Découvrez MADRID : Beaux-Arts (Peinture / Sculpture / Street Art / Photo)

Terre de métissages, l’Espagne a su se forger une forte personnalité en restant ouverte sur le monde. Marquée par huit siècles de domination arabe, son histoire s’est enrichie d’héritages qui ont tissé son paysage culturel sans pareil. Madrid a été déclarée en 1561 première capitale permanente du pays par le roi Philippe II. Nichée au cœur de la péninsule ibérique, Madrid est désormais un pôle culturel majeur en Europe. La richesse de son patrimoine donne le tournis. Du Musée archéologique au foisonnement de chefs-d’œuvre du Paseo del Arte jusqu’aux fresques contemporaines, tous les courants artistiques cohabitent à Madrid. Plus récemment, le vent de liberté de la Movida a incité les Madrilènes à laisser éclater leur créativité à tous les coins de rue. Pour conclure une tournée des lieux culturels officiels, une chasse au street art est un excellent moyen de goûter à la vie locale. À Madrid, il y en a pour tous les goûts.

Corrida dans l'arène divisée, 1825, Francisco de Goya  .jpg

Première dame de l’Antiquité

Occupée dès le paléolithique, la péninsule ibérique regorge de vestiges laissés par les populations venues s’intégrer aux Ibères, d’abord celtes, puis phéniciennes, grecques et carthaginoises. Parmi les premiers témoignages retrouvés en Espagne, la Dame d’Elche nous éclaire sur les modes de vie de son époque. Ce buste féminin en pierre calcaire daté du Ve siècle av. J.-C. surprend par les proportions équilibrées de son visage qui reflète la forte influence de l’art grec. Cependant, ses bijoux et sa tunique constituent un parfait exemple de tenue ibère. Une cavité creusée dans sa partie postérieure servait probablement à conserver des reliques. Qu’elle soit une déesse, une reine ou une défunte, elle reste la pièce maîtresse du Musée archéologique national, fondé en 1867 par la reine Isabelle II. A ses côtés, figurent des sculptures ibères, des mosaïques romaines et des vestiges wisigoths, hispano-musulmans et médiévaux.

Naissance de la peinture espagnole

Les manuscrits enluminés par des moines mozarabes au Xe siècle sont les premières manifestations connues de la peinture espagnole. Aux XIe et XIIe siècles, les fresques murales se répandent dans les églises. Caractérisée par l’absence de perspective et la rigidité des personnages, elle révèle des détails qui la rendent spécifiquement espagnole. Durant la période gothique, le travail des artistes sur les retables des édifices religieux s’enrichit d’influences extérieures. En Castille, l’influence française se propage à partir du XIVe siècle, suivie au XVe siècle de l’influence italienne. La perspective se précise et le corps humain se glorifie. A Valence, Fernando de Llanos introduit la technique de Léonard de Vinci. Prélude à l’intensité dramatique et à la somptuosité des peintures du XVIe siècle.

Le Siècle d’or

Crétois formé à l’école vénitienne, Le Greco arrive en Espagne en 1570. Son œuvre marque au tournant du siècle un point culminant de l’art européen. Imprégné des œuvres du Titien et du Tintoret, Le Greco maîtrise parfaitement les formes et les couleurs. Son habileté technique confère à ses tableaux une expressivité emplie de spiritualité. Outre sa Trinité, l’art espagnol des XVIe et XVIIe siècles est représenté par Le Martyre de saint Philippe de Ribera, Sainte Élisabeth du Portugal de Zurbarán ou L’Immaculée Conception de Murillo.

