Histoire et linguistique
Le destin de l’Écosse s’est forgé derrière un mur, celui que fit ériger Hadrien à partir de 120 pour contenir les Pictes dont les rares inscriptions qui nous sont parvenues demeurent encore pour la plupart indéchiffrables. En tout état de cause, l’histoire est restée fragmentaire, à peine s’appuie-t-elle sur les œuvres de quelques missionnaires qui outre leur devoir de prédication firent preuve de celui de mémoire, tel Bède le Vénérable qui ne manqua pas de citer le peuple premier dans son ouvrage fondateur, L’Histoire ecclésiastique du peuple anglais qu’il acheva au début du VIIIe siècle, devenant alors l’un des seuls récipiendaires de ce passé lointain.
La langue se fait également incertaine car le territoire, pourtant réputé hostile, accueille d’autres cultures. Ainsi, dans le monastère que fonda l’Irlandais Colomba sur l’île d’Iona en vue de convertir les peuples du Dál Riata – monastère qui perdurera bien après la mort du saint survenue au VIe siècle –, difficile de définir précisément quand le Gaeilge (gaélique irlandais) se transforma en Gàidhlig (gaélique écossais). Si les linguistes en débattent toujours, ils s’accordent sur le fait que le premier manuscrit purement écossais est Le Livre de Deer dont la rédaction aurait débuté au Xe siècle et aurait fait l’objet d’ajouts postérieurs. Bien que bon nombre d’opus aient été perdus, les archives ont néanmoins gardé trace des poèmes de Gillebríghde Albanach, croisé écossais ayant vécu au début du XIIIe.
Pourtant, il faut attendre le siècle suivant pour que naisse celui qui est véritablement considéré comme le père de la littérature écossaise, l’archidiacre John Barbour, poète ayant achevé en 1376 une épopée mythique : Robert Bruce, King of Scotland. Ce récit historique et politique dépeint en particulier la Bataille de Bannockburn, et si l’auteur a certainement pris le temps de s’enquérir du déroulé exact des événements auprès de sources sûres, il use également d’une langue vernaculaire spécifique aux Lowlands d’Écosse qui subirent l’influence des vikings, le scots, qu’il tend à fixer à l’écrit pour la première fois.
Quelques cents ans plus tard, vers 1477, une autre œuvre poétique et héroïque loue les exploits de l’indépendantiste William Wallace, il s’agit de The Actes and Deidis attribué à un mystérieux Harry l’aveugle dont on ne sait pas grand-chose sinon qu’il s’inscrivait dans la longue tradition orale (beul-aithris) des makars, ces bardes écossais auxquels fait référence William Dubar dans The Lament for the Makaris composé au tout début du XVIe siècle. La littérature entre alors dans un certain âge d’or, les traductions se développent – citons surtout Gavin Douglas qui donnera une version scots de L’Énéide de Virgile, L’Eneados, vers 1513 – et les manuscrits sont mieux conservés, parfois dans de véritables collections, mines d’or linguistiques, telle que celle constituée par Seumas MacGriogain et connue sous le nom de Leabhar Deathan Lios Mòir (Livre du doyen de Lios Mòir).
Cet essor et intérêt nouveaux ont facilité la transmission de bon nombre d’écrits de Robert Henryson, sans doute professeur, certainement résident de Dunfermline, et nous permettent tout autant de juger de sa notoriété à l’époque que de la finesse de sa verve. Par ailleurs, les rois se montrent sensibles aux arts, à l’image de Jacques VI, lui aussi poète, qui se fit mécène en encourageant la création du Castalian Band sur le modèle de la Pléiade française. Si les étincelles qui ont certainement dû émailler leurs joutes verbales ont tout autant disparu que leurs travaux d’écriture, il nous reste néanmoins une autre anthologie d’importance, celle dit de Bannatyne, qui récapitule les poètes écossais des XVe et XVIe siècles. Enfin, l’heure sonne la naissance des fameuses ballades écossaises au début du XVIIe. Elles chantent encore les mythes et légendes traditionnels mais commencent à faire rimer une langue qui peu à peu gagne du terrain, l’anglais.Auteurs prestigieux
En 1736 naît à Ruthven un homme qui allait avoir une vaste influence sur le cours de la littérature mondiale, bien que sa démarche fleure bon le subterfuge. Tout débute par le goût qu’entretient James Macpherson pour la collecte de manuscrits en gaélique et leur traduction en anglais qu’il s’amuse à réaliser pour son ami John Home, l’auteur de la très contestée tragédie Douglas. Alors qu’il n’a pas 25 ans, Macpherson annonce qu’il a fait une découverte étonnante, l’épopée d’un barde du IIIe siècle, Ossian, inspirée des périples du héros mythique Fionn Mac Cumaill. Dès la publication de la version traduite – Fingal, un ancien poème épique en six livres –, le doute s’immisce chez les érudits, d’autant plus que l’auteur refuse de présenter le manuscrit original. Qu’importe finalement ce que furent ses sources, fragmentaires ou largement nées de son imagination, sa démarche donna lieu à la création de l’ossianisme, mouvement poétique qui inspira dans une large mesure les premiers romantiques, dont Goethe qui ne cacha pas son enthousiasme pour cette œuvre.
