De la Rome antique…
Étrangement, rares sont les écrivains qui naissent dans la Ville éternelle, bien que beaucoup la rallièrent, nombreux en parlèrent, et certains y poussèrent même leur dernier soupir, et cela semble déjà être le cas du temps de l’Antiquité. De cette faste période, il faut bien entendu retenir le nom de Plaute, né en 254 av. J.-C. à Sarsina et mort à Rome sept décennies plus tard. Il est considéré à juste titre comme le premier écrivain latin et, bien que le début de sa vie soit mal documenté, il est dit qu’il rallia la capitale pour faire carrière dans le théâtre. Même s’il dut se prêter à d’autres métiers pour assurer sa pitance, les pièces qu’il écrivit sont illustres et eurent une influence considérable sur les auteurs à venir, dont Molière. Vingt-et-une comédies lui sont attribuées avec certitude sur la centaine ayant circulé à son nom, il est encore aujourd’hui passionnant de lire, ou de relire, La Marmite, Amphitryon, Le Soldat fanfaron ou Les Ménechmes.
Au siècle suivant, un autre homme de scène écrit une œuvre incontournable, même si elle se résume à six pièces seulement : Térence. Les historiens débattent de son origine berbère, mais il est probable que ce soit en esclave qu’il fit ses premiers pas à Rome, avant de gagner la liberté par la grâce de sa beauté et de son intelligence. Maintes rumeurs circulent sur son compte, déjà de son vivant, et très peu d’informations nous sont parvenues sur les dernières années de son existence. Pourtant ses mots, eux, sont toujours là, et c’est un délice de découvrir L’Andrienne, L’Eunuque ou encore Les Adelphes, et de se réciter l’un de ses vers célèbres : « Je suis un homme, je considère que rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».
Le Ier siècle avant J.-C. s’émaille de noms restés dans la mémoire commune. Cicéron (106-43 av. J.-C.), bien sûr, reconnu pour la vigueur de ses discours, lui qui a déjoué la conjuration de Catilina, pour ses traductions en latin des philosophes grecs et pour ses ouvrages sur la rhétorique. Auteur classique à double titre, de par son style et de par sa moralité, il a également laissé à la postérité une abondante correspondance et quelques poésies qui n’atteindront certes pas la renommée de celles de son contemporain, et paraît-il ennemi juré, Catulle. Si ce dernier jouit de la vie romaine en homme oisif et fortuné, ses amours semblent laisser à désirer, ce qu’il ne cache ni dans ses épigrammes, parfois érotiques, ni dans ses pièces. Du cénacle des « noui poetae » dont il fait partie, lui seul est encore célébré, mais ce cercle a tout de même marqué les esprits par son appétence pour la nouveauté, qu’elle soit stylistique ou thématique. Les alexandrins s’attardent en effet sur les passions personnelles, très loin des grands mythes autrefois mis en vers par Homère. Un travail qui résonne avec De Rerum natura de Lucrèce, décédé à Rome vers 54 av. J.-C. Ce long poème en six parties, unique héritage de ce mystérieux auteur pourtant réputé prolixe, s’inspire de la philosophie du Grec Épicure, dont nous possédons encore moins de traces. Pour le plaisir, et bien que Rome ne fût certainement pas la ville dans laquelle il séjourna le plus longtemps, citons également Virgile qui assista aux bouleversements politiques de son temps, y fit référence dans ses Bucoliques, avant de s’attaquer au thème de l’agriculture dans les Géorgiques. Mais c’est pour L’Éneide qu’il mérite toute sa place dans ce bref aperçu de la littérature antique, tant il y dresse un fabuleux portrait de la capitale italienne. Son ami Horace bénéficie quant à lui à son retour de Grèce du soutien de Mécène, à qui il dédie ses Satires, Épodes et Odes. Mort à Rome quelques années avant la naissance du Christ, c’est là qu’il avait rencontré son cadet Ovide, qui lui aussi avait connu Athènes. S’autorisant à s’adonner à sa vocation poétique, celui-ci donne à lire dès son plus jeune âge son recueil Les Amours. Les succès se succèdent, mais selon ses propres dires L’Art d’aimer n’a pas l’heur de plaire à Auguste, et lui vaut l’exil. Ses Métamorphoses restent encore aujourd’hui un classique indémodable.
En ce Ier siècle après J.-C. apparaît un écrivain dont la réelle identité continue de provoquer la controverse, mais quoi qu’il en soit Pétrone peint dans son sulfureux Satyricon une Rome décadente qu’il est plutôt amusant de découvrir à notre époque, même si les rumeurs disent que ses moqueries à l’encontre du pouvoir, notamment contre Néron, lui auraient coûté la vie. Ce texte, qui est considéré comme l’un des premiers romans de la littérature mondiale, se lit en français aux éditions GF. Un autre auteur majeur aurait lui aussi été acculé au suicide pour s’être frotté d’un peu trop près aux politiciens : Sénèque, dont les tragédies Médée, Phèdre, Hercule furieux ou Les Troyennes sont tout autant célèbres que ses dialogues (De la vie heureuse, De la colère, etc.). Enfin, laissons aux historiens Tacite (La Vie d’Agricola, Les Histoires) et Suétone (Des Hommes illustres, La Vie des douze Césars) le soin de conclure une époque qui fut aussi riche en évènements qu’en œuvres littéraires.
