Des louanges au romantisme
Un poète, un écrivain, un dramaturge, en trois siècles et trois hommes la littérature lombarde affirme ses talents et révèle ses aspirations. Le poète Bonvesin della Riva nait à Milan aux alentours de 1240. Dans un manuscrit miraculeusement retrouvé à la toute fin du XIXe siècle, il décrit avec amour et grandiloquence sa cité, aigle parmi les oiseaux, allant jusqu’à trouver dans la graphie du nom de sa ville preuves de la suprématie de celle-ci. Ce « L », par exemple, ne confirme-t-il pas sa hauteur et sa noblesse ? Et ce « O » n’est-il pas signe de perfection ? Charmant par son exagération même, De magnalibus urbis Mediolani est aussi source précieuse d’informations sur une période révolue. Bonvesin faisait partie de l’ordre des Humiliés, ceux qui alors avaient pour mission de percevoir les impôts, ainsi il compte les portes, les clochers, les médecins, les trompettistes, et puis surtout il décrit ceux qu’il est amené à rencontrer, les 200 000 Milanais qui alors habitent une métropole en plein essor, allant jusqu’à nous dire ce qu’ils mangent et à nous confier une fameuse recette à base de châtaignes. Bovesin s’essaiera à l’allégorie politique dans Disputatio mensium et reviendra à la cuisine en prodiguant ses conseils de bonne tenue à table dans De quinquaginta curialitatibus. L’écrivain, c’est Baldassare Castiglione qui publie au XVIe siècle ce qu’il serait judicieux aujourd’hui d’appeler un best-seller, Le Livre du courtisan. L’homme voit le jour dans un marquisat, celui de Mantoue, noblesse et intelligence l’amènent à trouver sa place au sein de la cour d’Urbino, il y côtoie du beau monde, son portrait par Raphaël se laisse toujours contempler au Louvre, il mène quelques batailles, succombe à des passions impossibles, puis, en 1528, à la veille de sa mort qui surviendra l’année suivante, il fait paraître à Venise son manuel de savoir-vivre au succès retentissant. Sous forme de conversations, humaniste, ce livre prône un idéal : à l’instar du chevalier du Moyen Âge qui savait allier les armes et les lettres, le courtisan de Castiglione s’ingénie à concilier les valeurs et vertus chères à la Renaissance. Le dramaturge, enfin, est Carlo Maria Maggi (1630-1699), à ne surtout pas confondre avec son homonyme terroriste. Son parcours est fondamental pour deux raisons. La première parce que son implication dans le théâtre donne naissance à l’apparition d’un personnage, Meneghino, un petit coiffeur moqueur dont l’invention est certainement bien plus ancienne mais qui, grâce à Maggi, fait ses premiers pas sur la scène de la Commedia dell’arte dans la pièce I consigli du Meneghino (1697). La seconde car il use du dialecte, ce que l’Accademia della Crusca n’approuve guère, elle qui se consacre à la linguistique et vante le toscan, mais qui aura une influence notable sur bon nombre de ses pairs. Ainsi, Carlo Porta (1775-1821) entreprend rien de moins qu’une traduction en milanais de la Divine comédie de Dante, travail auquel il renoncera sans que pour autant sa réputation de chantre de sa langue natale ne lui soit retirée tant est respectée sa maîtrise de la bosinada, cet art poétique traditionnel qui perdura jusqu’au début du XXe siècle. Fauché en pleine gloire par une mort précoce, il laissera derrière lui un ami grand amoureux de l’Italie, Stendhal, et sera pleuré en vers sous la plume de Tommaso Grossi (1790-1853). Ce dernier lui survivra une trentaine d’années qu’il ne mettra qu’en partie au profit de son œuvre puisque son mariage, en 1838, sonne le glas de sa carrière d’écrivain et le retour à son métier de notaire. Il aura néanmoins eu le temps de marquer son époque, tant par son poème épique I Lombardi alla prima crociata que par son roman historique Marco Visconti à découvrir en traduction française librement consultable sur le site de la BNF. Ses amitiés semblant plus fertiles que ses amours, d’un point de vue purement littéraire, il partageait son admiration pour le courant romantique avec celui de ses compagnons qui l’avait hébergé à son arrivée à Milan, l’incontournable Alessandro Manzoni (1785-1873). Qui n’a pas lu Les Fiancés ne mesure pas sa chance ni la promesse du bonheur à venir, œuvre capitale de la littérature italienne, ce roman raconte un amour désespérément brimé par un seigneur jaloux. Sur fond de grande peste et de guerre civile, la Lombardie des années 1628 à 1630 devient décor mythique pour la passion de deux âmes que jamais le lecteur n’oubliera. Manzoni n’est pas l’homme d’un seul texte, il a par ailleurs écrit de la poésie, des tragédies et des essais, mais son drame historique, inspiré de sa lecture de Walter Scott, a cela de particulier qu’il n’a eu de cesse de le reprendre, jugeant bon de se débarrasser des tournures par trop littéraires pour respecter au plus près le parler florentin, augurant ainsi d’un toscan plus accessible qui deviendra bientôt langue nationale. Car le Risorgimento, « résurrection » ou « renaissance », est en marche, l’Italie se cherche une identité commune et tend vers l’unification. L’œuvre de Giuseppe Parini, qui a perdu la vie en même temps que le XVIIIe siècle, devient l’un des emblèmes de ce renouveau. Son livre Il Giorno, qui décrit avec ironie la journée d’un aristocrate, lui avait déjà valu une grande popularité de son vivant, et ne cesse d’inspirer au-delà de sa mort. Il avait été accueilli au sein de l'Accademia dei Trasformati, une de ces assemblées d’intellectuels et d’artistes, très prisées à l’époque, qui se donnaient pour mission de faire circuler les idées et de les approfondir en ces temps des Lumières.
