Découvrez l'Andalousie : A l'écran (Cinéma / TV)

En Andalousie, il ne faut pas se fier aux apparences, lesquelles ne sont pas négligeables quand il s’agit de cinéma. Un chien andalou (1929), le célèbre court-métrage surréaliste de Luis Buñuel et de Salvador Dali, apporte peut-être un indice. Le titre était-il une fausse piste pour le spectateur innocent qui s’attendait à voir surgir quelques éléments du folklore andalou ? En vérité, une Andalousie fantasmée, ainsi que sa cohorte de stéréotypes – le flamenco, son architecture mauresque, la corrida, et même son accent – se sont longtemps substitué à l’Espagne dans l’imaginaire collectif, et le cinéma n’y a pas été étranger. Ces clichés s’enracinent néanmoins dans une réalité qui explique que le cinéma a d’abord snobé l’Andalousie : économiquement pauvre, géographiquement éloignée des lieux stratégiques que sont Barcelone au début du siècle, puis Madrid à l’arrivée au pouvoir de Franco, elle attire peu les réalisateurs, sans compter que la plupart des films sont alors tournés en studio.

Un folklore encombrant ?

L’Andalousie, ses contrées calientes et, comme qui dirait, gorgées de soleil, se voit pourtant reconstituée dans des españoladas, terme désignant ces œuvres qui, dans la droite ligne du romantisme et de Carmen par exemple, fantasment une Espagne de pacotille. Anecdotiques, elles capitalisent, en colportant toujours les mêmes lieux communs, sur une mythologie qu’on associe à la région. Et après tout, c’est une vieille tradition en Espagne, à laquelle on a donné le nom de costumbrismo, qui consiste à faire substituer à la réalité un folklore parfois monté de toutes pièces. Les audiences en raffolent et il est logique qu’elles soient servies. La Reine Maure (José Buchs, 1922), inspiré d’une zarzuela, genre de théâtre chanté espagnol, contribua à ouvrir cette voie au cinéma. Puis Florián Rey, originaire de La Almunia, se fait un spécialiste de ce genre de films, et son premier film parlant, à titre d’exemple, se nomme Football, amour, corrida (1929) – sans que l’on sache si l’ordre importe. C’est aussi lui qui lança la carrière d’une des vedettes de l’époque, connue sous le pseudonyme d’Imperio Argentina. Chanteuse et actrice, elle s’illustra dans une adaptation de Carmen, Nuits en Andalousie (Herbert Maisch, 1938), tourné un peu à Séville, mais surtout dans des studios en Allemagne – signe de la popularité de cinéma plein de couleurs locales à l’étranger – et dont les numéros musicaux présentent toujours quelque intérêt. L’españolada ne sera jamais aussi populaire que dans les années 50-60, dans des films aux titres évocateurs à défaut de rester dans les annales, comme Le Tourisme est une grande invention (Pedro Lazaga, 1968) ou Quarante degrés à l’ombre (Mariano Ozores, 1967).