… à aujourd’hui
Il faut s'autoriser un saut temporel d'envergure pour découvrir un auteur natif de Rome et celui-ci nous mène à la rencontre de Carlo Alberto Salustri (1871-1950), plus connu sous son nom de plume et anagramme : Trilussa. Doublement amoureux de sa ville, c'est en romanesco, le dialecte romain, qu'il écrit ses plus beaux vers, et avec mordant qu'il rédige des chroniques politiques pour la presse, décrivant au plus juste la vie de la cité sur plusieurs décennies. Né dans le plus parfait dénuement, il finit sénateur, et est resté très aimé de ses compatriotes. Une place porte désormais son nom et une statue à son effigie l'agrémente. Trilussa fut le contemporain de deux prix Nobel de littérature, Grazia Deledda (1871-1936) dont Le Pays sous le vent a été réédité par les éditions Cambourakis en 2017, et Luigi Pirandello, l'auteur de Un, personne et cent mille, qui s'éteignit à Rome en 1936. Dramaturge de renommée internationale, sa pièce Six personnages en quête d'auteur interroge avec finesse le rapport trouble entre fiction et réalité. Un autre écrivain émérite termina sa vie dans la ville aux sept collines, et son unique roman fut malheureusement un succès posthume : Giuseppe Tomasi di Lampedusa (1896-1957) succomba en effet d'un cancer avant même qu'un éditeur n'accepte Le Guépard. Le film éponyme, réalisé par Luchino Visconti et affichant un casting fameux, Claudia Cardinale, Alain Delon et Burt Lancaster pour ne citer qu'eux, remporta la Palme d'or à Cannes en 1963.
Le XXe siècle salua la naissance d'Alberto Pincherle, dont on connaît mieux le pseudonyme, Alberto Moravia. La tuberculose osseuse dont il souffre oblige très tôt le jeune garçon à quitter les cieux romains pour le soleil des sanatoriums où il subit de longues périodes d'isolement propices à la lecture et à l'écriture. Est-ce là que sont nés ses rapports ambigus à la sexualité et à l'ennui, et ce sentiment d'être étranger au monde et incapable d'y vivre qui habite ses futurs romans ? Toujours est-il qu'à son retour à la capitale il fréquente le mouvement d'avant-garde mené par Massimo Bontempelli, inventeur du réalisme magique et fondateur avec Curzio Malaparte, en 1926, de la revue Novecento. Si chaque contributeur s'engage à livrer un roman, celui du jeune Moravia, Les Indifférents, est refusé par le comité de sélection. Son père lui avance alors la somme nécessaire pour s'auto-éditer, et c'est un succès, tout autant qu'un scandale. Cette peinture d'une bourgeoisie désabusée par le prisme du regard de cinq personnages qui évoluent dans un quasi huis-clos et oscillent entre passions sans éclats et lassitude affichée, le tout servi par une écriture chirurgicale, sobre et distanciée, fait de ce premier roman une pièce maîtresse dans l'œuvre de l'auteur qui, de son propre aveu, pensait avoir alors déjà tout dit. Il n'est pourtant pas inintéressant de s'attarder également sur ses textes ultérieurs, que ce soit La Désobéissance, L'Ennui ou Le Mépris porté à l'écran par Jean-Luc Godard en 1963. Moravia fut l'époux d'Elsa Morante (1912-1985), romancière romaine qui elle aussi céda à la vocation littéraire dès son adolescence et qui également défia l'opinion publique avec La Storia qu'elle publia en 1974. Cette « Petite histoire » qui dresse un portrait effarant de la « Grande histoire » se dévore en poche chez Folio. Les amoureux des livres épais pourront enchaîner avec l'autobiographie que commence Dolores Prato (1892-1983) à peu près à la même époque. En effet, les éditions Verdier ont publié en 2018 l'intégralité de ce texte d'importance qui ne compte pas moins de 896 pages. Bas la place y'a personne est un monument littéraire qui plonge le lecteur dans un monde disparu, l'Italie rurale de la toute fin du XIXe siècle.
Les éditeurs français sont friands de traductions italiennes et il n'est pas rare de trouver sur les tables des librairies des auteurs contemporains. Citons par exemple Niccolò Ammaniti, né en 1966 à Rome, et qui, en plus de son métier de réalisateur, exerce celui d'écrivain. Son premier roman, Branchies (1994), a fait de lui l'un des chefs de file du mouvement « cannibale », ce nouveau réalisme qui comme son nom l'indique n'hésite pas à faire montre d'une certaine provocation, assez rock'n'roll. Ses autres livres, notamment Moi et toi ou Je n'ai pas peur, se trouvent plus facilement aux éditions 10-18, il y est question de récits d'enfance qui n'ont vraiment rien de tendre. Son cadet de quelques années, Alessandro Piperno, n'a pas la plume moins acérée. Avec les pires intentions, paru aux éditions Liana Levi, ne manque pas d'humour et prend pour cible une famille romaine issue de la bourgeoisie juive. Mais c'est avec Persécution, premier volet du diptyque qui se poursuit avec Inséparables, que l'auteur affirme son talent, celui de se moquer, certes, mais pas seulement. Plus récemment encore, citons La Ville des vivants, de Nicola Lagioia, qui propose, à travers le récit d'un fait divers, un voyage dans une Rome entre splendeur et décadence.