Les années 1970
C’est à New York que sont réellement nés le tag et le graffiti. Au tout début du hip-hop (milieu et fin des années 1970), c’est une véritable déferlante de peintres à la bombe aérosol qui s’abat sur New York. Les artistes peignent des rames entières de métro la nuit afin que leurs œuvres voyagent dans tout New York et que les crews (bandes) de South Bronx sachent que ceux de Franklin Avenue à Brooklyn sont plus talentueux et plus téméraires qu’eux. Se sont succédé pendant deux décennies des styles wars (guerres de style), au cours desquelles les graffiti artists rivalisèrent d’adresse, d’audace et de créativité pour développer de nouvelles techniques de peinture (lettrages, formes, espace, couleurs, etc.). La MTA (qui gère le métro new-yorkais) y laissa des fortunes en nettoyage et, surtout, ces « nuisances visuelles » furent totalement assimilées au climat d’insécurité sauvage qui planait sur New York à cette époque.
Keith Haring
Dans les années 1980, un personnage arrive sur la scène du street art aux côtés de Jean-Michel Basquiat. C’est Keith Haring qui peint pour la première fois en 1982 la fresque murale Bowery. Elle est longtemps restée l’un des lieux les plus emblématiques du street art et des graffitis à Manhattan. Goldman Properties a acheté le mur deux ans plus tard. La peinture murale est restée intacte jusqu’à la mort de Haring en 1990. Elle a finalement été repeinte. Dans la 2e avenue, il a aussi peint une fresque en 1986 sur le mur d’un terrain de handball afin de sensibiliser l’opinion à l’épidémie croissante de crack dans laquelle se trouve New York dans ces années-là. Et, pour remonter un peu dans le temps, au milieu des années 1960, le Germania Bank Building, 190 Bowery était l’immense domicile du photographe commercial Jay Maisel et de sa famille. Maisel, qui louait les étages de l’immeuble à des artistes tels que Roy Lichtenstein, était un ami des artistes et permettait à des graffeurs de taguer et peindre le bâtiment le long des rues Bowery et Spring. Le coin est rapidement devenu un lieu de prédilection des artistes de rue qui ont décoré régulièrement pendant plus d’un quart de siècle les grandes fenêtres obturées.
L’usine de Five Pointz
Située à Hunters Point dans le quartier du Queens (Long Island City), 5Pointz – Five Pointz ou 5 Pointz Aerosol Art Center, Inc – était aussi considéré comme « la Mecque du graffiti ». Implanté dans une usine désaffectée de compteurs d’eau de 20 000 m², cet immeuble a été mis à la disposition des street artistes en 1993 dans le cadre d’un programme public intitulé « Graffiti Terminators » qui a été instauré contre le vandalisme. Le nom de 5Pointz a été pensé pour cet immeuble en référence aux cinq arrondissements (boroughs) de la ville de New York. Ce lieu emblématique du street art à New York a marqué les graffeurs pendant deux décennies. À son arrivée à la mairie en 1994, Rudolph Giuliani déclare également une guerre sans pitié au graffiti (nettoyage immédiat, condamnations à des peines de prison, amendes astronomiques, patrouilles policières, etc.). Néanmoins, le LISA, le Little Italy Street Art Project, une association à but non lucratif, qui a élargi depuis sa liste de peintures murales au-delà de Mulberry Street, ainsi que dans SoHo, NoHo et le Lower East Side, a été créé en 2012 par Wayne Rada. Shepard Fairey produit plusieurs pièces pour la collection LISA, y compris une peinture murale en l’honneur de Debbie Harry de Blondie, sur Bleecker et Bowery. La peinture d’Audrey Hepburn sur Mulberry par Tristan Eaton est l’une des peintures murales les plus photographiées de New York.