Une nouvelle ère
La renaissance passe aussi par une certaine forme de rébellion contre l’ordre établi, au milieu du XIXe siècle cette tendance s’incarne dans un mouvement littéraire et artistique qui se développe en Italie du Nord, à Milan plus précisément, la Scapigliatura, que l’on pourrait approximativement traduire par un terme qui nous est plus familier : « la bohème ». Si le rejet des normes, des dogmes esthétiques, l’admiration pour Baudelaire, et la fréquentation des bouges plutôt que celle des beaux salons constituent leurs points communs, les auteurs assimilés à ce courant suivent chacun des voies personnelles, ce qui crée un éclectisme intéressant. Ainsi, les précurseurs Arrigo Boito (1842-1918) et son ami Emilio Praga (1839-1875) s’essayent au théâtre en écrivant à quatre mains Le Madri galanti, comédie en cinq actes présentée pour la première fois en 1863, puis dirigent ensemble le journal Il Figaro qui se fera porte-parole des expérimentations de la Scapigliatura, tandis que Carlo Alberto Pisani Dossi (1849-1910), qui rédige l’essentiel de son œuvre entre ses 19 et ses 38 ans, penche plus vers la recherche linguistique, mettant à l’honneur argot, néologismes, répétitions, digressions et tutti quanti. Démarche qui influencera le célèbre Milanais Carlo Emilio Gadda (1893-1973), comme celui-ci le reconnaitra dans La Cognizione del dolore, et dans laquelle bientôt l’élève surpassera le maître, raflant le prestigieux (et fugitif) Prix International de Littérature en 1963, mais également le Prix Bagutta et le Prix Viareggio. Gadda est l’un des grands écrivains italiens du XXe siècle, bien que ses propres recherches sur la langue aient pu dérouter autant ses pairs que ses lecteurs. Contraint d’arrêter ses études suite à la mort de son père, et après avoir déjà subi une jeunesse financièrement précaire, il s’engage dans la Grande Guerre mais est fait prisonnier, une expérience qu’il relate dans Journal de guerre et de captivité. À son retour à Milan, un second deuil, celui de son frère aimé, le plonge dans un désarroi infini, il repartira puis reviendra, et enfin aura l’occasion de se consacrer pleinement à son premier amour, la littérature. Jouant du pastiche, des différents registres, ajoutant des jeux de mots ou des termes de dialecte, l’œuvre de Gadda est malgré tout en grande partie disponible en français, pour cela il faut saluer le travail des traducteurs.
Le XXe siècle s’ouvre sur un manifeste, celui du Futurisme, qui paraît le 20 février 1909 dans le journal français Le Figaro et porte la signature d’un homme qui trouvera en 1944 la mort sur les rives du lac de Côme, après autant de voyages que d’errances, notamment politiques : Filippo Tommaso Marinetti. Ce courant exalte la vitesse, les machines, en un mot le monde moderne, Marinetti y ajoutera une touche guerrière qui finira par l’isoler de ceux qu’il avait fédérés. Néanmoins, grâce à lui, la Lombardie prouve une nouvelle fois qu’elle s’ouvre volontiers aux mouvements d’avant-garde, et qu’à l’égale d’autres provinces italiennes elle voit, elle aussi, tout au long de ce nouveau siècle, naitre et mourir des écrivains d’envergure. Pour n’en citer que trois, Eugenio Montale, bien sûr, poète né à Gênes en 1896 mais qui passe ses trente dernières années à Milan. Petit dernier d’une grande fratrie, né dans une famille dont les parents étaient commerçants, autodidacte, celui qui est considéré comme le plus grand poète italien a eu un parcours atypique et discret, c’est dire si son talent, qui se fait remarquer dès 1925 avec Os de seiche, était grand. Il fut couronné en 1975 par le prix Nobel de littérature, tout comme le fut en 1997 Dario Fo, né près de Varèse en 1926. C’est dans le théâtre que ce dernier évolue. Après avoir suivi l'enseignement de l’Académie des Beaux-Arts de Brera, où il étudie la mise en scène, Dario Fo affiche très tôt son humour volontiers cinglant et son goût de la caricature. Inspiré par Feydeau aussi bien que par Chaplin, par la Commedia dell’arte tout autant que par Bertold Brecht, il s’amuse et s’engage. Un riche parcours à découvrir par la lecture de Mystère bouffe, Faut pas payer ! ou L’Apocalypse différée ou à nous la catastrophe. Enfin, comment oublier que Dino Buzzati, né en Vénétie en 1906, a passé toute sa carrière au Corriere della Sera, journal milanais. Son écriture réaliste affûtée par sa profession résonnant avec une acuité étonnante, ses nouvelles et romans, mondialement célébrés, n’hésitaient pas à arborer une touche fantastique pour mieux mettre en exergue l’absurdité de l’existence.