La musique classique ottomane
La musique classique ottomane est aujourd’hui encore appréciée de la société turque. Elle s’est d’abord inspirée de la musique arabo-persane, puis son identité propre s’est façonnée à partir du XVe siècle, atteignant un pic de créativité au XVIIIe siècle. Les thèmes qui l’inspirent sont souvent en étroite relation avec la religion, l’armée, l’amour et la guerre. Rassemblant des éléments venus des pays annexés par l’Empire, la musique ottomane a été la source d’une véritable identité musicale. Après une rupture imposée par la Révolution kémaliste, elle s’est redéployée dans la seconde moitié du XXe siècle. Bien qu’Atatürk appréciât la musique classique ottomane, il l’avait fait interdire à la diffusion, préconisant de la remplacer par la musique classique européenne. Cette musique s’est peu à peu transformée en musique de divertissement, plus légère, et qui subsiste sous une forme édulcorée dans la musique populaire d’aujourd’hui, musique que l’on peut toutefois considérer comme le prolongement de la musique ottomane « réactualisée ».
Kudsi Erguner a fait découvrir au public occidental la musique savante ottomane. Celui-ci est aussi un virtuose de la musique soufie et du ney (flûte en roseau des derviches tourneurs). Les derviches sont des religieux, de l’ordre mevlevi, un ordre musulman soufi, qui utilisent la danse mystique pour communier avec Dieu, et dont les cérémonies sont totalement envoûtantes. Le soufisme est une doctrine datant du VIIIe siècle, qui a toujours cultivé le secret et qui occupe une place à part au sein de l’islam. Les membres de cet ordre portent le nom de derviches tourneurs du fait que les mouvements de leur danse se rapprochent de ceux d’une toupie. Le Tekke des derviches tourneurs, Mevlevi Tekkesi en turc, comporte un petit musée exposant un certain nombre d’objets et instruments de musique. Il s’agit du seul lieu de l’établissement soufi accessible aux visiteurs. Chaque dernier dimanche du mois, vous pouvez assister à une cérémonie de derviches tourneurs respectueuse de la tradition. Autre possibilité, le Hodjapasha Cultural Center qui propose aussi un show traditionnel mêlant danse et hypnose, qui permet de mieux appréhender cette approche spirituelle si particulière.
Les musiques traditionnelles
La musique populaire traditionnelle turque s’est enrichie et diversifiée sous l’influence des cultures d’Asie centrale, du Moyen-Orient, des Balkans, du Caucase et de l’Europe. Par opposition à l’environnement urbain et élitiste dans lequel la musique classique turque est née, la musique folklorique est le produit du monde rural au sein duquel elle s’est développée. On retiendra principalement des artistes tels que Şivan Perwer, Koma Ahmed, Kamkars et Ciwan Haco, ainsi que le désormais célèbre Kardeş Türküler, qui présente l’originalité de chanter en kurde, arménien, turc, laze, zaza… tout en reprenant des mélodies assyriennes, anatoliennes, alévies, yézidies ou arabes. Un vrai hymne à la tolérance et à l’harmonie entre les peuples. La musique folklorique turque s’est alimentée à deux sources principales : les créateurs de türkü et les âşık. Les créateurs de türkü chantent les chansons qui sont exécutées dans les cérémonies de célébration, les rituels particuliers, les cérémonies religieuses et dans les funérailles, un peu partout en Anatolie. Ils les chantent à plusieurs reprises et les modifient et y ajoutent des nouveaux mots et créent ainsi de nouvelles chansons qui s’appellent türkü. Alors que les âşık (amoureux, passionnés, pris dans le sens mystique) sont des chanteurs itinérants qui s’accompagnent le plus souvent au saz, le cordophone à long manche le plus répandu en Turquie. Depuis le début du XXe siècle, le terme « ozan » est plus utilisé que le terme « aşık » en Turquie. Mais le nom « ozan » est utilisé pour indiquer tous ceux qui récitent des vers. Le Fasıl, un type de musique semi-classique ottomane chantée et assez élaborée, est interprété par des orchestres en principe tziganes, quelquefois roum (Grecs d’Istanbul). Elle sert souvent d’accompagnement dans les fameuses meyhane, où les clients n’hésitent pas à danser et chanter après quelques verres de rakı. Pour capter un peu de l’essence de l’un de ces lieux chargés d’histoire et vivre une expérience unique, rendez-vous au Tarihi Cumhuriyet Meyhanesi, un meyhane caractéristique fondé dans les années 1920, spécialisé pour ses plats de fruits de mer, qui propose de la musique traditionnelle turque live. Les coupures de journaux dans l’entrée, les photographies encadrées et la musique traditionnelle vous feront plonger dans la Turquie d’antan l’espace d’un soir.
