MUSÉE DU GÉNOCIDE DE TUOL SLENG
Difficile d'imaginer un séjour à Phnom Penh sans visiter au moins une fois le musée de Tuol Sleng, plus connu sous le nom de S21. Entre 1975 et 1979, cet ancien lycée construit sous le protectorat français a été le lieu des pires atrocités commises par les Khmers rouges lors du génocide. Près de 18 000 hommes, femmes et enfants y ont été incarcérés, torturés et exécutés. Douze seulement ont survécu à l'horreur : sept adultes et cinq enfants, cachés sous un tas de vêtements ayant appartenu aux prisonniers, et libérés par les Vietnamiens lors de la prise de Phnom Penh le 7 janvier 1979.
Visiter S21 est avant tout un devoir de mémoire, pour ne pas oublier la folie collective et sanguinaire qui a habité le régime du Kampuchéa démocratique. Lieu de recueillement, une tenue correcte y est exigée. Utiliser l'audio-guide est particulièrement conseillé : remarquablement réalisé, il donne de nombreux détails sur l'organisation de la prison, les conditions d'incarcération, la vie de certains prisonniers et des responsables du camp. Les photos et le récit de l'audioguide sont extrêmement choquants, à tel point que la direction du musée déconseille la visite aux enfants de moins de 14 ans.
S21 s'étendait bien au-delà du lycée en lui-même : les maisons alentour servaient de logements à l'administration ou de centre de torture pour les prisonniers les plus importants. De vastes zones des environs ont été mises en culture afin de pouvoir nourrir le personnel et les prisonniers. Aujourd'hui, seuls les bâtiments du lycée gardent en mémoire les atrocités qui y ont été commises.
L'école de Chao Ponhea Yat se composait de cinq bâtiments de deux étages, formant un U autour d'une cour intérieure. C'est dans cette ancienne cour de récréation que commence la visite, avec les 14 tombes des derniers prisonniers exécutés par les Khmers rouges, et dont les corps mutilés ont été trouvés par l'armée vietnamienne. La visite commence alors dans les bâtiments. Si certaines salles de classe ont été converties en centre de torture, la grande majorité abritait les prisonniers, soit dans des cellules collectives où s'entassaient plus de 50 prisonniers, les pieds attachés à des barres de fer, soit dans des cellules individuelles d'environ deux mètres carrés. Des barbelés avaient été installés aux étages pour empêcher les prisonniers de se suicider : le droit de vie ou de mort n'était réservé qu'à la direction du camp. Tous les jours, des fouilles systématiques étaient menées par les gardiens : un stylo pouvait servir à s'ouvrir la gorge, un boulon ou une vis pouvaient être avalés afin de se donner la mort et ainsi de suite.
Les premiers détenus étaient d'anciens responsables du régime de Lon Nol. A partir de 1976, la paranoïa des dirigeants de l'Angkar (« L'organisation », le surnom du parti communiste khmer) a conduit à une purge systématique de la population cambodgienne : les intellectuels et les moines ont été les premiers visés. Le simple fait de porter des lunettes ou de parler une langue étrangère signifiait une condamnation à mort. De nombreux innocents ont été arrêtés après des dénonciations calomnieuses. Des étrangers, principalement des Vietnamiens, mais aussi quelques Occidentaux (dont quatre Français) ont été incarcérés et exécutés à S21. Puis, dans les années qui suivirent, de nombreux cadres et subalternes de l'Angkar, soupçonnés d'être des traîtres, ont rejoint les rangs de leurs anciennes victimes. Des gardes de S21, généralement des adolescents, ont également été incarcérés après avoir manqué au règlement drastique mis en place par l'administration.
Les prisonniers n'avaient pas le droit de communiquer entre eux, devaient faire leurs besoins dans des caisses de munitions américaines (dont on voit encore la trace dans certaines cellules) et ne pouvaient boire de l'eau sans autorisation. En guise de repas : quatre cuillères d'un infâme gruau de riz deux fois par jour et un bol de soupe où nageaient quelques feuilles. La promiscuité et le manque d'hygiène (en guise de douche, les prisonniers étaient aspergés à la lance à incendie une fois tous les quatre jours) causaient de nombreuses maladies. L'équipe médicale, inexpérimentée, n'était là que pour maintenir en vie les prisonniers après les séances de torture.
Le directeur du camp, Khang Khek Leu, un ancien instituteur qui se faisait appeler camarade « Douch » et dont le retentissant procès s'est ouvert en 2009, avait mis en place un système que seuls les régimes totalitaires sont capables de créer. Le personnel du camp était divisé en quatre sections : la photographie, l'administration, la surveillance et l'interrogation. Il était interdit à chaque section de faire le travail de l'autre. Par exemple, si un garde assigné à la surveillance tabassait un détenu, il était aussitôt arrêté et rejoignait les rangs des prisonniers. A l'arrivée des déportés, la procédure restait invariablement la même : chaque personne était photographiée, puis déshabillée, fouillée et interrogée une première fois. La biographie complète du prisonnier, depuis sa naissance, jusqu'à son arrestation, était consignée puis archivée. Puis, après deux ou trois jours, les interrogatoires commençaient.