Le phénomène Banksy
En octobre 2013, le célèbre et mystérieux street artist britannique Banksy débarque à New York pour y réaliser toute une série de graffitis et d’installations lors d’un véritable marathon artistique de plusieurs semaines baptisé Better Out Than In (« Mieux dehors que dedans »). Ses aventures new-yorkaises passionnent littéralement médias et opinion publique, grâce notamment à certains coups d’éclat, comme celui de ce stand éphémère : Banksy y fait vendre ses pochoirs de manière totalement anonyme pour 60 US$ pièce. Seulement trois clients seront intéressés. Sachant que la valeur marchande de ces œuvres peut atteindre le million d’euros, l’artiste a clairement voulu ironiser sur le marché de l’art et de la valeur démesurée de ses propres œuvres. Puis, triste nouvelle pour les amateurs de graffiti : dans la nuit du 18 au 19 novembre 2013, les murs bariolés de l’immense usine abandonnée de 5Pointz ont été repeints en blanc. Un an plus tard, les bâtiments sont rasés. Le site était en sursis depuis des années, les propriétaires voulant démolir ce site pour y dresser deux tours dans ce quartier en pleine gentrification, des tours qui ont vu le jour aujourd’hui. En 2014, Maisel a également vendu le bâtiment dont il était propriétaire et la plupart des graffitis ont depuis été nettoyés, mais les artistes continuent de laisser leur marque.
JR à New York
La même année, l’artiste français JR a créé une immense installation dans l’hôpital abandonné d’Ellis Island, placardant des photographies anciennes d’immigrants arrivant à New York. Récemment, les visages des personnages à l’extérieur du bâtiment ont été échangés. Bien qu’ils aient les corps de photographies des XIXe et XXe siècles, JR a superposé les visages de Syriens d’aujourd’hui qu’il avait photographiés alors qu’il se rendait dans un camp de réfugiés en Jordanie. En outre, depuis 2014, dans le Lower East Side, East Harlem et Staten Island, un autre projet de street artistes a permis à des dizaines de graffeurs de peindre dans les rues. Les artistes vont des plus émergents aux plus établis, tels que l’artiste Kenny Scharf ou Buff Monster. Mais les plus beaux graffitis sont aujourd’hui à Brooklyn : à Williamsburg le long de Kent Avenue, et à Bushwick autour de l’arrêt Jefferson St., sur la ligne L, deux des derniers lieux où les artistes peuvent encore s’exprimer sans risquer d’amende et sans craindre de voir leurs œuvres repeintes le lendemain.
Le renouveau du street art à New York
Malgré une campagne de répression très dissuasive, quelques artistes se risquent encore aujourd’hui à apposer leurs tags çà et là. C’est le cas du Français Invader, ou encore de Shepard Fairey, le graffeur à l’origine du poster de campagne d’Obama en rouge et bleu intitulé « Hope ». Williamsburg, avec Wythe Street, reste encore un des seuls quartiers de New York où les graffitis ont repris leur droit sur les murs des bâtiments en briques rouges. Une balade dans East Village et dans quelques coins du Queens permet aussi d’admirer des graffitis d’artistes récents. Aussi, allez voir la plus grande galerie en plein air du monde : elle se trouve à Harlem et elle abrite les œuvres d’un certain Franco, artiste qui expose depuis l’Hudson River jusqu’à Harlem River sur les rideaux métalliques de la 125 th Street, laquelle rue porte le nom de Franco’s Boulevard. Certains graffeurs repeignent les murs de la ville en toute légalité. C’est le cas des artistes du Bushwick Collective qui décorent les murs de Flushing Avenue et Wyckoff Avenue. Tous les deux ou trois mois, les graffitis sont remplacés par de nouveaux. Des graffeurs étrangers sont régulièrement invités pour présenter leur travail. Enfin, depuis sa destruction, l’usine 5Pointz n’avait pas dit son dernier mot : 21 des street artists qui avaient réalisé ces graffitis ont porté plainte devant la justice pour la destruction de leurs œuvres, et, début 2018, le jury leur donne raison et leur donne droit à 6,7 millions de dollars d’indemnités. Le procès suit toujours son cours, les propriétaires ayant fait appel de cette décision. Le graffiti est certes beaucoup moins présent dans les rues, néanmoins, nombreuses sont les boutiques qui commandent des fresques pour leur devanture. Enfin, bien sûr – les artistes ayant dû trouver d’autres supports – les galeries d’art ont depuis longtemps récupéré le phénomène. Si l’esprit d’origine du street art s’est un peu, voire beaucoup galvaudé, cela a aussi ouvert de nouvelles voies d’expression et de renouvellement pour cet art pictural.