Vous pourrez découvrir les instruments locaux dans la Galip Dede Caddesi, une rue plus connue sous son surnom de rue de la musique. Entre la tour de Galata et la place de Tünel, les vitrines de magasins d’instruments de musique se suivent. Sur quelques centaines de mètres, il est possible d’admirer et de tester une multitude d’instruments dans une quarantaine de magasins. Magasins de pianos acoustiques et numériques, luthiers, accessoires, etc., on trouve tout dans cette rue. C’est là que vous pourrez découvrir la variété impressionnante des instruments locaux : des instruments à cordes (tel que le kementché, une sorte de rebec, petite viole de la région de la mer Noire, le bağlama ou encore le violon en calebasse.), des instruments à cordes au plectre (médiator) dont l’ut (luth), le tambur (mandoline), le çenk (harpe), le kanun et le santur (deux sortes de cithares). Vous y admirerez aussi des instruments à vent tels que la zurna (clarinette ou hautbois en bois), le çifte (doublé), le ney (flûte en roseau), la flûte champêtre (chalumeau des bergers), le tulum (musette), la cornemuse, l’harmonica et l’accordéon, ou encore des percussions telles que la darbouka (percussion en terre et peau), la grosse caisse, le kudüm, et le def (tambourin).
Principal rendez-vous estival musical, le Festival de musique d’Istanbul propose de la musique classique, traditionnelle et jazz. Ses organisateurs programment des spectacles dans les lieux les plus divers, des salles de concert comme İş Sanat ou dédiées à l’opéra comme le centre culturel Süreyya, mais aussi plus surprenants comme la synagogue Neve Shalom, l’église Saint-Antoine-de-Padoue, et même les quais de la gare de Sirkeci, le fameux terminus de l’Orient-Express. Si la ville n’est pas aussi bien équipée en salles musicales modernes comme certaines de ses consœurs européennes, elle peut compter sur certains de ses bâtiments historiques pour accueillir des concerts dans de très bonnes conditions. C’est particulièrement le cas de Sainte-Irène, une église byzantine datant du VIe siècle à l’acoustique excellente, qui accueille régulièrement des concerts de musique classique.
Le jazz turc
Quant au jazz, qui partage avec la musique traditionnelle turque le sens de l’improvisation, la scène est pléthorique. Parmi les nombreux talents actuels, citons le groupe Taksim Trio, le saxophoniste Ilhan Ersahin, le percussionniste Okay Temiz, ou encore les pianistes Aydn Esen et Fazil Say. Ce dernier, jeune improvisateur de talent qui bouscule les codes de la musique classique, est également passionné de jazz et a fondé son Worldjazz quartet. Pour les amateurs de jazz, Bova possède une programmation intéressante dans une ambiance décontractée et chaleureuse. À recommander fortement, d’autant plus que l’entrée est gratuite. Et le Festival de Jazz IKSV en juillet, un rendez-vous à ne pas manquer.
L’arabesque
À la fin des années 1970, porté par les populations récemment émigrées des campagnes d’Anatolie, un nouveau style est apparu dans les zones fortement urbanisées. Cette musique patchwork, que l’on a appelée l’arabesque, sorte de world-music avant même que le mot n’existe, mélange les influences des musiques classiques et populaires turques. Ses paroles, maniant le sens caché et la parabole, évoquent les amours perdues, parlent d’histoires d’honneur ou des souffrances du peuple. Les voix sont également fort tragiques, nul besoin de comprendre les paroles pour saisir la détresse des interprètes qui suinte du poste… On peut l’écouter dans des bars du côté d’Aksaray, de Tarlabaşı et des bas-fonds d’Istanbul ; elle est omniprésente dans les dolmuş (bus collectifs) et a été interdite un temps par les militaires dans les années 1980. Cette musique a exercé une véritable suprématie dans les années 1990-1995. L’une des stars incontestées de l’arabesque est Ibrahim « Ibo » Tatlıses qui doit son succès à sa voix reconnaissable entre mille. Les Turcs urbains qui, en public, affirment ne pas aimer ce style de musique, reconnaissent toutefois un attachement à Ibrahim Tatlıses, dont le talent a su transcender les barrières sociales.