Trois groupes s'occupaient des séances de confession : les « gentils », qui n'avaient pas le droit de porter la main sur les prévenus, les « mordants », qui s'occupaient des cas les plus importants, et les « chauds » qui pouvaient user des tous les moyens qui leur semblaient bons pour extirper des aveux. Les « chauds » commençaient en général par un passage à tabac en règle, et si cela ne suffisait pas, des moyens extrêmes étaient utilisés. Pinces chauffées à blanc pour arracher les chairs, insectes venimeux placés sur les organes génitaux, électrocution, « waterboarding », étouffement avec un sac en plastique, pendaison par les pieds jusqu'à l'évanouissement (pour les réveiller, les gardiens les plongeaient dans des jarres remplies d'eau croupie et d'excréments), etc. Si le viol était proscrit par le camarade Douch, certains gardiens n'ont pas hésité à agresser sexuellement des détenues (pris sur le fait, les gardiens rejoignaient le rang des prisonniers). Lorsque le prisonnier craquait enfin, il avouait travailler pour le KGB ou la CIA, dénonçait des membres de sa famille, qui étaient ensuite arrêtés et conduits à S21. Et tout recommençait. Ses confessions sous la torture étaient absurdes : un Américain arrêté dans les eaux territoriales khmères alors qu'il faisait un tour du monde en bateau, avait avoué que son contact à la CIA était le colonel Sanders, le fondateur de la célèbre marque de poulet frit américain.
Sur les murs de la prison étaient inscrites les règles que devaient suivre les déportés (retranscrites ici avec les fautes de grammaire d'origine) :
Réponds conformément à ma question que je t'ai posée. N'essaie pas de détourner la mienne.
N'essaie pas de t'échapper en prenant des prétextes selon tes idées hypocrites. Il est absolument interdit de me contester.
Ne fais pas l'imbécile, car tu es l'homme qui s'oppose à la révolution.
Réponds immédiatement à ma question sans prendre le temps de réfléchir.
Ne me parle pas de tes petits incidents commis à l'encontre de la bienséance. Ne parle pas non plus de l'essence de la révolution.
Pendant la bastonnade ou l'électrochoc, il est interdit de crier fort.
Reste assis tranquillement. Attends mes ordres, s'il n'y a pas d'ordre, ne fais rien. Si je te demande de faire quelque chose, fais-le immédiatement sans protester.
Ne prends pas prétexte sur Kampuchéa Krom pour voiler ta gueule de traître.
Si vous ne suivez pas tous les ordres ci-dessus, vous recevrez des coups de bâton, de fils électriques et d'électrochocs (vous ne pourrez pas compter ces coups).
Si tu désobéis à chaque point de mes règlements, tu auras soit dix coups de fouet, soit cinq électrochocs.
Les prisonniers étaient maintenus en vie pendant deux à trois mois, parfois plus longtemps pour les plus importants. Puis, une fois que leurs aveux semblaient suffisants à la direction du camp, ils étaient exécutés. Les premières années, ils étaient tués sur place, puis par manque de place et par souci d'hygiène, les condamnés étaient amenés à une dizaine de kilomètres au sud du camp, sur le site de Choeung Ek, aujourd'hui appelé « Killing Fields ».
Ce système kafkaïen de la torture a duré pendant quatre ans. Le soin apporté par Douch aux archives du camp est étonnant : garder une trace écrite de cette industrie de la mort peut sembler absurde, mais comme pour les camps nazis, la direction de S21 était persuadée du bien-fondé de leur méthode et de la pérennité du régime qu'ils étaient en train de créer. Alors que Pol Pot donne l'ordre d'évacuer S21 le 5 janvier 1979, Douch n'a pas le temps de détruire ces archives. Toutes les photos des prisonniers prises lors de ces années sanglantes, souvent d'inconnus, sont maintenant exposées dans les anciennes cellules. Marcher avec tous ces regards posés sur vous est une épreuve difficile, mais libératrice pour les familles des victimes, qui se rendent toujours aujourd'hui à S21, dans l'espoir d'identifier un proche disparu pendant le règne du Kampuchéa démocratique.
Dans les derniers bâtiments sont exposés les instruments de torture mais aussi des peintures d'un ancien prisonnier, Bou Meng, gardé en vie par ses geôliers afin de sculpter des bustes de Pol Pot ; sa femme a été tuée à S21. Ces œuvres, d'une violence inouïe, apportent un témoignage glaçant sur les conditions de vie des prisonniers. Bou Meng est toujours en vie, et donne régulièrement des conférences aux jeunes générations, afin que la mémoire du génocide perdure le plus longtemps possible. Mémoire que chaque visiteur de S21 doit garder en lui et transmettre.
Au-delà de la visite de ce lieu de l'effroi, nous vous conseillons un certain nombre d'œuvres consacrées à S21 ou au régime khmer rouge. Notamment, Duch, le maître des forges de l'enfer, est un documentaire franco-cambodgien du réalisateur Rithy Panh, qui a reçu de nombreux éloges à sa sortie en 2011. Le film, simple dans son concept, est une rencontre entre le réalisateur et le tortionnaire, à qui Rithy Panh pose des questions sur sa responsabilité dans l'attente de l'appel de son procès. Le tout, les yeux dans les yeux, est une lourde plongée dans ce que l'on pourrait nommer le mal à l'état pur. A ne pas regarder un jour où vous vous sentez déprimé.
En 2003, le même réalisateur avait tourné S21, la machine de mort Khmère rouge, déjà une œuvre émouvante autant qu'effrayante, donnant le témoignage de deux des survivants de l'enfer du S21.
Ce musée, autant que les œuvres citées ci-dessous, ne sont pas des moments de plaisir, mais vous aideront grandement à comprendre le peuple cambodgien par son histoire tourmentée.
Le saviez-vous ? Cet avis a été rédigé par nos auteurs professionnels.
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Avis des membres sur MUSÉE DU GÉNOCIDE DE TUOL SLENG
Les notes et les avis ci-dessous reflètent les opinions subjectives des membres et non l'avis du Petit Futé.
Le mémorial est très pédagogique, et il ne faut pas repartir de Phnom Penh sans visiter pour essayer de comprendre.