâtissent un édifice digne du paradis et de son amour éternel. De nos jours, le lever et le coucher du soleil auréolent de romantisme le monument en marbre blanc.
Shah Jahan est à l’origine d’un vaste programme de construction. Chaque surface est incrustée de pierres ou finement sculptée dans le stuc. Le marbre s’impose dans les parties les plus importantes. Le premier exemple de tombe-jardin, édifié avant le Taj Mahal, se visite à Delhi. Joyau de l’époque moghole, le tombeau de Humayun est daté de 1560. L’intérieur, de plan octogonal, présente des incrustations de pierre et de marbre sur grès rouge.
Contrairement aux autres cultures influencées par l’islam, l’art indien n’a jamais abandonné l’art figuratif.
Caractéristiques de l’art indien
La particularité de l’esthétique indienne est sa permanence. Certaines caractéristiques perdurent durant deux millénaires. L’art à vocation religieuse domine, même si la religion et la vie courante sont tellement imbriquées qu’il est difficile de les différencier.
La figure humaine, idéalisée, est généralement représentée à l’âge adulte. Elle n’expose pas de signe de vieillissement, de maladie ou de faiblesse. Dénuée de pudeur, elle exalte le corps humain. Le nu est à peine voilé. La femme affiche fièrement sa sensualité, tout en raffinement et en douceur.
Sculpteurs et peintres indiens puisent allégrement dans le panthéon aux 33 millions de dieux. Toutefois, la grande Trinité, composée de Brahma, Vishnu et Shiva, règne. Chacun revêt divers apparences et attributs en fonction du récit. En plus de quoi les croyances locales enrichissent l’éventail des incarnations. Ces avatars s’inspirent du règne animal et des qualités inhérentes à chaque espèce.
Des traités fixent les canons à respecter. Selon ces 6 Shadanga, tout artiste se doit d’insuffler à sa création la beauté de la forme, l’harmonie des proportions, de l’émotion, l’esthétique, le réalisme, et l’équilibre des couleurs. Malgré leur rigueur, les normes n’ont pas entravé le dynamisme de l’art indien.
Émergence du classicisme
La dynastie des Gupta (IVe-VIe siècle environ) se caractérise par le recul de la figure humaine au profit des sujets divins. Les sujets brahmaniques profitent d’une perfection graphique acquise au fil des époques. L’art reste narratif mais perd peu à peu de sa chaleur. Le style classique se répand dans toute l’Asie.
À travers l’Inde, des écoles locales s’affirment à partir du VIIe siècle. La régression du bouddhisme, qui disparaît au XIIe siècle, a des répercussions sur les arts plastiques. La religion védique qui lui succède inspire des œuvres plus mouvementées mais aussi plus grandioses.
Deux tendances se dessinent : celle qui perpétue les canons et celle qui associe la sculpture à l’architecture.
La peinture adopte plusieurs formes dont le mandala, qui sert de support à la méditation dès le Ier siècle. Dans le Bengale, l’école de Patta Chitra se distingue par la peinture sur rouleau à partir du Ve siècle avant J.-C. Réalisées sur des feuilles de palme par des peintres-chanteurs, elles illustrent des sujets de la religion hindoue et musulmane. Les miniaturistes illustrent les poèmes brahmaniques. Les palais sont ornés de fresques mais aussi de galeries de tableaux.
Peinture rajput
Empires et dynasties se sont succédé sur les terres agricoles du Rajasthan. La peinture développée dans cet État adopte une forme populaire et princière. Les fresques de la cour intérieure du Palais de Bundi ou Garh Palace offrent un magnifique exemple du lyrisme du XVIIIe siècle.
Sous la dynastie des Grands Moghols (1528-1858) à l’apogée de l’expansion musulmane en Inde, les ateliers de peinture se multiplient. Chaque œuvre est collaborative, académique et anonyme. L’Academy of Fine Arts de Calcutta possède un département de peinture moghole.
Plusieurs écoles de peinture émergent entre le XVIe et le XIXe siècle. Les premières sont celles de Mewār puis de Bundi. Dominé par l’enluminure, cet art de cour s’inspire des miniatures persanes et de la gravure européenne. La peinture rajpoute illustre l’hindouisme (Rāmā et Krishna) ou, dans une moindre mesure, les sentiments comme l’amour. Les personnages, vus de profil, sont dotés d’un œil énorme et d’un nez fin. Le fond de couleur vive est agrémenté d’éléments naturels.