De la pop turque au rock underground
La musique pop est l’une des branches principales de la musique populaire en Turquie depuis presque cinquante ans. La grande vedette de la chanson pop turque est Sezen Aksu (née en 1954), qui a ouvert la voie avec son tube Hadi bakalım. Elle est parvenue à allier de façon judicieuse des éléments de musique traditionnelle et électronique. Une musique qui enflamme les pistes de danse, tout en allant chercher ses influences dans le répertoire anatolien, tzigane ou même hindou. Tout en restant au sommet, elle a aidé d’innombrables jeunes artistes à percer. Non contente d’écrire ses propres textes, elle est à l’origine d’un grand nombre des succès de la jeune génération. Les labels se sont tous établis ici, où vivent et travaillent également les artistes de la pop turque, qui a commencé à se développer véritablement dans le milieu des années 1980. En 1993, d’autres suivront comme Özlem Tekin, mais personne n’a à ce jour éclipsé l’Étoile. Les thèmes récurrents de ses chansons sont l’amour, les déceptions sentimentales, la nostalgie, mais elle aborde aussi parfois des thèmes plus sociaux. Musicalement, c’est un habile mélange de sonorités plus ou moins arabisantes, de musique électronique moderne et de refrains faciles à retenir et à fredonner. La majorité des artistes pop sortent un album et doivent se contenter de connaître quelques mois de gloire, avant de retomber dans l’oubli et d’être remplacés par un nouveau clone. Baris Manço a été l’artiste de rock anatolien le plus célèbre jusqu’aux années 1990. Après son décès en 1999, la villa où il a vécu a été transformée en musée qui explore sa vie et sa production artistique. Le Kultur Merkezi Baris Manço propose aussi de petites expositions et des concerts, avec la participation des étudiants du Conservatoire d’État de l’Université d’Istanbul.
À Istanbul, la production musicale a basculé à partir des événements de Gezi (mouvement contestataire de juin 2013 contre le régime du président Recep Tayyip Erdoğan) et des nombreux attentats perpétués à Ankara et à Istanbul par l’État islamique et les Kurdes de TAK. Avant cela, la vie artistique suivait son cours à Istanbul. Puis, d’un coup, Istanbul a été rayée de l’itinéraire des tournées des artistes occidentaux. Pendant plusieurs années, les gérants de salles de concert se sont donc vus obligés de programmer des groupes originaires de Turquie. Cette scène locale possède ses groupes emblématiques. Kurban, au rock frais et entraînant, est un des piliers de la scène locale. Le groupe a sillonné la Turquie durant des années mais s'est séparé en 2018. Plus connue internationalement, Athena est une formation emblématique qui a même représenté la Turquie au concours de l’Eurovision 2004. Son premier album Hooligan en 1998 avait fait l’effet d’une bombe dans un paysage musical dominé par la pop. Alliant chant en turc, rythmes ska et puissance punk, Athena a réussi le tour de force de s’imposer comme la référence ska en Turquie. Une de ses chansons est devenue l’hymne de l’équipe nationale de basket. Plus underground, le groupe Rashit est un des rares groupes punks de Turquie. Originaires de Beyoğlu, qu'ils chantent dans leur premier album, Telaşa Mahal Yok, il n’est pas rare de croiser les Rashit dans ce quartier qu’ils affectionnent toujours, et qui demeure le centre névralgique d’une certaine contre-culture. À écouter également, MVÖ (Mov ve Ötesi), fortement influencé par des formations comme Radiohead, très populaire chez les jeunes Turcs, mais aussi le groupe Manga, le précurseur du rock turc Gokhan, le groupe Duman, Gripin et SeksenDort, ou encore Mabel Matiz. Certains musiciens rock sont retournés chercher leurs influences dans le répertoire folklorique. Le groupe Altin Gün, alliance de musiciens hollandais et de chanteurs turcs, a sorti son premier album en 2018, On, hommage à la tradition folk turque avec une musique d’une modernité saisissante. Le groupe reprend des airs connus, des standards qui se transmettent depuis des décennies, auxquels les musiciens ajoutent leur touche rock psychédélique.
Surveillez la programmation du Babylon, la salle mythique d’Istanbul qui a vu défiler une belle brochette de stars du rock indépendant et de la musique alternative, pour y découvrir toute cette scène. Le Zorlu Performing Arts Center, accessible depuis le métro Taksim, propose aussi des concerts chaque soir.
Le théâtre
Malgré une crise socio-politique importante, Istanbul propose chaque soir une offre très large et variée en matière théâtrale. Avec leurs dix scènes, situées aussi bien sur la rive européenne qu’anatolienne, les théâtres municipaux d’Istanbul permettent au public de voir des classiques du théâtre, de Shakespeare aux tragédies grecques, en passant par Tchekhov et Ibsen, mais aussi des pièces écrites par des auteurs dramatiques turcs. Plusieurs festivals rythment la saison artistique. Le principal est le festival international de théâtre d’Istanbul chaque mois de novembre, un événement majeur qui réunit des compagnies venues de toute l’Europe. À cause de la censure et des tabous imposés à la télévision, de nombreux metteurs en scène et scénaristes ont choisi de se recentrer sur le théâtre privé. Le pays a ainsi vu émerger récemment de nouvelles compagnies et de nouveaux lieux tels que GalataPerform, Tiyatro Medresesi ou encore Kadıköy Theatron qui recherchent de nouvelles formes théâtrales et œuvrent à son développement. La scène alternative s’est aussi développée avec la volonté de faire évoluer les formes narratives du théâtre et en redéfinir l’essence. Des théâtres indépendants tels que Seyyar Sahne, Altidan Sonra Tiyatro et Mek'an Sahne sont engagés dans ce processus artistique.