Une ville de cinéma
Dès l’apparition du cinéma, Prague s’est imposée comme un personnage à part entière : L'Étudiant de Prague (Stellan Rye et Paul Wegener, 1913), un film d’horreur muet allemand, en explore les aspects fantastiques, du côté de la tour Daliborka et de la fameuse ruelle d’Or, liée aux souvenirs des alchimistes du Moyen Âge ou dans le Belvédère de la reine Anne. À l’inverse, La nuit a des yeux (Innemann, 1928), commande d’une compagnie d’électricité, offre le portrait de nuit d’une ville illuminée, toujours magique, mais entrée de plain-pied dans la modernité. Les longs-métrages de l’époque ont laissé peu de traces dans le canon cinématographique, à l’exception peut-être d’Erotikon (1929) et Extase (1933) de Gustav Machatý, en raison d’un érotisme inédit. La création des studios Barrandov en 1931 par les ancêtres de Václav Havel font de Prague l’une des places fortes du cinéma mondial avec une production qui atteindra à l’époque près de 80 films par an, avant que les nazis ne s’en emparent à des fins de propagande. Le cinéaste français Julien Duvivier y adapte une légende fameuse du folklore juif et praguois avec Le Golem en 1936. La fin de la guerre laisse croire à la véritable émergence d’un cinéma tchécoslovaque qui fera date, notamment avec Un long voyage (Alfréd Radok, 1949), œuvre sur la Shoah, pleine de symbolisme et traversée d’audaces formelles.
La Nouvelle Vague tchèque : une brève renaissance
Les années 1960 sont le théâtre d’une incroyable mais brève effloraison aux allures de miracle : la Nouvelle Vague tchèque, dont les premiers pétales éclosent peu avant le Printemps de Prague. Incarnée par Miloš Forman, Jaromil Jireš, Věra Chytilová ou Jan Němec, pour ne citer que les noms les plus connus, elle fait vaciller classicisme et censure en accordant une grande place à l’improvisation, et par le recours à des acteurs non professionnels dans des films à l’humour volontiers absurde ou cinglant. Les réalisateurs, souvent praguois, se tiennent pourtant assez à l’écart de leur ville natale, préférant ancrer leurs histoires dans une Tchécoslovaquie rurale, parfois morne mais où perce en même temps une ironie joyeuse. Il en va ainsi des Amours d’une blonde de Forman (1965) qui viennent tristement échouer à Prague. La fantaisie débridée de Věra Chytilová paraît mieux devoir s’exprimer dans un cadre bucolique ou parmi les Petites marguerites (1966) du titre de son film le plus célèbre. Jan Švankmajer, Jiří Trnka et Karel Zeman témoignent alors, dans le domaine de l’animation, d’une imagination pareillement disposée à l’extravagance. L'Incinérateur de cadavres (Juraj Herz, 1969), chef-d’œuvre à mi-chemin entre l’horreur et l’humour noir, confirme que le pays sous la coupe des nazis est bien resté celui de Kafka. L’invasion de Prague par les forces soviétiques, que documente Oratorio pour Prague de Jan Nemec en 1968 et plus tard Le Fond de l'air est rouge (Chris Marker, 1977), met fin à ce qui fut une parenthèse enchantée et oblige de nombreux réalisateurs à l’exil : Miloš Forman, accueilli à bras ouverts par Hollywood, ne reviendra à Prague que pour y tourner Amadeus (1985), signe avant-coureur de la Révolution de velours. Dans cette célèbre biographique – en anglais – de Mozart, ce qui est encore la capitale tchécoslovaque incarne Vienne à l’écran, et lui prête des lieux aussi reconnaissables que l’église Saint-Gilles, le palais Wallenstein, la place Hradčany ou encore le Théâtre des États, où la majorité des opéras ont été filmés. Pour son adaptation de L’Insoutenable Légèreté de l’être de Milan Kundera (1988), encore persona non grata en son propre pays, Philip Kaufman dut pourtant recréer Prague en France, ajoutant quelques images d’archives de Jan Nemec.
Depuis la Révolution de velours…
Kafka (1991), l’un des films les plus personnels de Steven Soderbergh, qui fut un échec à sa sortie, fantasme la biographie du célèbre auteur praguois sur le mode du thriller d’espionnage. Grâce à ses studios, son architecture composite et des coûts de production relativement faibles comparés à d’autres pays, Prague va de nouveau se transformer en terre promise pour les superproductions étrangères, comme subjuguées par sa propension à se métamorphoser, incarnant tour à tour le Londres victorien (From Hell, Allen et Albert Hugues, 2001) ou le Zurich contemporain (La Mémoire dans la peau, Doug Liman, 2002), et l’on en passe, dans des divertissements généralement anecdotiques. Le Musée national de la ville sert de décor à la fois pour le premier volet de Mission impossible (Brian De Palma, 1996) et un épisode de James Bond, Casino Royale (2006), indicateur peut-être d’une certaine redondance – de nombreuses scènes du quatrième Mission impossible (Brad Bird, 2011) seront, elles, aussi tournées à Prague. Le cinéma tchèque, quant à lui, survit tant bien que mal à la transition sans toutefois faire preuve de la vitalité miraculeuse des années 1960 : Kolya (Jan Sverák, 1996) gagne l’Oscar du meilleur film étranger en 1997 et évoque, comme bon nombre de films de l’époque, les séquelles du communisme. De vieilles gloires sont toujours en exercice, comme Jan Švankmajer dont les films, toujours placés sous le signe du rêve, mélangent avec une originalité sans équivalent animation et prises de vue réelles, d’Alice (1988) à Survivre à sa vie (Théorie et pratique) en passant par la Leçon Faust (1994). Moi qui ai servi le roi d’Angleterre (2006), dépeignant Prague occupée par les nazis, montre que Jiří Menzel a encore quelques beaux restes. À quand la relève ?
Côté cinéma d’animation, la réalisatrice tchèque Michaela Pavlátová, après une pause de sept années, est revenue au cinéma en 2021 avec Ma famille afghane, qui relate la destinée peu commune d’une jeune Tchèque qui décide de tout quitter pour suivre son mari en Afghanistan et raconte son expérience du quotidien dans un pays meurtri. Le film s’est distingué par de nombreux prix, notamment au festival du Film d’animation d’Annecy.