Sous Shah Jahan, deux genres sont prisés : le portrait officiel et le paysage nocturne. Dans un style froid, le souverain est montré dans une attitude figée pleine de fierté. Une palette riche est utilisée pour représenter son autorité de toutes les manières possibles, notamment debout sur un globe. Les peintres, inspirés par l’iconographie occidentale, introduisent des angelots qui déroulent des odes à sa gloire sur des banderoles. Dans les manuscrits, des éléments naturalistes inspirés des courants européens font leur apparition.
Colonisation britannique et indépendance
La colonisation change la donne. Les écoles d’art, fondées par les Britanniques, diffusent l’art européen en Inde. À l’inverse, certains artistes indiens acquièrent une belle renommée en Europe, comme Raja Ravi Varma (1848-1906). Il est connu comme le premier peintre à avoir montré les divinités indiennes dans un cadre terrestre, comme des humains. Traditions locales et inspirations occidentales fusionnent. Le Britannique Horace Van Ruith dépeint la vie d’un foyer brahmane tandis que les peintres indiens découvrent une vision occidentale du romantisme.
L’année 1947 et l’Indépendance de l’Inde amorcent un tournant culturel. Les artistes se lancent dans la quête de nouveaux styles. Dès lors, leur goût pour l’expérimentation ne cessera de s’affirmer. Dès 1952, six artistes forment le Bombay Progressive Artists’ Group. Bien que de courte durée, tous les plasticiens majeurs des années 1950 s’y associent. Maqbool Fida Husain (1915-2011), fondateur de ce courant progressiste, renouvèle la peinture narrative et le cubisme. Influencé par Picasso, Husain fusionne l’esthétique indienne et les innovations du maître. L’expérimentation reste le mot d’ordre de l’art indien contemporain.
Photographie
Des générations de photographes immortalisent la diversité de l’Inde. Parmi ceux qui sont originaires du nord, Raghu Rai, né en 1942, est l’un des plus grands photographes du monde. Entré à l’agence Magnum sous la houlette d’Henri Cartier-Bresson, il scrute l’Inde, ses villes, ses événements et ses personnalités à travers son objectif. Ses images sont primées dans toutes les foires internationales.
L’un des pionniers de la photo couleur, Raghubir Singh, naît à Jaipur en 1942. Autodidacte, il réinvente l’emploi de la couleur dans les années 1970 et capture les mille facettes de l’Inde. Issu d’une famille royale du Rajasthan, il se lance en amateur avec l’idée que seules les nuances chromatiques peuvent saisir l’essence de la culture indienne. À Bombay, son travail se concentre sur la construction de l’espace et la lumière. Décédé en 1999, dans la dernière partie de sa carrière, il cadre ses photos à travers des vitres et le pare-brise de la voiture qui le conduit à travers le pays. Son concept, proche d’un road movie photographique, tend vers l’abstraction. Il entre dans les collections permanentes de musées internationaux tels que la Tate Modern à Londres, le MoMA à New York ou encore l’Art Institute of Chicago.
Né à Calcutta en 1956, Prabuddha Dasgupta s’illustre dans la photographie de mode. Ses clichés en noir et blanc d’une extrême élégance suscitent l’admiration. Son ouvrage Women, publié en 1996, s’impose comme l’unique livre indien traitant du genre. Il s’éteint en 2012 en laissant en héritage une rare collection de portraits et de nus de femmes indiennes urbaines.
Première femme photojournaliste en Inde, Homai Vyarawalla (1913-2012) naît dans une famille modeste du Gujarat. Au mépris des préjugés, elle décide de poursuivre des études à Mumbai. Elle fait alors la connaissance du photographe Maneckshaw Vyarawalla en 1926. Celui-ci l’initie à la photographie. Avec son appareil photo, la courageuse Homai parcourt la ville à vélo pour glaner ses premières images. Elle rapporte des moments d’émotion mais aussi des événements historiques, notamment les derniers jours de la colonisation britannique et l’émergence de la nation. Missionnée avec son mari en 1942, elle se retrouve à Dehli. Ses portraits de Gandhi et de Nehru comptent parmi les plus emblématiques de l’Inde moderne. Homai lègue quarante années de photographies à la Fondation Alkazi des Arts basée à Delhi.
