PLACE JEMAÂ EL-FNA
Une place « folle » comme la décrivaient les frères Tharaud : l’épicentre mythique de la ville qui ne cessera jamais de captiver.
« La Place était à la fois la fin de l'univers et la naissance de l'exil, d'un paradis déchu et aplati par le pas des passants et des voyageurs itinérants où, autour du feu du conte, nous revisitions l'instant fantasmagorique de la genèse. Ainsi, si la Place était un carrefour délimité par le poste de police, le minaret de la Koutoubia et l'ancienne banque du Maroc convertie en musée [...] les frontières triangulaires de cette forêt du récit n'étaient, pour nous, que pur fantasme où se mêlaient fantasme et sacrilège. » (Rachid Mansoum, la Place Jemaâ El Fna, Marrakech lieux évanescents)
Plus qu’une simple place publique, Jemaâ el-Fna est l'attraction phare et s’est depuis longtemps imposée comme le carrefour initiatique de Marrakech. Ici, de jour comme de nuit, ça vibre et ça palpite. La place est le lieu le plus vivant de la ville et rassemble tout autant les touristes que les locaux ! Vous pouvez monter sur les toits, c’est une impression de platitude : tout est construit comme un grand damier bien stylé qui donne l'illusion de pouvoir vous promener au-dessus de la ville.
C’est d’ici également que partent la plupart des balades : vers la médersa Ben Youssef ou le palais de la Bahia (en prenant la rue juste à gauche du Café de France) et les tombeaux Saadiens. Vous serez amené à y séjourner, flâner, déambuler ou simplement passer, ne serait-ce que pour garer votre véhicule, sur les injonctions des gardiens qui attendent là en permanence (attention, ne garez jamais votre véhicule sur la place, il risque de se retrouver à… la fourrière !).
L’architecture de la place n’est pas particulièrement originale : pas d’édifice singulier si ce n’est la mosquée Quessabine, à l’entrée du souk, et face au vieux Café de France. Ce même établissement qui n'a pas bougé d'un iota, aux larges terrasses, était détesté par Lyautey, sa façade contribuant, selon lui, à dénaturer la place. A l’autre extrémité, vers l’avenue Mohammed V, le Club Med s’est installé discrètement en 1972 derrière un mur recouvert de végétation. Il est aujourd'hui en attente d'un potentiel repreneur. En face, près du commissariat de la police touristique, se trouvent les bâtiments de la Poste et le tout nouveau musée qui lui est consacré.
Histoire. A l’origine, cette place faisait office de place de Grève : c’est là que les criminels étaient décapités et que l’on exposait publiquement les têtes des rebelles ou des voleurs. De cette cruelle coutume, qui se perd dans la nuit des temps, popularisée par les Alaouites, la place tient son nom actuel qui signifie « l’assemblée des Morts », ou « la réunion des Trépassés »… Une appellation lugubre que plus rien ne justifie, quoiqu’en disent les conteurs de la place, qui prétendent que, certains soirs, les âmes des suppliciés reviennent hanter ces lieux.
Il faut apprendre à apprécier cet endroit étrange, où règne l'atmosphère des places médiévales, espace théâtral de recueillement et de rencontres, de mystère et de divertissement. Le meilleur moyen de prendre contact avec Jemaâ el-Fna est d’abord de l’observer dans son ensemble : grimpez donc pour vous rafraîchir sur l'une des nombreuses terrasses. De ces cafés, toujours pleins, vous découvrirez un univers grouillant, une agitation permanente et sans cesse changeante. Le spectacle est fascinant quand le soleil se couche derrière le minaret de la Koutoubia, tandis que se font entendre les claquements secs des instruments gnawi.
