ENSEMBLE POY KALON

C'est sans doute la plus belle place de la ville, et en tout cas, la plus monumentale. La madrasa Mir-i-Arab fait face à l'immense mosquée Kalon et à son terrible minaret, « la tour de la mort ». De nombreux films historiques ont été tournés sur site, et même si les cavaliers de Mohamed Chaybani Khan n'y sont pas tous les jours, les étudiants de la madrasa et les pèlerins qui se rendent à la mosquée se chargent de l'atmosphère vibrante. Le soir, l'ambiance est féerique : on déambule sur l'esplanade en profitant des illuminations nocturnes du minaret et de la mosquée.

Le minaret Kalon. Jadis, cinq fois par jour, quatre muezzins grimpaient les 105 marches de son escalier intérieur pour appeler à la prière. Leurs voix portaient à plus de 8 km et les autres minarets relayaient l'appel dans un rayon de 16 km. Surnommé « la tour de la mort », ce minaret, construit en 1127 par le Karakhanide Arslan khan, ne servait pas seulement à appeler les fidèles. Au XVII^e siècle, c'est de son sommet que l'on jetait les condamnés à mort et autres impurs. Il servait également de point d'observation le jour, et de phare la nuit. En effet, tous les soirs, on allumait une bassine remplie d'huile, placée au centre de la rotonde située à son sommet. Les caravanes arrivant du désert pouvaient ainsi se repérer, tels les vaisseaux à l'approche des ports. Gengis khan, qui avait rapidement estimé son importance stratégique, épargna le minaret alors qu'aucun autre monument de Boukhara ne survécut à son passage. Haut de 48 m, avec des fondations s'enfonçant de plusieurs mètres dans le sol, l'édifice porte bien son nom, kalon signifiant « grand ». De forme légèrement conique, il est décoré d'une succession d'anneaux en briques cuites aux motifs géométriques tous différents. Ces briques auraient été fabriquées en mélangeant du lait de chamelle et du sang de taureau ! Toute cette terrible beauté n'a cependant pas empêché le général Frounze de faire tirer au canon sur le symbole de la puissance de la ville sainte. Fortement endommagé, il fut restauré une première fois dans les années 1930. Puis dans les années 1970, un tremblement de terre aussi dévastateur que le chef mongol lui fit perdre son couronnement. Restauré par les soins de l'Unesco, il fut doté, depuis 2019, d'un éclairage nocturne qui sublime chaque détail ! Pour des raisons de sécurité, il n'est malheureusement plus possible de grimper jusqu'à son sommet pour jouir de la vue splendide offerte sur Boukhara et les coupoles de la madrasa.

Mosquée Kalon. Cette imposante mosquée jami, la plus grande après celle de Bibi Khanum, fut reconstruite à plusieurs reprises. On raconte qu'une première mosquée en brique crue avait été édifiée en 713, sans doute à l'emplacement d'un temple bouddhique ou zoroastrien, une appropriation symbolique fréquente en ce siècle de conquête religieuse. Le mihrab de la mosquée Kalon aurait été situé plus à l'est, au niveau de l'Ark. Au IX^e siècle, la mosquée, d'une superficie de 2 ha, fut reconstruite d'après de nouveaux plans. Les nombreux piliers soutenant la structure étaient en bois, une denrée rare qui obligea à réduire la surface à un hectare. On raconte qu'un incendie la ravagea au XI^e siècle, ou encore que le minaret s'écroulant la détruisit presque totalement. En tout cas, elle fut reconstruite au XII^e par Arslan khan et détruite à nouveau quand Gengis khan s'imposa en 1220. En 1514, le khan chaybanide Abdullah khan fit édifier une nouvelle mosquée dont les dimensions (130 m sur 80m) répondaient au « nombre d'or » ; en 1545, son successeur fit décorer le mihrab de mosaïques.

L'immense cour intérieure, et les galeries couvertes de 288 coupoles, pouvaient accueillir plus de 10 000 fidèles. La mosquée compte sept portes : une face au lever du soleil, deux face au coucher et deux sur chacune des ailes latérales. Dans l'aile droite de la mosquée, un puits très profond contenait de l'eau sainte ; elle était versée dans une immense coupe en pierre lui assurant de rester fraîche. Les pèlerins faisaient un vœu en la buvant. Au centre, une rotonde, aux huit portes symbolisant les portes du paradis, fut ajoutée par le dernier khan de Boukhara en souvenir des martyrs, morts lors de la destruction de la mosquée par Gengis khan. Durant l'époque soviétique, de 1924 à 1989, la mosquée est restée fermée avant d'être transformée en entrepôt et en meunerie pendant la Seconde Guerre mondiale. Grâce au financement de l'Unesco, la coupole bleue ou Kok Goumbaz, dominant le mihrab, ainsi que son portail furent restaurés.

Madrasa Mir-i-Arab. Elle fut édifiée en 1535 par le cheik Abdullah, chef religieux yéménite et guide spirituel d'Ubaydullah khan. Le khan finança sa construction grâce à la vente de 3 000 prisonniers perses, des musulmans chiites, considérés comme des infidèles, et vendus comme esclaves. À l'époque soviétique, cette madrasa fut la seule autorisée à dispenser un enseignement religieux en Asie centrale. Aujourd'hui, elle bénéficie d'une considérable réputation et les étudiants y sont très nombreux. Son accès est interdit aux visiteurs. De l'extérieur, son allure est imposante et ses deux coupoles bleues font un bel écho au Kok Goumbaz de la mosquée Kalon. Le khan Ubaydullah khan et le cheik Abdullah Mir-i-Arab y sont enterrés.