Découvrez l'Inde du nord : Société (vie sociale)

Le système de classe qui régit les sociétés occidentales ne fonctionne pas en Inde. La diversité ethnique, religieuse ou linguistique crée une mosaïque sociale hétérogène à laquelle vient se greffer la hiérarchisation de caste. La famille demeure le noyau inébranlable de l’organisation sociale indienne, là où s’applique un ensemble de règles rigides qui consacrent la toute-puissance parentale. Le fils se doit de fonder une famille à son tour et d'assurer les vieux jours de ses parents. La fille devient celle d’une autre famille, le jour où elle se marie. Dans ce pays où la famille occupe une place centrale, vivre différemment, c’est la renier. Si la communauté LGBTQ+ a obtenu la dépénalisation de l’homosexualité en 2018, elle n’en demeure pas moins à la marge de la société ; tout comme les hijras, cette communauté transgenre respectée pour les fonctions religieuses qu’elle occupe et rejetée pour sa différence.

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L’organisation sociale

La société indienne répond à une organisation complexe et hétérogène difficile à synthétiser. Diversité ethnique, religieuse, linguistique, géographique, de genre, de caste ou de fortune, sont autant de strates d’un mille-feuille dont le liant serait l’appartenance à « Mother India », la mère-patrie. Il semble plus juste de considérer la société indienne comme l’addition d’une multitude de micro-sociétés plutôt que comme un tout. Le passage d’un groupe à l’autre est rare et sévèrement jugé. On naît dans un groupe et on y reste. Seule l’amélioration des conditions de vie est communément acceptée. Mais si la fortune s’accompagne de certains passe-droits, elle ne fait qu’assurer une place plus enviable au sein du groupe, sans permettre de réelle ascension sociale. L’appartenance de classe ne constitue pas un marqueur à l’échelle de la société toute entière. L’organisation sociale fonctionne en cercles concentriques, dont le noyau est la famille. Ce noyau est entouré par le cercle religieux, puis par celui de la caste. Si le système de caste n’existe de façon ancrée que dans la religion hindoue, il est souvent repris de façon moins rigide par les autres religions. Certaines castes inférieures pratiquent la sanskritisation, un processus qui consiste à adopter les rites de castes supérieures, espérant ainsi y être assimilées. Les cercles ethniques ou linguistiques permettent une reconnaissance mutuelle entre plusieurs groupes et créent un sentiment d’appartenance identitaire plus large. Les disparités sociales sont également très fortes entre milieux urbains et ruraux. La rigidité de l’organisation sociale est plus marquée dans les campagnes que dans les villes. Le mode de vie y est aussi bien différent.

Le genre assigne également à une place bien précise. Les responsabilités sociales ne sont pas les mêmes selon qu’on naît homme ou femme. L’homme doit en priorité assurer la subsistance de sa famille. Le rôle de la femme est de tenir la maison, au sens large. Elle assure l’éducation de ses enfants, mais doit aussi s’occuper de l’approvisionnement en eau ou en bois. Ce rôle est élargi au domaine extérieur. C’est pour cela que vous croiserez des femmes travaillant sur des chantiers de construction portant briques, sable ou ciment sur leurs têtes. C’est à elles également que revient la fabrication et l’application du pisé sur les maisons traditionnelles des campagnes.

La famille

La famille forme le creuset de la vie sociale et communale. Elle abolit toute liberté individuelle. Un enfant qui vient au monde appartient à ses parents jusqu’à leur mort. Si c’est un garçon, il suit les études que ses parents lui assignent. Il exerce le métier choisi par eux et épouse la femme qui leur semble digne d’intégrer la famille. Il reverse tout ou partie de ses revenus à ses parents. Il a la charge de ses anciens. Si c’est une fille, sa mère lui enseigne tout ce qu’elle doit savoir pour tenir la maison. Une fois l’apprentissage terminé, elle est donnée en mariage, littéralement. Une fois mariée, la fille appartient à sa belle-famille. Dans beaucoup de zones rurales, le concept de « joint family » est encore très vivace. Grands-parents, fils et épouses, petits-enfants vivent sous le même toit. Nul ne cherche à se soustraire à cet environnement, où le chemin de vie est tout tracé. Dans un pays ne connaissant ni sécurité sociale, ni pension, la famille constitue un socle sécurisant en cas de coup dur.

Cette éducation traditionnelle est moins marquée dans les villes que dans les campagnes, même si l’autorité parentale persiste. Les nouvelles générations ont tendance à s’écarter de ce modèle bien établi, où la pression exercée par les parents ou les beaux-parents peut être perçue comme un frein au progrès. C’est surtout vrai dans les milieux éduqués et aisés. Malgré tout, la jeunesse indienne affiche un certain conservatisme, notamment quand vient l’heure du mariage arrangé, contre lequel ils ne trouvent rien à redire.

La vie est divisée en 4 grandes étapes bien marquées. Le temps de l’enfance et de l’apprentissage, qui est aussi celui de la liberté. Le temps du mariage, qui sanctionne l’entrée dans la vie sociale et confère un statut à l’individu ; il va à son tour fonder une famille. Le temps de la retraite aux frais de ses fils, qui est vécue comme un juste retour des choses. Le temps du grand âge et du renoncement, où la personne se prépare à la mort.

