Petit point sur la langue littéraire
Le castillan est attesté comme langue depuis le Xe siècle, mais la première œuvre littéraire, le Cantar de mío Cid, date du XIIe siècle. L’espagnol s’est très tôt fixé dans ses grandes lignes, beaucoup plus vite que le français. Des œuvres du XIVe siècle sont facilement compréhensibles de la part d’une personne cultivée et celles du XVIe siècle peuvent être lues par un encore plus large public, car les structures grammaticales et syntaxiques sont très proches de celles que l’on emploie en Espagne, de nos jours. L’espagnol est aussi la première des langues vulgaires européennes à s’être dotée d’une grammaire avec celle d’Antonio de Nebrija (1492) qu’il plaça au même rang de dignité que le latin. En 1714, l’Académie des langues fut fondée et en 1611, Sébastien de Covarrubias publia le Trésor de la langue castillane. L’Académie espagnole édita en 1726 le Dictionnaire des autorités.
Un style espagnol
Le XVe siècle, le Siècle d’or espagnol, connaît la vogue du roman picaresque. Les héros en sont généralement des pícaros (fripons), qui subissent la société et ses misères avec beaucoup de détachement. La pièce de théâtre La Celestina, attribuée à Fernando de Rojas, jette les bases de ce courant littéraire. Un jeune homme use d’un subterfuge pour conquérir le cœur de sa bien-aimée. El Lazarillo de Tormes, relatant les mésaventures d’un jeune homme qui travaille pour différents maîtres sinistres, est un autre grand classique de ce courant. À la même époque, le cordouan Luis de Góngora y Argote devient le poète lyrique par excellence. Dans Soledades (Solitudes), il fait référence à la mythologie. Le Madrilène Lope de Vega (1562-1635), auteur dramatique qui a écrit plus de mille pièces de théâtre, donne au sens de l’honneur une valeur collective.
Mais le plus connu de tous est sans aucun doute Miguel de Cervantes (1547-1616). La vie du génie du « Siècle d’or » espagnol, né à Alcadá de Henares, comporte quelques zones d’ombre. Issu d’une famille nombreuse, il fait des études universitaires auprès d’un maître, disciple d’Érasme, avant de partir à Rome avec le cardinal Acquaviva. Il devient soldat des troupes pontificales et participe à la bataille de Lépante (1571) où il perd un bras. Alors qu’il regagne son pays, il est fait prisonnier par les Turcs en 1575 et passe cinq ans au bagne d’Alger. De retour en Espagne, il se marie et se consacre aux lettres, un moyen d’exorciser ses mauvais souvenirs de bagnard. En 1585, il publie La Galatée, un roman pastoral. Il accepte par la suite le poste de gouverneur d’Andalousie ; durant son mandat, il trempe dans des affaires de corruption, ce qui lui vaut encore un séjour en prison. En 1605, El Ingenioso Hidalgo don Quijote de la Mancha est publié ; le public accueille avec un grand enthousiasme les aventures de ce chevalier candide. En 1613, nouveau succès avec les Nouvelles exemplaires dédiées au vice-roi de Naples, son protecteur, le comte de Lemos. Ce texte est émaillé de références à sa vie amoureuse et de considérations plus profondes sur la société espagnole. Deux ans plus tard, Cervantes écrit la suite et fin de Don Quichotte. Il y raconte l’histoire d’un aristocrate original qui, l’esprit égaré par la littérature chevaleresque, en plaque les épisodes sur la vie réelle. Nous suivons les péripéties de cet homme, à la fois rêveur et infortuné, qui, accompagné de son fidèle valet Sancho Pança, tente de sauver le monde. L’œuvre, comique par les situations, est également amère. Don Quichotte devient l’archétype de l’anti-héros. Cervantes meurt le 23 avril 1616, le même jour qu’un autre génie de la littérature, William Shakespeare. De son côté, Francisco de Quevedo y Villegas (1580-1645) s’attache essentiellement à la poésie burlesque et satirique, ainsi qu’au roman picaresque. El Buscón est certainement son œuvre majeure. Le dramaturge Tirso de Molina impose son type de Don Juan dans des œuvres que l’on peut considérer comme profanes ou religieuses. L’Abuseur de Séville est le premier Don Juan.
La littérature moderne : l’ingérence de la politique
L’année 1898 est celle de la perte de Cuba et d’une profonde interrogation, parmi écrivains et poètes, sur l’avenir de l’Espagne. Dans la « génération 98 », il convient de distinguer les noms d’Antonio Machado (1875-1939), de Rafael Alberti et de Federico García Lorca. Antonio Machado (1875-1939), poète et dramaturge né à Séville en 1875, est l’un des grands écrivains de la génération de 1898. Dans ses écrits, il s’attache surtout à l’intériorité des personnages. Après un voyage à Paris en 1899, il publie ses premiers poèmes dans la revue Electra ; en 1903, il édite son livre Soledades (Solitudes). Federico García Lorca (1898-1936), poète et dramaturge né en 1898 à Fuente Vaqueros (près de Grenade), a étudié la philosophie et les lettres à l’université de Grenade ainsi que le droit. Sa première pièce de théâtre, El maleficio de la mariposa (Le Maléfice du papillon) est un échec, mais il ne perd pas espoir et atteint son heure de gloire avec Maríana Pineda, un drame patriotique, rédigé en 1927. En 1928, il publie le Romancero gitano, son œuvre majeure dans laquelle se mêlent le côté populaire et la culture pour décrire le monde des gitans mal-aimés. Sa dernière œuvre, La Casa de Bernarda Alba, de 1936, est la pièce la plus représentée. A l’époque de la guerre civile, il est arrêté par l’armée franquiste, et fusillé dix jours plus tard, accusé d’être un fauteur de troubles et un agitateur de l’ordre social. Rafael Alberti (1902-1999) a écrit : « Je n’ai aucune profession, c’est-à-dire je suis seulement poète. » C’est à ce titre qu’il a reçu le prix national de littérature en 1925 et le prix Cervantes en 1983. Il est né à Cadix en 1902 et arrive à Madrid à 15 ans. Exilé politique en 1939, il obtient à son retour un siège de député pour le Parti communiste auquel il renonce finalement. Dernier poète de la génération de 1927, il meurt à Madrid le 28 octobre 1999, à 96 ans.