L’Andalousie déguisée

Un film célèbre, qui se déroule en Castille, viendra d’ailleurs faire la satire amusée de ce goût pour le pittoresque andalou. Bienvenue Mr Marshall (Luis Garcia Berlanga, 1953) raconte l’imposture à laquelle en sont réduits des villageois castillans soucieux d’obtenir des subventions américaines : pour flatter leur goût du folklore, les voilà en train de s’improviser en petit village andalou typique. Par réversibilité, est-ce une indication de la faculté qu’a l’Andalousie de se transformer et d’adopter toutes sortes de déguisements ? La liste est longue : Lawrence d’Arabie (1962) de David Lean, recrée le désert de Jordanie dans les dunes de Cabo de Gata, Damas grâce à la complicité de l’Hôtel Alfonso XIII à Séville, ou une ville orientale sur la plage d’El Algarrobico. Fort de son succès, visiblement inspiré, Lean reviendra pour tourner Docteur Jivago (1965), où les paysages naturels des provinces de Cadix ou Grenade ont servi à représenter l’Oural. Le western-spaghetti use de ces paysages sauvages et spectaculaires, notamment ceux de la Sierra Nevada, pour représenter l’Ouest américain. Ainsi Sergio Leone a-t-il écumé l’Andalousie, ses petits villages pittoresques ou le désert de Tabernas à la recherche des extérieurs pour ses westerns, notamment la trilogie qui l’a rendue célèbre (Pour une poignée de dollars, 1964 / Pour quelques dollars de plus, 1965 / Le Bon, la Brute et le Truand, 1966), ou Il était une fois la révolution (1971), dans lequel la gare d’Almería endosse le rôle de la banque suscitant la convoitise des protagonistes. Cet héritage a donné lieu à la création de parcs d’attraction ou de circuits touristiques, et à un hommage d’Alex de la Iglesia, 800 balles (2002), où d’anciens cascadeurs défendent les décors abandonnés de cette époque, alors qu’ils sont menacés de destruction. Quoi de plus logique donc qu’on y ait ensuite recréé des univers imaginaires dans Star Wars (L’Attaque des clones, Georges Lucas, 2002) ou Game of Thrones – ou même d’illogique à trouver Tom Cruise, qui semble affectionner beaucoup la ville, à Séville durant la Semaine sainte au milieu de défilés qui ont en fait lieu… à Valence (Knight and Day, James Mangold, 2010). Dans Meurs un autre jour (Lee Tamahori, 2002) Halle Berry émerge de l’eau d’une plage andalouse, qui est censée se trouver à Cuba, ainsi que le confirme la vision un peu plus tard du Castillo de Santa Catalina. À l’inverse, Le Destin (1997) de Youssef Chahine, qui présente une image rare de l’Andalousie sous domination maure, n’a pourtant pas été tourné dans la région. Hollywood fait fi de la vraisemblance et l’Andalousie, terre de légendes, le lui rend bien. La Plaza de España, l’Alcázar et les bains de doña Marie de Padilla à Séville, l’Alhambra à Grenade jamais ne s’useront.

Bas les masques !

Charge donc aux réalisateurs espagnols de gratter cette surface un peu… disons postiche. La Sabina (José Luis Borau, 1979), qui évoque une légende locale au sujet d’une femme dragon, est une production à gros budget inhabituelle pour l’époque. Carlos Saura a consacré une trilogie au flamenco, avec Noces de sang (1981), Carmen (1983), L’Amour sorcier (1986), puis quelques documentaires. Pedro Almodovar n’a fait que de brèves incursions dans la région, pour La Loi du désir (1987) alors que le bouleversant Parle avec elle (2002) se déroule en partie à Cordoue et sa province alentour – un mariage a lieu dans le sanctuaire de la Virgen de Araceli. La maison des parents de Julieta (2016) se situe dans la petite ville de Mairena del Alcor. La tranquillité d’un truand anglais qui jouit d’une retraite paisible dans le village Agua Amarga se voit troublée par l’arrivée d’un de ses anciens collègues dans l’excellent Sexy Beast (Jonathan Glazer, 2000). Antonio Banderas, après être devenu une vedette internationale, est rentré au pays à Malaga pour y tourner un récit d’apprentissage d’inspiration autobiographique (Summer rain, 2006). Capitaine Alatriste (Agustín Díaz Yanes, 2006), fresque historique avec Viggo Mortensen, fait la part belle aux villes de la province de Jaén telles que Úbeda et Baeza. Blancanieves (Pablo Berger, 2012) est une variation baroque et muette sur Blanche Neige dans le milieu des toreros du Séville des années 20. Il est curieux que l’autre grand réalisateur espagnol, Victor Erice, n’ait jamais pu tourner, faute d’argent, la deuxième partie de Le Sud (1988), qui se déroulait dans la région et s’en va rejoindre le panthéon des films inachevés et mythiques comme le Don Quichotte d’Orson Welles. Un cinéma social s’est aussi développé dans le courant des années 90 et 2000. Chus Gutiérrez évoque la culture gitane dans Alma gitana (Chus Gutiérrez, 1996), Solas (Benito Zambrano, 1999), ou les drames de l’immigration clandestine avec Retour à Hansala (Chus Gutiérrez, 2008), Andalucía (Alain Gomis, 2007) ou Andalousie, mon amour (Mohamed Nadif, 2011). La Isla Minima (Alberto Rodríguez, 2014), un polar très réussi, qui situe son enquête dans les marais et les rizières qui bordent le Guadalquivir, est une énième preuve de la prédilection des Espagnols pour le cinéma de genre. Ocho apellidos vascos (Emilio Martinez-Lazaro, 2014), une comédie à succès assez récente, présente quelque intérêt dans la mesure où elle se moque de stéréotypes tenaces sur les Andalous.

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