Jusqu’à l’inauguration de la nouvelle gare routière près de Bab Doukkala en 1982, la place Jemaâ el-Fna était le point de départ des grands taxis et des cars brinquebalants à destination des autres villes. Une sorte de vaste souk, pourvoyeur de tout et de n’importe quoi, véritable cour des miracles, s’était installée alors sur la place, représentant une sorte d’extension des souks bien ordonnés (malgré les apparences) de la médina. Cette présence permanente de marchands ambulants avait, certes, pour effet de dynamiser la vie de la place, mais aussi de nuire considérablement à l’harmonie commerciale des souks officiels. Ce marché aux puces a été expulsé lorsque la nouvelle gare routière a été inaugurée, et l’on ne trouve plus aucune trace de cette époque sur la place Jemaâ el-Fna. Seuls les marchands ambulants de colifichets en toc et de fringues en vrac s’y promènent encore en guettant une bonne occasion de fourguer leur marchandise aux touristes que les souks effraient : cela devient de plus en plus rare, chacun étant capable de faire la différence entre les produits (hors de prix) de ces marchands ambulants et ceux, de meilleure qualité et moins chers, des artisans spécialisés des souks.
Des transports, il ne reste que celui des calèches alignées en file indienne en attente de clients. Elles vous conduiront au petit trot le long des remparts ou au bassin de la Menara lors d'une promenade romantique.
Un chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité. Dans les années 1990, la place est fortement menacée : on parle d’y construire un parking souterrain. En 1997, l’écrivain catalan Juan Goytisolo, tombé littéralement amoureux de Marrakech, tire la sonnette d’alarme ! Afin de préserver l’ensemble des richesses culturelles et artistiques qui caractérisent le lieu, il fait venir des experts de l’Unesco à Marrakech et crée une association pour la sauvegarde de la place Jemaâ el-Fna. A la fois cœur névralgique de la ville, symbole du brassage social et point de rencontre essentiel entre les deux versants de Marrakech, cette place est surtout un écrin où se joue quotidiennement l’expression du patrimoine immatériel marocain à travers contes, musique, danses, chants, gastronomie et folklore. Sa reconnaissance internationale est proclamée le 18 mai 2001 lorsque l’Unesco inscrit son nom sur la liste très sélective des biens classés au Patrimoine oral et immatériel de l’humanité.
Un spectacle permanent. A l’instar d’une pièce de théâtre, la place Jemaâ el-Fna propose aux visiteurs des scènes de vie réparties en trois actes majeurs. Il y en a pour tous nos sens en perpétuel éveil : pour les oreilles, avec le bourdonnement de la foule (particulièrement compacte le vendredi soir) à laquelle se mêlent les tambourins ; pour le nez, odeurs de cuir, de terre, d'épices et de menthe fraîche. Et enfin pour la peau, avec le frôlement d'une djellabah ou le pinceau de henné qui dessinera des motifs orientaux sur votre main ou la cheville. Le matin, la place s’éveille dès l’ouverture des portes du souk, entre 7h30 et 9h pour certains ! Elle se transforme alors en un grand marché en plein air. Il y a peu de monde, encore, mais déjà les guérites de bois et les roulottes des marchands de jus d’oranges pressées s’animent. Les marchands d’épices installent leurs présentoirs odorants à l’ombre de paillassons que soutiennent de solides perches. Les vendeurs de fruits et d’herbes rares n’arriveront que plus tard, souvent venant des villages environnants. C’est un excellent moment pour venir prendre un petit déjeuner insolite : de bon matin, on vous offrira fréquemment un second thé ou un second jus d’orange délicieux (qui coûte peu cher), tandis que le marchand de pistaches et de cacahuètes grillées, son étalage à peine déballé, vous tendra quelques graines avant d’entamer la conversation. De plus, à cette heure-là, les harceleurs en tout genre – qui, reconnaissons-le, ne manquent malheureusement pas sur la place – ne sont pas encore réveillés. C’est donc en toute tranquillité que vous goûterez aux plaisirs matinaux qu’offre cette vaste esplanade.