De la nouvelle génération, Chandan Gomes (né en 1987) vit et travaille à New Delhi. À 23 ans, cet ancien étudiant en philosophie devient le plus jeune photographe à recevoir la bourse de l'Inde pour la photographie. Il se fait le porte-parole des maux d’une société dans sa série The Unknown Citizen. Un autre pan de son travail questionne la notion de beau et d’abandon. Gomes a exposé au Delhi Photo Festival et aux Rencontres photographiques d’Arles en 2018.
D’une remarquable qualité, les expositions photographiques de la Kriti Gallery de Varanasi sont soutenues par la Banaras Cultural Foundation, très engagée dans la promotion de l’art de l’Uttar Pradesh.
Art contemporain
La fin du XXe siècle est marquée par un bouleversement du panorama culturel. Plusieurs facteurs ont concouru à l’explosion de l’art contemporain en Inde, notamment l’essor économique du pays. Plus de cinquante galeries d’art ont vu le jour en moins de dix ans, à Delhi et Mumbai. Des talents émergents ont commencé à susciter l’attention du marché international. Certains sont apparus dans les grandes manifestations mondiales ou ont reçu des commandes d’envergure. L’un des premiers, le sculpteur minimaliste Anish Kapoor, né en 1954, est présent dans les plus grandes collections et foires artistiques du monde. Ses installations, qui empruntent à la culture orientale et occidentale, ne passent jamais inaperçues.
Ces artistes font appel à une équipe d’assistants pour confectionner leurs œuvres. C’est pourquoi ils se sont installés dans des entrepôts en périphérie des métropoles. À Delhi, ils ont choisi la ville périphérique de Gurgaon pour ouvrir leurs ateliers. On y rencontre entre autres Subodh Gupta, la superstar de l’art contemporain. Né en 1964, Gupta est issu d’un milieu modeste. Formé à la peinture, il expérimente ensuite la photographie, la sculpture puis l’installation. Désormais, il vit et travaille à Delhi. Ses gigantesques installations nécessitent toute une équipe d’artisans, notamment des métallurgistes. À ses débuts, Subodh Gupta élaborait ses installations à partir de vaisselle traditionnelle indienne. Par la suite, la dimension de ses objets du quotidien a été multipliée par cinq ou dix : services à thé, boutons de portes, etc. Autant de rappels de ses origines.
Côté rue
En Inde, l’art de rue est une façon de vivre. On peint des stars de Bollywood sur les rickshaws, des publicités sur les murs, et des dieux sur les devantures pour rappeler l’interdiction d’uriner dans l’espace public. Jusque dans les villages les plus reculés, peindre au grand air relève d’une tradition.
Le premier quartier de New Delhi à s’ouvrir aux street-artistes est Khirki Village. C’est là qu’un très remarqué visage de Bouddha affublé d’un masque anti-pollution a jadis été peint à côté d’une décharge. Malheureusement recouvert de peinture blanche entre-temps. Mais cela n’a pas entaché le dynamisme des locaux. Khirki abrite quantité de jeunes galeries ainsi que le Khoj, un centre d’art contemporain qui propose des résidences et des événements innovants.
Dans la capitale, la fresque la plus haute (45 mètres) et la plus iconique recouvre une façade de l’Hôtel de police. Le fameux portrait de Gandhi, tout sourire, est l’œuvre d’Anpu Varkey et de l’artiste allemand Hendrick ECB Beikirch. Il s’agit de la première commande officielle d’art public. Sa réalisation s’est déroulée en janvier 2014 dans le cadre du Festival St+Art Delhi. L’association St+Art India promeut l’art public dans les principales métropoles indiennes. Son objectif ? Générer des hubs créatifs. Pari réussi ! Dans toutes les villes indiennes, au Nord comme au Sud, les quartiers arty débordent d’un dynamisme aux mille visages.
L’Inde continue de faire la part belle à la sculpture. En 2018, la statue de l’Unité est devenue la plus haute statue du monde avec ses 180 mètres de haut (soit 4 statues de la Liberté). Dressée sur l’îlot du Narmada dans l’État du Gujarat, elle est à l’effigie de l’homme d’État Sardar Vallabhbhai Patel. Pensée comme un symbole de l’Indépendance, l’œuvre en béton offre une version nationaliste d’une tradition ancestrale.