L’époque fut également féconde pour le gaélique qui vit son premier ouvrage imprimé, un dictionnaire établit en 1741 par le poète majeur Alasdair mac Mhaighstir Alasdair, et le scots s’épanouit sous la plume de Robert Burns (1759-1796). Sa courte existence débute dans une famille d’origine paysanne, une oscillation entre la terre et les lettres qu’il entretiendra jusqu’à ses 37 ans, quand la mort le fauchera précocement. Devenu l’un des symboles de l’Écosse, de lui restent les chansons populaires anciennes qu’il a collectées et retravaillées, mais surtout un recueil personnel, Poems, Chiefly in the Scottish Dialect, qu’il publia en 1786. Considéré lui aussi comme l’un des pionniers du mouvement romantique, ses chants s’entonnent encore volontiers aujourd’hui les jours de fête.
Si la poésie continue à progresser en ce XVIIIe siècle, un autre genre commence à s’imposer, le roman, d’abord grâce à Tobias George Smollett (1721-1771) qui se révèle également plein de mordant quand lui vient l’envie de raconter ses voyages, et surtout grâce à un incontournable qu’il est à peine besoin de présenter : Sir Walter Scott. Né à 1771 à Édimbourg, c’est dans sa chère résidence de Abbotsford qu’il décèdera en 1832; entre ces deux dates il prendra soin d’explorer tous les pans de la littérature écossais, se révélant poète à son entrée dans la vie adulte, adaptant des manuscrits anciens, puis se frottant au courant romanesque en faisait paraître sous couvert d’anonymat Waverley en 1805. Gage de sa valeur, ce texte rencontrera un énorme succès alors qu’il ne pouvait pas jouir, de fait, de la renommée de son auteur. Scott continuera d’explorer la veine historique – et patriotique ! –, dans des publications si nombreuses qu’il serait peut-être bon de s’y initier en commençant soit par sa préférée, L’Antiquaire, soit par sa plus célèbre, Ivanhoé.
Un autre style prend la relève sous l’incarnation d’un personnage qu’il est difficile de ne pas associer à son adresse londonienne (221B Baker Street) alors que son créateur est pourtant Écossais. C’est en effet à Édimbourg qu’Arthur Conan Doyle vit le jour le 22 mai 1859. Après avoir chassé la baleine au Groenland et avant de participer à la seconde guerre des Boers en tant que médecin, le futur Chevalier du Très vénérable ordre de Saint-Jean voit publier dans le Beeton’s Christmas Annual de 1887 son premier roman, Une étude en rouge, dans lequel apparaît déjà Sherlock Holmes qui lui aurait été inspiré par un ancien professeur, Joseph Bell, à en croire les supputations d’un autre grand nom des lettres écossaises, Robert Louis Stevenson. Ce dernier est également édimbourgeois, de neuf ans plus âgé que Conan Doyle. D’une enfance souffreteuse lui vient le goût de la lecture et des voyages immobiles qui, plus tard, ne le détournera ni de la vie de bohème ni de l’envie d’explorer le monde.
Ainsi, le récit du périple qu’il entreprit sur un chemin long de 230 km qui désormais porte son nom dans les Cévennes reste un grand classique pour les amoureux de la marche. Mais Stevenson est bien évidemment aussi l’auteur de L’Île au trésor, qu’il débuta pour égayer son beau-fils, et d’un beau corpus de nouvelles qui se teintent parfois d’une touche fantastique, ce qui n’a certainement pas déplu à son quasi-contemporain, le père de Peter Pan, J.M. Barrie (1860-1937) qui est souvent rattaché au Kayliard. Cette école, parfois jugée excessivement sentimentale, en tout cas trop idéaliste, provoquera à l’aube du XXe siècle un véritable rejet. L’époque se prête à l’urbanisation massive et déjà se fait ressentir l’industrialisation galopante, les écrivains modernistes d’alors n’ont qu’une hâte, sans doute avec un léger décalage sur leurs pairs européens, décrire la réalité, celle qui se fera d’autant plus féroce que la Première Guerre Mondiale approche.
Ce changement de braquet coïncide avec la publication d’un roman sans concession de George Douglas Brown, The House with the Green Shutters, mais aussi avec le renouvellement de l’intérêt porté aux écrivains de langue scots, notamment Hugh MacDiarmid (1892-1978) dont le talent culminera dans A Drunk Man Looks at the Thistle. Largement traduit en français, son contemporain A. J. Cronin s’inspire en partie de sa vie pour écrire ses deux plus grands succès, La Citadelle et Les Années d’illusion à découvrir au Livre de Poche, procédé qu’utilisera par ailleurs le poète Edwin Muir (1887-1959). Étonnamment, la Renaissance écossaise met aussi en exergue la ville de Glasgow, à tel point qu’il pourrait être fait mention d’une école littéraire portant son nom dès les années 1920 si on songe à l’œuvre Open the Door ! de Catherine Carswell (1879-1946) qui est plutôt restée dans les mémoires pour sa très controversée biographie de Burns. Mais c’est 50 ans plus tard que Glasgow devient vraiment la ville fédératrice d’écrivains décidés à s’exprimer franchement, quitte à en découdre avec le langage. Outre le précurseur Alasdair Gray (1934-2019), auteur de l’inclassable roman-culte Lanark (éditions Métailié), y sont associés Iain Banks, John Burnside et Irvine Welsh, tous trois nés dans les années 50, mais aussi Ian Rankin qui se dédie au polar ou Hal Duncan qui lui préfère la science-fiction. Glasgow a enfin vu naître deux écrivains célèbres qui ont en commun leur amour pour la France, l’essayiste Kenneth White et l’auteur de romans policier Peter May.