Mais le véritable spectacle ne débute que plus tard, vers la fin de l’après-midi (à partir de 17h, c’est idéal). C’est à ce moment-là qu’apparaissent les danseurs gnaouas, ces descendants des esclaves noirs de Guinée, et que les acrobates d’Amizmiz viennent exécuter leurs pyramides humaines et leurs pirouettes spectaculaires de derviches, pour le plus grand plaisir des badauds attroupés. La place devient alors une monumentale scène de théâtre où chaque acteur prend place au centre d’un cercle formé par les spectateurs, la haqla, béni par un saint ! C’est l’heure de regarder les écrivains publics, accroupis à l’ombre de leurs parapluies noirs, peiner sur leurs travaux, de muser parmi les bateleurs, d’écouter les conteurs vous parler des djinns (les génies) qui planent sur les minarets de la ville ou encore évoquer les fabuleux trésors des anciens sultans – trésors cachés dans des riads abandonnés de la médina –, de se faire conter la bonne aventure par des diseuses voilées (un avenir d’autant plus souriant que seront nombreux les billets de banque), de tenter sa chance en misant au bonneteau ou autres jeux d’adresse aux règles alambiquées, d’admirer les montreurs de singes savants ou les charmeurs de serpents qui poussent le spectacle jusqu’à entourer le torse des passants de leurs charmants reptiles… Dans cette foule bigarrée d’artistes de rues, qui vibre au son des tambourins et des flûtes, les gamins se fraient un chemin en proposant kesra (pains en forme de galettes d’orge, de blé ou, plus rarement, de sarrasin), pâtisseries au miel et beignets. Le guerrab, porteur d’eau à l’habit multicolore, bardé de coupelles de cuivre ou de fer-blanc, agite sans cesse sa clochette et pose complaisamment devant les caméras et les appareils photo des touristes. Offrir quelques dirhams en échange s'impose.
Enfin, au coucher du soleil et au fur et à mesure que l’animation devient plus intense, une odeur de friture, de brochettes de viande, d'abats ou de poisson grillé s’empare de la place où viennent s’installer de petits bouis-bouis ambulants et gourmands : Jemaâ el-Fna se transforme alors en un immense restaurant à ciel ouvert. Les lampes des gargotiers et des cafés illuminent peu à peu la place qui se vide lentement de ses acteurs. On s’assied alors serrés-collés autour d’une sommaire table de bois où l’on déguste une harira ou une brochette de kefta, face à une tête de mouton, fièrement exhibée sur l’étal ! Ou bien on se laisse tenter par un bol d'escargots baignant dans un bouillon aux vertus salutaires dont la recette est tenue secrète. Jemaâ el-Fna devient un havre de convivialité internationale, de quiétude, de magie, dans le recueillement de la nuit.
Pendant le ramadan, la place offre toutefois une vision un peu différente. Son spectacle permet aux jeûneurs d’oublier la faim et la soif qui taraudent les esprits (et les ventres), jusqu’au moment où retentit l'appel du muezzin : la place se vide alors à vitesse grand V tandis que les gargotes des alentours, servant à pleines louches la harira et les brochettes, se remplissent en un clin d’œil. Puis, la faim calmée, la place se remplit de nouveau et le spectacle continue…
Oui, on est dans des couleurs et une atmosphère dignes du Moyen Age mais la place, même s'il n'y a plus de terre battue, demeure toujours aussi envoûtante, avec ses allures de croisée de routes caravanières, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Où que l'on aille dans la ville, on passe par elle, éternelle.
Le saviez-vous ? Cet avis a été rédigé par nos auteurs professionnels.
Avis des membres sur PLACE JEMAÂ EL-FNA
Les notes et les avis ci-dessous reflètent les opinions subjectives des membres et non l'avis du Petit Futé.
Belle ambiance, festive et chaleureuse, Petites babioles intéressantes au marché. Verre de jus frais, pressés sous nos yeux à moindre coup,
On y trouve des prestations, des petits spectables alliant tradition et animaux, comme des serpents ou des singes. Original.
Il ne faut passer par la place Jamaa El Fna que pour s'imprégner de la culture locale.