Immanquables tapas

Les tapas sont indissociables de la cuisine de la ville et comme dans le reste de l’Espagne elles ne sont pas uniquement de simples en-cas, mais de véritables moments de partage. Il existe une quantité invraisemblable de tapas et certaines recettes dépendent souvent de la créativité du chef, néanmoins on compte aussi des recettes emblématiques de la région. Pour commencer pourquoi ne pas se laisser tenter par un simplissime pa amb tomàquet, fait de pain frotté à l’ail et à la tomate, généreusement arrosé d’huile d’olive. Aussi basique que délicieux. Un peu plus sophistiqué, l’escalivada consiste en un mélange de légumes longuement grillés au four, souvent servi sur du pain et décoré d’anchois. Les cargols a la llauna sont aussi appréciés, généralement accompagné d’aïoli. Ces escargots cuits au barbecue avec un mélange de saindoux, d’herbes et d’épices se font très communs. Autre tapa préparée au-dessus des braises, les calçots, des oignons verts très doux grillés et servis avec une salsa romesco, à savoir une sauce crémeuse à base de tomate, de piments, d’amande et d’huile d’olive. Ces oignons longs ressemblant à de petits poireaux sont emblématiques de la ville de Valls, près de Barcelone et sont dégustés lors de la calçotada. Beaucoup de tapas sont plus simplement de la charcuterie, la Catalogne comme le reste de l’Espagne étant experte en la matière. Le terme embotit décrit différents types de saucisses et de saucissons dont la garniture peut varier énormément avec par exemple la botifarra, une variété de saucisse servie grillée, alors que le fuet et le paltruc se montrent plus proches d’un saucisson. Le paltruc negre est par ailleurs fait avec du sang de porc à la manière d’un boudin noir. Le jamón ibérico, bien que très consommé à Barcelone et dans sa province, n’est pas propre à la Catalogne, mais est produit dans une grande partie de l’Espagne et du Portugal. Toutefois les variétés locales portent le nom de pernil ibèric. Plus légère, la salade appelée esqueixada se prépare très fraîche à base de poivron, de tomate et de morue, cuite et effilochée, très appréciée durant les chaudes journées estivales. Plus copieuse, l’amanida catalana est une salade de laitue et de tomate richement garnie de charcuterie et d’olives. Autre en-cas, le coca de recapte est un type de tarte salée garnie principalement de légumes cuits et de poissons comme des sardines ou des anchois. Le terme « recapte » désigne tout ce que l’on peut trouver dans ses placards, la coca est donc très versatile, et c’est aussi un plat populaire par excellence.

Les classiques catalans

Au-delà des entrées et des tapas, il existe bien d’autres spécialités plus copieuses, dont de nombreux plats de poisson. Très raffinée, la sarsuela est un mets de fête à base de fruits de mer cuits dans une sauce sofregit, constituée de tomate et d’oignon, parfumée au safran. C’est un plat généralement consommé par les classes bourgeoises, contrairement au suquet de peix, plus simple, qui mélange poissons et pommes de terre dans une sauce à la tomate, parfois servi avec de l’aïoli. On retrouve un plat similaire à base de morue appelé bacallà amb samfaina. Si beaucoup de plats espagnols à base de riz comme la paella sont originaires de la région de Valence, on apprécie à Barcelone certaines spécialités comme le arroz a la cazuela, un riz en sauce généralement garni de viande de lapin et du porc, mais plutôt préparé avec des fruits de mer dans les régions côtières. Plus connu, le arròs negre est coloré à l’encre de seiche et garni de calamar et de crevettes.

Il existe également de nombreux plats de viande dont certains sont des recettes hivernales robustes comme le faves ofegades, à base de fèves et de saucisses. Plus surprenant le conill amb xocolata est un ragoût de lapin dans une sauce au chocolat. Le conill amb cargols, ce plat en sauce à base de lapin et d’escargots, s’impose comme la spécialité paysanne par excellence. Un mélange qui peut paraître étrange, même si ces deux ingrédients se retrouvent couramment dans la gastronomie espagnole comme dans la paella valenciana traditionnelle. Enfin la escudella i carn d’olla se présente sous la forme d’une soupe richement garnie de légumes d’hiver et de boulettes de viande.

Pour finir sur une touche de douceur, impossible de ne pas évoquer la crème catalane, délicatement parfumée au citron et à la cannelle. Cet entremets est emblématique de la cuisine de Barcelone. Elle est généralement servie sous forme d’une crème brûlée couverte d’une fine couche de caramel croquant, mais elle peut être utilisée telle quelle pour garnir des viennoiseries comme le xuixo, un croissant frit et généreusement saupoudré de sucre. Plus simple le mel i mató, un fromage frais de brebis qui s’accompagne de miel et de noix. Pour grignoter un en-cas sucré, rien ne vaut les panellets. Ces petites bouchées à base de pâte d’amande et de pignons sont traditionnellement servies avec un verre de vin doux lors de la Toussaint. Enfin le xocolata desfeta, à mi-chemin entre boisson et dessert, se révèle être un chocolat chaud si épais qu’on pourrait y planter une cuillère dedans, même si normalement on y plante surtout des churros (xurros en catalan) que l’on dévore surtout au petit déjeuner.