Comme ailleurs, la mythologie gréco-romaine servit en Espagne de prétexte pour montrer la nudité. Les histoires de dieux et de héros permettaient de peindre des scènes de nus que la morale aurait condamnées en d’autres circonstances. Ainsi, Velázquez, né en 1599, soit deux générations après Le Greco, traite de thèmes mythologiques dans l’intention de questionner la notion de pouvoir. Peintre officiel de la cour de Philippe IV, Velázquez fait preuve d’un talent inédit. Avec Les Menines, il réussit à s’inclure dans une scène ordinaire de la vie du palais à travers un jeu de miroirs. Velázquez effectue deux voyages en Italie. À cette époque, les liens entre les peintres des différentes écoles européennes se resserrent et les échanges se multiplient. Nombre de ses toiles sont conservées au musée du Prado. À noter que le Prado possède également un millier de sculptures, dont un fonds gréco-romain et plusieurs milliers de dessins et d’estampes. La liste des grands maîtres intégrés à la collection initiée par les Habsbourg et les Bourbons donne le tournis : Goya, Bosch, Raphaël, Titien, Botticelli, Dürer, Le Caravage, Véronèse, Watteau, Poussin, Le Greco pour n’en citer que quelques-uns.

Goya ou l’histoire en direct

Au XVIIIe siècle, alors que le souffle créateur s’épuise, un grand maître domine : Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828). Il peint aussi bien des portraits officiels, Charles IV et sa famille, que des drames historiques : El dos de mayo et El tres de mayo (1814) devenus les symboles de la résistance des Espagnols contre les Français dans la guerre d’Indépendance. Grâce aux tableaux de Goya, Les Fusillades et La Charge des Mamelouks, nous assistons à l’insurrection de mai 1 808 des Madrilènes contre les troupes napoléoniennes. L’artiste révolutionne le genre historique en capturant l’instant à la manière d’un photographe. Ce faisant, son talent grandiose posa les jalons de l’art visuel des temps modernes.

À la fin du XVIIIe siècle, le roi Charles III ordonna la construction d’une longue promenade de près de deux kilomètres, bordée d’arbres, de monuments et de palais majestueux. Devenue l’actuelle Promenade de l’art, elle permet de vivre une incursion vertigineuse dans le monde de l’art à travers ses trois pinacothèques incontournables.

L’époque moderne

Au tournant du XXe siècle, les principaux représentants de la vie culturelle de l’époque, tels que Jacinto Benavente ou Carlos Arniches, firent partie de la direction du Círculo de Bellas Artes, tandis que le jeune Picasso y suivait des cours de peinture et Ramón María del Valle-Inclán fréquentait ses salons. Implanté au cœur de la ville, ce centre pluridisciplinaire connu pour soutenir l’avant-garde accueille de nos jours des manifestations qui allient photographie, arts plastiques, littérature, science, philosophie, cinéma et arts de la scène.

Au début du XXe siècle, une vague d’artistes espagnols prend la direction de Paris, capitale prisée pour son esprit bohème. Ces artistes venus de Madrid, de Barcelone ou du Pays basque vont jouer un rôle de premier ordre dans l’émergence et le développement de l’art moderne. La figure de proue est Pablo Picasso, installé à Paris dès 1904. Il bouleverse l’histoire de l’art par ses incessantes remises en question et sa capacité à métamorphoser la réalité.

Parmi les grands noms espagnols de l’époque moderne, citons le peintre cubiste Juan Gris, installé à Paris dès 1907 ; Julio González, sculpteur ; Juan Miró, peintre sculpteur à l’âme poétique, et Salvador Dalí, prince de la provocation et de la mise en scène.

La Guerre civile et el Paso

Le gouvernement de la République vit dans l’Exposition universelle de Paris de 1937 une occasion de faire sa propagande. Dans le but d’affirmer sa modernité aux yeux du monde, l’Espagne rassembla dans son pavillon toute son avant-garde artistique. En plus du monumental Guernica, œuvre cubiste réalisée par Picasso pour dénoncer le bombardement de la ville éponyme, le musée national centre d’art Reina Sofia conserve quelques œuvres exposées dans le pavillon espagnol. D’autres artistes ont dénoncé la guerre d’Espagne, comme Salvador Dali et son tableau surréaliste au personnage désarticulé, Prémonition de la guerre civile, entrepris dès 1935. Il est bon de rappeler que Madrid fut l’un des derniers bastions à se rendre.