La fin de la guerre civile sera marquée par l’émergence de quelques nouveaux penseurs qui placent la question sociale au cœur de leur réflexion. La littérature espagnole semble renaître de ses cendres, avec des dramaturges comme Alfonso Sastre ou des romanciers comme Camilo José Cela, Antonio Ferres, Ramón J. Sender.
Les auteurs sud-américains
Au XXe siècle, les lettres espagnoles se verront enrichies de la contribution originale et innovante des auteurs sud-américains comme García Márquez, Pablo Neruda, Octavio Paz… Arrêtons-nous un instant sur le premier. Né en Colombie en 1927 et mort en 2014 à Mexico, Gabriel García Márquez est un auteur de romans et de nouvelles ainsi qu’un journaliste et militant politique. La violence et la solitude sont de ses thèmes favoris. Son premier roman, Des feuilles dans la bourrasque, est publié en 1955. S’en suivent d’autres romans Pas de lettre pour le colonel (1956), Cent ans de solitude (1967), Chronique d’une mort annoncée (1981)… En 1982, il reçoit le Prix Nobel de littérature pour « ses romans et ses nouvelles où s’allient le fantastique et le réel dans la riche complexité d’un univers poétique reflétant la vie et les conflits d’un continent ».
Quelques autres auteurs
Pío Baroja (1872-1956). Représentant de la « génération 98 », il est considéré par la critique comme le plus grand écrivain espagnol du XXe siècle. Né à San Sebastián, il part étudier la médecine à Madrid, ville qui le séduit au point qu’il y passera la majeure partie de sa vie. Son premier roman Vidas sombrías sort en 1900 et sert de prélude à une trilogie sur la terre de ses ancêtres, Tierra vasca : La casa de Aizgorri (1900), El mayorazgo de Labraz (1903) et Zalacaín el aventurero (1909).
Camilo José Cela (1916-2002) a reçu le Prix Cervantes, le prix Principe de Asturias, le prix Nobel de littérature en 1989 et fut membre de la Real Academia. Homme polémique, il est aussi admiré que détesté. Son premier roman, La Famille de Pascual Duarte, une histoire violente et sanguinolente, publiée en 1942, fit scandale. Madera de Boj (Bois de bris), la dernière en date (1999) est une sorte de testament littéraire et stylistique.
Le XXe siècle et début du XXIe ont également été marqués par des grands noms de la littérature : Jan Benet (1927-1993) et son roman policier publié en 1980, devenu best-seller, L’Air d’un crime (El aire de un crimen) ; Manuel Vázquez Montallbán (1939-2003) qui a reçu en 1995 le Prix national des Lettres espagnoles ; Eduardo Mendoza (né en 1943) qui a reçu en 2016 le Prix Cervantes pour l’ensemble de son œuvre.
De jolies plumes contemporaines
Citons également Javier Marias (1951-2022) connu pour son style classique et élégant. C’est en 1971 qu’il publie son premier roman (Los dominios del lobo). Il reçoit le Prix Herralde pour L’Homme sentimental (1986) ainsi que le Prix Femina étranger pour Demain dans la bataille pense à moi (1996). Sa trilogie Ton visage demain (2004, 2007, 2010) connaît également un grand succès.
Lucía Etxebarría (1966-) vivant à Madrid s’est fait remarquer par sa biographie sur le chanteur de Nirvana Kurt y Courtney : aguanta esto (1996). C’est l’année suivante, en 1997, que son premier roman est publié : Amour, Prozac et autres curiosités. D’autres romans sont accessibles en français : Béatriz et les corps célestes (1998, 2005 pour la traduction), De l’amour et autres mensonges (2001/2005) ; le recueil de nouvelles Aime-moi, par favor (2003/2006) ou encore Je ne souffrirai plus par amour (2008), Sex & Love addicts (2010) et Le Don empoisonné de la folie (2017).
À Madrid, la Casa-Museo de Lope de Vega
Lope de Vega fut un auteur prolifique du siècle d’or espagnol. C’est à Madrid qu’est nichée, dans la rue Cervantes, sa maison, construite au XVIe siècle et dans laquelle il a vécu de 1610 à sa mort en 1635. Si la demeure a bien changé au fil des siècles, dès les années 1930 on s’efforça de retrouver son authenticité originelle. Tout a été reproduit et des objets ayant appartenus à Lope de Vega mis en place. C’est ainsi que les visiteurs peuvent découvrir une multitude d’objets, du mobilier, des livres et des œuvres d’art. Les visites sont disponibles en français !