TEKKÉ RUFAÏ
Ce lieu de culte soufi appartient à la confrérie des rufaïs (Teqja e Rufaive, Tekija Rifaija). Le tekké est installé dans une maison moderne et sans charme érigée en 1972, mais il a joué un rôle important dans l’histoire récente du soufisme en Europe. C’est aussi ici que se déroule une impressionnante cérémonie religieuse : l’Ijra, rite consistant à se transpercer les joues et d’autres parties du corps.
Histoire. Les rufaïs sont une des plus récentes tarikats (confréries) soufies du Kosovo, arrivée de Turquie au XIXe siècle. Fondé par Ahmed ar-Rifa’i au XIIIe siècle au sud de l'Irak, ce mouvement proche du sunnisme, mais influencé par le chiisme, est présent un peu partout à travers le monde, en particulier en Égypte où il demeure influent dans la société. Il partage de nombreux points communs avec la confrérie des kaderis. Les rufaïs et les kaderis sont d’ailleurs les confréries qui comptent le plus grand nombre de tekkés et d’adeptes au Kosovo aujourd’hui. À Prizren, un premier tekké rufaï fut créé à l'emplacement de l’actuel tekké en 1892. Il fut détruit en 1915 par les occupants bulgares qui favorisaient le sunnisme au détriment du soufisme. Refondé en 1938, il fut reconstruit en 1972 à l’initiative du leader local du mouvement, le cheikh albanais Xhemali Shehu (1926-2002). C’est ici que celui-ci lança, en 1974, le mouvement de renaissance du soufisme en ex-Yougoslavie. Malgré l’opposition des imams sunnites de Bosnie-Herzégovine, qui dirigeaient alors l’ensemble de la communauté musulmane yougoslave, dès 1975, les différents ordres soufis de la fédération se regroupaient au sein de la Communauté des tarikats de Yougoslavie. Plus importante structure du soufisme en Europe, celle-ci a essaimé à travers le continent, principalement au sein de la diaspora yougoslave d’Allemagne. En Yougoslavie même, le nombre de fidèles a rapidement doublé pour atteindre plus de 100 000 personnes dans les années 1980. Aujourd’hui, la Communauté des tarikats du Kosovo est complètement indépendante des instances sunnites et compte entre 200 000 et 300 000 adeptes.
Visite. Le tekké rufaï de Prizren demeure un important centre du soufisme dans le pays. Il est dirigé par le fils de Xhemali Shehu, le cheikh Adrihusein Shehu. Les visiteurs sont les bienvenus l’après-midi du lundi au jeudi pour discuter avec les derviches ou avec le cheikh. À l’intérieur, la salle de prière rituelle (tevhidhane) n’est pas très grande, capable d’accueillir une centaine de participants au maximum. Le mur du fond est occupé par le mihrab, niche indiquant la direction de La Mecque, avec, de part et d’autre, tout un attirail d’armes évoquant le passé militaire de la confrérie au sein de l’Empire ottoman, comme ces bardiches, lances munies d’un fer de hache en forme de croissant. C’est aussi sur ce mur que sont suspendus les kudums et bendirs (instruments de percussion) ainsi que les objets perforants utilisés lors de l’Ijra. Sur la droite se situe une petite estrade en bois où se trouvent les tenues portées par les hommes durant les rituels : veste noire et bonnet en feutre noir et blanc. C’est ici que s’assoient les invités durant les cérémonies, tandis que les femmes de la confrérie sont reléguées sur la mezzanine située au-dessus. Celles-ci ne prennent pas part aux rituels, mais les rufaïs sont une des très rares confréries à autoriser la présence des femmes.
Cérémonie. Des prières et rituels privés sont organisés chaque vendredi dans le tekké. Mais la cérémonie la plus importante est l’Ijra, qui a lieu les 21 et 22 mars. Ce jour-là, comme toutes les autres confréries soufies, les rufaïs célèbrent Norouz. Cette fête du nouvel an persan marque l'arrivée du printemps, mais aussi l'anniversaire du cousin du prophète Mahomet, le calife et imam chiite Ali. En tant que simple curieux, il est possible d’assister à l’Ijra sur demande. Mais les places sont rares. En début d’après-midi, dans la salle de prière rituelle, les derviches et les garçons qui vont être initiés se rassemblent en cercles concentriques en direction du mihrab pendant environ trois heures. Cela commence par le Zikr (ou Dhikr) qui, en arabe, signifie le « souvenir ». Tous les participants scandent en cœur le nom d’Allah et des douas, des prières de supplication. Au rythme des percussions, les corps ondulent, les têtes tournent et les prières répétées des centaines de fois provoquent un état de transe qui renforce le sentiment d’unité. Au bout de deux heures environ débute l’Ijra, rituel qui symbolise le Keramet, les miracles accomplis par le calife Ali. Une dizaine de garçons, certains âgés de 10 ans, sont initiés. Alors que les chants continuent, un derviche ou le cheikh leur transperce les joues de part en part avec le zarf, une épingle tranchante, ici de faible épaisseur. Quand on leur retire, les joues saignent, mais faiblement car la transe ralentirait le flux sanguin. Les garçons sont désormais admis en tant que membres de la confrérie. L’Ijra se poursuit. Des derviches adultes qui souhaitent accéder à un rang supérieur se transpercent à leur tour les joues avec un zarf plus épais. Alors que le groupe entame une danse finale, les derviches confirmés se percent les joues, mais aussi le cou, le larynx ou le ventre. L’objectif est de parvenir à un état de séparation de l'âme et du corps afin de ne pas ressentir de douleur physique. Quand tout s’arrête enfin, les participants semblent fatigués mais heureux. Tous se retrouvent alors autour d’un verre sans alcool.
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Avis des membres sur TEKKÉ RUFAÏ
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