Découvrez ROME : A l'écran (Cinéma / TV)

Rome donne l’illusion d’être éternelle car elle n’a cessé de renaître, comme en témoignent ses ruines, ses monuments, et son architecture. Siège du gouvernement et de la papauté, il est normal qu’elle se soit autrefois rêvée en capitale européenne du cinéma avec Cinecittà. De fait, elle n’a cessé, grâce au cinéma, d’alimenter son mythe, tout en se laissant voir, ici ou là, telle que les Romains la vivent au quotidien. Ce qui est considéré aujourd’hui comme le premier film du cinéma italien en 1905 raconte la prise de Rome, le 20 septembre 1870, et veut consolider un mythe républicain qui s’est tout juste établi. Le premier long-métrage parlant, près de vingt-cinq ans plus tard, La Dernière berceuse (Gennaro Righelli, 1930), adapté d’une nouvelle de Pirandello, fut tourné dans les studios de la Cines, les plus grands d’Italie, avant qu’ils ne partent en fumée en 1935, encourageant le gouvernement de Mussolini à accélérer l’édification de Cinecittà.

Néoréalisme et baroque fellinien

Après la guerre, Cinecittà sert de centre d’accueil pour réfugiés, obligeant Rosselini à tourner Rome, ville ouverte (1945) en extérieur, dans une ville encore dévastée par les bombardements. Ce film consacré à la résistance romaine pendant l’occupation nazie est l’acte de naissance du néoréalisme italien : décors naturels et acteurs non-professionnels y ont la part belle pour évoquer la destinée de gens ordinaires. C’est le cas du célèbre Voleur de bicyclette (Vittorio De Sica, 1949), odyssée désespérée et lugubre à travers les faubourgs de la ville jusqu’au marché à vélos de Porta Portese, qui existe encore aujourd’hui. Umberto D, du même réalisateur (1952), enfonce le clou, non sans une certaine dose de sentimentalisme, avec son personnage de professeur à la retraite qui se voit contraint de mendier aux abords du Panthéon. Puis l’austérité de l’après-guerre laisse place à ce qu’on a appelé le « miracle économique » italien pendant que Cinecittà est remise sur pied, notamment grâce au succès de Vacances romaines (William Wyler, 1953), où Audrey Hepburn, dans le rôle d’une jeune princesse de passage, s’octroie, au mépris des conventions, une journée de liberté dans la Ville éternelle. Le film inscrit dans la mémoire collective quelques images iconiques : balade en vespa, vues du Colisée et du Château Saint-Ange, visite à la Bocca della Verità... Un cinéma carte postale est né, perpétué l’année suivante, mais en couleur cette fois, par La Fontaine de l’amour (Jean Negulesco, 1954), référence évidente à la fontaine de Trevi. Amours à l’italienne (Delmer Daves, 1962), dans la même veine, vaut également le détour et pas seulement pour son technicolor flamboyant. Un Romain d’adoption comme Fellini, qui n’a cessé, à travers ses films, de déclarer son amour pour la Ville éternelle, échappe difficilement à ces visions de carte postale, contribuant même à rendre certains de ses monuments les plus célèbres plus iconiques encore. C’est bien sûr le cas de la fontaine de Trevi où Anita Ekberg et Marcello Mastroianni prennent un bain de minuit dans La Dolce vita (1960). Chez ce grand illusionniste qu’est Fellini, deux Rome s’entremêlent jusqu’à se confondre : la Rome réelle, et celle, fantasmée, qu’il reconstitue dans les immenses studios de Cinecittà. Il en va ainsi de la via Veneto de La Dolce vita, refuge de la Rome mondaine et branchée de l’époque. Le film semble annoncer, dix ans auparavant, la fin d’une fête qui laissera place aux années de plomb à l’aube des années 1970. Fellini montre les mêmes penchants pour le décadentisme dans Roma (1972), qui se veut une succession de scènes d’anthologie et un portrait kaléidoscopique de la ville, de son folklore et de ses – nombreuses - contradictions. On y organise bruyamment des banquets dans la rue, parallèlement au défilé d’un catholicisme décrépit et ployant encore sous les fastes, on y montre les embouteillages dantesques, on y suggère les trésors archéologiques dont la ville recèle, mais la légèreté et l’élégance fatiguée de La Dolce vita semblent s’être un peu dissipées.