La place de la femme

Malgré leurs saris colorés et leurs bijoux brillants, les femmes n’ont pas le beau rôle dans la société indienne. Si la Constitution indienne place homme et femme sur un pied d’égalité, celle des femmes se cantonne souvent à la maison. Traditionnellement, la petite fille fait l’objet de moins d’attention que ses frères. Les parents investissent leur argent dans la constitution de la dot plutôt que dans leur éducation. Celle-ci a beau être interdite par la loi indienne, la tradition perdure. Elle peut représenter un sacrifice conséquent pour une famille, tant les exigences de la belle-famille peuvent se montrer élevées. Le proverbe rajasthani « avoir une fille, c’est labourer le champ du voisin », résume bien le ressenti général. Une fois mariée, la femme obéit à l’autorité de son mari, mais aussi celle de sa belle-mère. Cette dernière profite bien souvent de l’arrivée d’une bru pour se défaire de ses responsabilités ménagères. Beaucoup de jeunes filles quittent le giron familial pour être propulsées dans une vie de Cendrillon. On attend d’elles qu’elles mettent au monde des garçons, de préférence, et triment du matin au soir à récurer, cuisiner, chercher le bois, puiser l’eau, moudre le grain, embellir la maison. Les mœurs ont cependant évolué dans les milieux hindous aisés. Les jeunes filles vont à l’université, mais c’est bien souvent la belle-famille qui autorisera, ou non, la jeune épouse à travailler. On trouve des femmes dans tous les secteurs de l’économie indienne et à tous les niveaux de responsabilité. Avocates, politiciennes, médecins, pilotes de l’air ou de ligne, celles qui sont soutenues par leur famille s’épanouissent et réussissent partout.

Homosexualité et hijras

L’homosexualité est un tabou absolu en Inde. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Le Kāmasūtra consacre un chapitre complet aux pratiques érotiques entre personnes de même sexe. L’avènement de l’islam et de l’Empire moghol a modifié la donne. L’application de la charia au XVIIe siècle prévoit des châtiments corporels pour les homosexuels. Ils étaient de 50 coups de fouet pour un esclave, 100 coups de fouet pour un homme libre non musulman et la lapidation jusqu’à la mort pour un musulman. Le gouvernement britannique colonial perpétue cet interdit, mais allège la sentence dans sa loi de 1861. Tout acte sexuel extérieur à la pénétration péniale-vaginale est un délit. Si dans les faits, cet article n’a que rarement été appliqué pour des actes librement consentis, il a figé la réprobation pour les pratiques homosexuelles, conduisant à des violences et des discriminations pour les minorités concernées. Le Code pénal indien a repris cette interdiction dans son article 377. À force de pressions exercées par des associations et des membres de la société civile, la Cour Suprême a finalement dépénalisé l’homosexualité le 6 septembre 2018. Il n’en reste pas moins que la société indienne dans sa très large majorité condamne l’homosexualité qu’elle considère comme une malade contagieuse importée par l’Occident. Succomber à ces pratiques revient à rejeter sa famille, car c’est refuser le mariage et la procréation, donc se placer délibérément au ban de la société et de sa propre famille. En Inde, beaucoup d’homosexuel(le)s consentent à un mariage de convenance et mènent une double vie.

La réalité des transgenres est ancienne et intégrée au corpus social. L’hindouisme a prévu une caste, donc un rôle social, pour les hijras. Cette communauté rassemble aussi bien les eunuques que les hermaphrodites et les transgenres. Ils sont mentionnés dans le Rāmāyana, où le dieu Rāma, pour les remercier de leur dévotion, leur accorde un pouvoir auspicieux de bénédiction à l’occasion d’évènements inauguraux. Ainsi, les hijras sont souvent convoqués par les familles hindoues à l’occasion de la naissance d’un fils ou d’un mariage. Dans le Mahābhārata, le héros Arjuna envoyé en exil prend les traits d’un eunuque et pratique des rituels de chants et de danses. Ces rituels sont pratiqués par les hijras dans les mariages et cérémonies de naissance sous le nom de badhai.

En réalité, les hijras sont rejetés par la société indienne et font souvent l’objet de discriminations. Vivant à la marge de la société, ils se regroupent en petites communautés dirigées par un gourou. Ils vivent souvent de la prostitution ou de la mendicité. Objets de répulsion autant que de fascination, le gouvernement leur a accordé un statut particulier. En 2014, ils ont obtenu l’ajout d’une troisième case sur les documents officiels, leur permettant de s’identifier en tant que « transgenre ». Ils bénéficient également de quotas dans l’administration. Un premier officier de police a été nommé en 2017, ainsi qu’un chef d'établissement scolaire.

Éducation

L’éducation est devenue un enjeu majeur pour les familles qui peuvent se le permettre. Les Indiens ont bien compris que l’accès à une bonne éducation pouvait transformer les perspectives économiques d’une famille. Les publicités pour les écoles privées, l’enseignement en anglais et les cursus supérieurs fleurissent partout sur les murs des villes. L’Inde du Nord a rattrapé son retard en matière d’alphabétisation : 74,04 % de la population est alphabétisée (82 % pour les hommes et 65 % pour les femmes). Cela demeure tout de même 10 points en dessous de la moyenne mondiale. La scolarisation est quasiment absente des zones désertiques et tribales. Dans certains districts reculés, elle atteint à peine 10 %. Dans le reste des campagnes, chaque village possède en principe une école publique, qui assure a minima un enseignement jusqu’à la fin du primaire. Mais livres, cahiers, stylos et uniformes demeurent à la charge des familles, ce qui peut constituer un réel sacrifice pour les plus pauvres. Bien souvent, elles n’envoient alors qu’un de leurs enfants et pas forcément tous les jours, car il peut être plus utile à la maison. Le meilleur élève d’Inde du Nord en matière d’alphabétisation est le Mizoram, avec un taux de 91,5 %, tandis que le Bihar ferme la marche avec seulement 63,8 % de ses enfants lettrés. L’amélioration est tout de même notable, puisqu’en 1947 le taux d’alphabétisation en Inde n’était que de 12 % !

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