Le marché de la Boqueria

Pour déguster toutes ces spécialités, il existe de nombreuses adresses, mais rien ne vaut un détour au Mercat de Sant Josep ou Mercado de La Boqueria. Les plus vieilles mentions de ce marché, l’un des plus célèbres d’Europe, remontent au XIIIe siècle. Néanmoins, il s’agit encore à cette époque d’une structure informelle où les marchands venaient proposer leurs produits à même la rue. Au XVe siècle il sert de marché aux cochons. Il faudra attendre 1826 pour que La Boqueria acquière enfin un statut légal. Ce n’est qu’en 1840 que les infrastructures que nous connaissons aujourd’hui sont bâties : même si les plans seront modifiés de nombreuses fois, en 1911 le marché se dote enfin d’un toit toujours en place de nos jours qui permet de faire de ce lieu le marché couvert que l’on connaît aujourd’hui. Situé sur l’avenue de Las Ramblas, il possède une grande variété de produits frais ainsi qu’un nombre incalculable de spécialités catalanes. La Boqueria compte de nombreux restaurants où goûter la cuisine locale. En plus des en-cas à déguster directement sur place, ce marché est l’occasion de rapporter quelques spécialités dans ses valises. La Catalogne possède de nombreux produits bénéficiant d’une indication géographique protégée (IGP) comme la llonganissa de Vic, un saucisson très apprécié en tapas, originaire de la région d’Osona, au nord de Barcelone. Côté sucré, le torró d’Agramunt, est un nougat à base d’amande ou de noisette, parfumé au miel. Il est également possible de découvrir d’autres produits frais plus difficilement transportables comme les pommes de Girone ou encore les volailles de Penedès et de Prat. Il existe également de nombreux cépages en Catalogne dont une douzaine possède une denominación de origen (DO), l’équivalent espagnol de notre appellation d’origine contrôlée (AOC). Blancs, rouges ou rosés, parmi les plus connus on retrouve les vins de Penedès, de Terra Alta et de Tarragona. L’Espagne étant le premier producteur d’huile d’olive au monde, il est bien sûr évident que la Catalogne n’est pas en reste. Pour les aficionados, il faut savoir que la plupart des oliviers dans la région de Barcelone viennent de la variété arbequina permettant de produire plusieurs huiles d’olive de grande qualité détenant des IGP telles que l’huile des Garrigues, de Siurana ou de Terra Alta.

Une gastronomie de prestige international

Avec une cuisine aussi riche et unique, Barcelone et la Catalogne dans son ensemble se sont érigées rapidement comme l’épicentre d’une gastronomie inventive mêlant modernité et traditions. Dans le sillage du plus iconique des chefs catalans, Ferran Adrià, pape de la cuisine moléculaire – qui pourrait bien rouvrir prochainement son restaurant ElBulli sous la forme d’un laboratoire gastronomique –, une nouvelle vague de chefs s’est démarquée, au rang de laquelle le talentueux enfant du pays de Manresa, Jordi Cruz, tire son épingle du jeu. Auréolé de trois étoiles au Michelin depuis 2017 pour son restaurant de l’hôtel ABaC, ce chef méticuleux et esthète du bon produit est connu du grand public pour avoir été jury de l’émission Master Chef. Citons également parmi les Catalans novateurs et installés à Barcelone, Albert Adrià qui parvient, malgré la célébrité de son frère le même Ferran, à se faire un prénom grâce son habile maîtrise de la cuisine nikkei (cuisine fusion mêlant influences péruviennes et japonaises), mais aussi Carles Abellán qui réinvente les tapas dans son populaire Tapas 24 ou Albert Raurich qui marie cuisine catalane et cuisine asiatique à sa table 1-étoile Dos Palillos. Si son chef n’est pas Catalan, mais Basque, une adresse barcelonaise témoigne aussi de la vitalité culinaire de la ville : le restaurant Lasarte, couronné de trois étoiles par le Michelin (C/ Mallorca, 259) est tenu par le chef espagnol le plus étoilé, l’infatigable Martin Berasateguy, apprécié pour son esthétisme jusqu’au-boutiste. Après la France, la gastronomie catalane pourrait bien faire son entrée au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. C’est en tout cas la volonté des autorités locales, qui ont déposé un dossier de candidature en 2014 (www.cuinacatalana.eu). La qualité des produits, les singularités du terroir et l’innovation dans les techniques sont autant d’éléments qui devraient jouer en faveur de sa candidature.