Entre insouciance et pessimisme

Entre temps, le cinéma italien a connu un âge d’or, les superproductions étrangères, américaines pour la plupart, se sont précipitées dans les studios de la capitale italienne pour y tourner péplums et autres films à grand spectacle, alors que la comédie à l’italienne offre la chronique acerbe des réalités italiennes de l’époque : machisme et consumérisme y sont tournés en ridicule avec une rare férocité. Les plus grandes réussites du genre, comme Il Giovedì (Dino Risi, 1964), ne sont pas exemptes de tendresse. Ces retrouvailles le temps d’une journée d’un père irresponsable et de son fils qu’il n’a pas vu depuis cinq ans méritent d’être redécouvertes et donnent un aperçu de ce qu’était alors la vie à Rome, avec ses cafés, ses terrains vagues ou ses plages toutes proches où l’on va se prélasser. Dans L’Eclipse (1962), Antonioni se sert du quartier de l’E.U.R. (Esposizione Universale di Roma, banlieue du sud de Rome à l’architecture fasciste d’inspiration classique) pour explorer les névroses et les angoisses existentielles de l’Italie moderne, ainsi que son thème éternel, l’incommunicabilité. L’esthétique fasciste est aussi le fil conducteur du Conformiste (1970) de Bertolucci, méditation sur ce qui régit l’adhésion au fascisme. Très loin de l’onirisme d’un Fellini, Pasolini s’intéresse à la Rome de la périphérie, des petits truands et des laissés-pour-compte dans Accatone (1961) tourné dans le quartier – aujourd’hui branché - de Pigneto, ou Mamma Roma (1962) avec Anna Magnani, situé en grande partie près du Parc des Aqueducs, non loin de Cinecittà. En 1974, Nous nous sommes tant aimés d’Ettore Scola a pour ambition de faire la généalogie des désillusions et des divisions qui se font jour dans la société italienne. Possible signe du pessimisme qui règne au début des années 1970, l’explosion du giallo, à mi-chemin entre thriller et film d’horreur baroque qui ne s’embarrasse pas de cohérence, sous la houlette de Dario Argento, né à Rome, qui tourne quelques scènes de son premier film L'Oiseau au plumage de cristal (1970) dans le Trastevere. Une Journée particulière (Ettore Scola, 1977) organise la brève mais émouvante rencontre dans la Rome fasciste des années 1930 entre Marcello Mastroianni, qui interprète un intellectuel sur le point d’être emprisonné à cause de son homosexualité, et Sophia Loren dans le rôle d’une femme au foyer, avec pour seul décor le complexe d’appartements où vivent les personnages.