Les années 1950 et 1960 voient l’avènement d’une nouvelle génération d’artistes qui ne seront reconnus en Espagne qu’après la mort de Franco. Le groupe novateur « El Paso », formé à Madrid, s’exprime dans de nombreux domaines : de la critique sociale au pop art en passant par le néoréalisme. Ses représentants (Antonio Saura, Manuel Millares et Manuel Rivera, entre autres) introduisent aussi bien du tissu que du métal dans leurs tableaux. De leur côté, les peintres Juan Genovés ou Rafael Canogar revendiquent un langage pop qui s’engage dans la critique du régime franquiste.

Autre témoin de son époque, la photographie raconte une histoire parallèle. Des portraits de têtes couronnées cohabitent avec des images de paysans qui dénoncent la pauvreté. Elle relate également les causes défendues par les militants jusqu’à la guerre civile. Depuis ses débuts, la photographie espagnole aime jouer avec les codes de la peinture : hyperréalisme, surréalisme ou expressionnisme (Josep Renau). Signalons les expérimentations d’Antoni Arissa dans les années 1920-1930.

La Movida

La censure imposée par Franco depuis 1939 s’écroula du jour au lendemain alors que Juan Carlos Ier rétablit la démocratie. Accompagné d’un miracle économique, le souffle de la libération secoua le début des années 1980 en particulier dans le quartier de Malasaña et la calle del Pez. On trouve encore dans ces ruelles quelques graffitis bien conservés. Le renouveau de la vie nocturne se traduisit par le développement de lieux culturels et festifs, bars ou galeries d’art. Dans le même ton, les images aux tons saturés de la photographe madrilène Ouka Leele inspirent la jeune génération. Pour les amateurs, la salle Bárbara de Braganza de la Fondation Mapfre est entièrement consacrée à la photographie.

Né en 1956, Alberto García-Alix est l’un des photographes espagnols majeurs des années 1980. Son travail plein de sensibilité a documenté comme personne le milieu de l’underground, la nuit, le rock ou encore le porno. Ses portraits en noir et blanc « de ses potes » font de lui un témoin essentiel de la Movida. Récompensé du Prix national de la photographie en 1999, ses œuvres sont exposées à travers le monde.

Pour sa part, Chema Conesa, né en 1952, photographie les personnalités espagnoles contemporaines pour constituer une biographie en images de son pays. Le photographe Ramon Masats, fondateur du collectif La Palangana, a été récompensé par le prix PhotoEspaña 2014 pour son rôle dans « la professionnalisation de la photographie espagnole et sa grande influence sur les générations de photographes ultérieures ».

L’éclosion du street art

Dans la lignée de l’explosion délurée de la Movida, les graffiteurs madrilènes perpétuent la tradition et continuent d’égayer les rues de Madrid. Pour repérer ces œuvres parfois éphémères, l’idéal est de flâner dans les quartiers cosmopolites et populaires de Madrid comme Lavapiès. La calle de los Embajadores est considérée comme la rue la plus emblématique de l’art urbain. Graffitis, fresques ou tags, les artistes urbains investissent aussi bien les murs que les vitrines ou les abribus. L’imagination des Madrilènes s’exprime jusque sur les plaques des noms de rue en azulejos et les rideaux de fer des magasins. Surréalistes, naïfs ou engagés, ils ne laissent pas indifférents. En bas de la calle Argumosa, la Tabacalera s’affirme en tant que temple officieux du street art. Installé dans une ancienne manufacture de tabac, elle était cependant en rénovation (pour au moins quelques mois) lors de notre passage à l'automne 2023. Il faut savoir qu’en 2014, la ville a lancé le projet « Muros » destiné à animer les murs de cette zone. Parmi les graffitis, on compte celui de Suso 33, célèbre artiste madrilène passé de la rue aux musées.

Pour clore l’exploration culturelle de Madrid, le centre social et culturel la Casa Encendida soutient les jeunes créateurs tout en menant des activités éducatives grand public. En été, sa terrasse abrite un cinéma en plein air ainsi qu’un bar doté d’une vue unique sur Madrid.

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