Rome, de beaux vestiges

Le cinéma italien connaît alors une période de disette. D’anciens maîtres, comme Dino Risi, sombrent sporadiquement dans la vulgarité, et seul Nanni Moretti, dont la carrière prend son envol dans les années 1980, ou presque jette un regard neuf sur la ville et les changements qu’elle connaît. Volontiers autobiographiques, ses films sillonnent, à l’écart des circuits touristiques, une géographie intime de la capitale italienne, comme dans Journal intime (1994) avec son éternelle Vespa. Peter Greenaway célèbre les splendeurs architecturales romaines avec Le Ventre de l’architecte (1987). Puis il semble que la ville ait été un peu négligée avant que Anthony Minghella vienne y filmer une adaptation du Talentueux Mr Ripley (1999), avec la piazza Navona, les sculptures monumentales des musées du Capitole ou encore les ruines du Forum romain. Au même moment, le cinéma italien donne l’impression d'un certain renouveau : Romanzo Criminale (Michele Placido, 2006), longue fresque sur la mafia et ses liens avec les milieux politiques, a fait parler de lui en dehors des frontières italiennes, avant de donner lieu à une adaptation en série, l'occasion de se confronter au dialecte de la banlieue de Rome et à la tortueuse histoire du pays. Gabriele Muccino se spécialise, non sans talent, dans la comédie romantique (Comme toi, 2000) ou le drame grand public (Juste un baiser, 2001) avant de partir pour Hollywood. Gianni et les Femmes (Gianni Di Gregorio, 2010) rappelle les charmes de la comédie italienne des années 1960, en mettant en scène le tardif démon de midi d’un sexagénaire. Deux noms se sont distingués ces dernières années. Il y a d’abord Matteo Garrone, réalisateur de Moi Capitaine (2023), qui ne connaîtra pas le succès avant de quitter Rome, sa ville natale, et Gomorra (2008) sur la mafia napolitaine. Et Paolo Sorrentino, originaire de Naples, qui fait le trajet inverse pour tourner La Grande Bellezza (2013) à Rome. Il n’existe sans doute pas de meilleur tract touristique que ce film qui, prenant La Dolce vita pour modèle, offre un portrait enchanteur de la ville. Les festivités débutent par un concert à la Fontana dell'Acqua Paola, puis la caméra se met à virevolter à travers la ville, avec ses nombreux jardins (le Giardino di Sant'Alessio ou les allées verdoyantes du Palazzo Sacchetti), le long du Tibre au petit matin, se suspendre dans le Parco degli Acquedotti le temps d’une performance, scruter les soirées décadentes sur fond de musique techno de la grande bourgeoisie romaine post-berlusconienne, puis à accompagner le personnage principal dans ses promenades nocturnes sur la piazza Navona ou dans la via Veneto. Pour ne rien gâcher, ce dernier possède un appartement avec terrasse qui donne sur le Colisée. Sorrentino avait auparavant observé les arcanes du pouvoir dans Il Divo (2008), qui retraçait la longue carrière politique de Giulio Andreotti, sept fois Premier ministre. Rome continue de fournir une intarissable source de sujets, en tant que siège du pouvoir non seulement politique mais aussi religieux, auquel Nanni Moretti consacre une fable espiègle avec Habemus Papam (2011), avant que Sorrentino ne filme sa série The Young Pope (2016) avec Jude Law. Woody Allen a poursuivi sa tournée des grandes villes européennes avec To Rome With Love (2012), diversion légèrement anodine qui est un prétexte à revisiter une Rome de carte postale. Rome (2005-2007), une série péplum dont le tournage a nécessité la construction de décors monumentaux à Cinecittà, a participé à relancer l’engouement récent pour les séries, mais a dû être arrêtée au bout de deux saisons en raison de coûts trop élevés. Depuis la ville n’a connu que des apparitions passagères dans les séries, même si l'on peut mentionner Suburra (2017-2019), dont le titre renvoie à un quartier de la Rome antique, ainsi que Gomorra, qui revient pour la énième fois sur les liens et les affrontements de la mafia et des pouvoirs politiques et religieux. Dans le film qu’il a consacré à Berlusconi, Silvio et les autres (2018), entre Rome et la Sardaigne, Sorrentino se complaît non sans équivoque dans la vulgarité et indique quelques signes d’essoufflement, loin de la réussite que fut la Grande Bellezza. L’autre figure de proue du cinéma italien contemporain, Matteo Garrone, choisit la banlieue déshéritée de Rome, recréée en partie dans une ville fantôme des environs de Naples, comme décor de Dogman (2018), conte cruel et macabre qui montre que le cinéma romain a encore de beaux jours devant lui.

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