ÉGLISE DU CHRIST-PANTOCRATOR
Une église romane aux rares ornementions gothiques surmontée d’une coupole byzantine : ce vaisseau blanc aux lignes pures posé en contrebas d’un talus verdoyant est d’une beauté troublante. C’est la plus haute église orthodoxe serbe du Moyen Âge : le bâtiment atteint 24 m de largeur pour 36 m de longueur tandis que le dôme culmine à 29 m de hauteur. Si l’architecte est clairement identifié grâce à une inscription, les quelque mille fresques de style serbo-byzantin qui ornent les murs sont l’œuvre d’artistes inconnus, sans doute issus de la grande « école de la cour du roi Milutin » (1282-1321). Achevé en 1350 sous le règne de Stefan Dušan, ce chef-d’œuvre reste pourtant associé à jamais à son fondateur, Stefan Uroš III Dečanski (« Étienne Ouroš III de Dečani »). C’est lui qui décida du début des travaux en 1327. C’est lui qui l’a dédiée au Christ « Tout-Puissant » (pantocrator en grec). C'est aussi lui qui l’a imaginée ainsi, comme un idéal, une rencontre sans équivalent des arts d’Orient et d’Occident. Depuis près de sept siècles, presque rien n’a changé.
Architecture
Le bâtiment correspond à l’architecture classique des églises byzantines avec son plan en croix inscrite, c’est-à-dire sans transept : un naos (« temple ») surmonté d’une coupole qui s’achève à l’est par une abside et qui est précédé à l’ouest par un narthex (« vestibule »). Et pourtant : ce plan si orthodoxe est l’œuvre d’un moine catholique.
Vitus de Kotor. C’est ce franciscain du Monténégro qui fut choisi comme architecte de l’église par le roi Stefan Uroš III en 1327. Cet abbé passe pour l’un des plus grands bâtisseurs des Balkans du XIVe siècle. On ne lui connaît pourtant pas d’autre réalisation que l’église de Dečani. Mais il est probable que ce chef-d’œuvre ne fut pas son coup d’essai. Toujours est-il qu’on ne sait presque rien de lui, si ce n’est qu’il dirigeait une abbaye et un monastère à Kotor, au Monténégro. S’il peut paraître étonnant qu’un catholique dessine les plans d’une église orthodoxe, il faut rappeler que Kotor a appartenu pendant deux siècles (1187-1389) aux rois serbes. Ceux-ci considèrent alors le port de l’Adriatique comme leur joyau et lui accordent une large autonomie à la fois religieuse, politique et commerciale. En important le savoir-faire des maîtres vénitiens et toscans, les moines catholiques ont fait de Kotor au XIVe siècle la deuxième capitale de l’architecture des Balkans après Constantinople. C’est d’ailleurs avec une équipe de trente maîtres et maçons de Kotor que l’abbé Vitus s’installe à Dečani pour huit ans en 1327.
Plan. L’église est composée de trois parties. 1) Le narthex : ce « vestibule » très haut (20 m) comprend trois vaisseaux de 11 m longueur sur 14,5 m de largeur. 2) Le naos : encore plus volumineux, il s’étend sur 13 m de longueur et 24 m de largeur avec cinq vaisseaux, dont deux sont des chapelles latérales dotées chacune d’une abside. Le naos s’achève par la coupole montée sur tambour qui culmine à 29 m de hauteur. 3) Le sanctuaire : constitué de trois espaces parallèles s’achevant chacun par une abside, il atteint les mêmes dimensions que le narthex au niveau de l’abside de l’autel.
Proportions. Vitus de Kotor a calculé l’ensemble avec comme unité de mesure principale le pied grec, qui équivalait alors localement à 29 cm. La hauteur de la coupole a été utilisée comme référence, puisqu’elle atteint le chiffre rond de 100 pieds, soit 29 m. De là, ont été déterminées les dimensions jugées les plus harmonieuses avec, au maximum, 124 pieds (35,95 m) pour la longueur et 83 pieds (24,07 m) pour la largeur.
Styles. D’une manière générale, l’édifice s’apparente aux églises catholiques croates de style roman de Dalmatie bâties au XIIIe siècle comme l’église Saint-Dominique de Trogir ou la cathédrale Sainte-Anastasie de Zadar. Elle intègre aussi des éléments gothiques, notamment, à l’intérieur, des voûtes en croisée d’ogives. Toutefois, sa coupole montée sur tambour et les chapelles latérales de la nef appartiennent clairement au style byzantin. Par ce mélange des genres, l’église du Christ-Pantocrator peut être considérée comme l’aboutissement de l’école architecturale serbe de la Raška (XIe-XIIIe siècles). Elle apparaît ainsi comme une réplique à la fois plus massive et plus épurée de l’église du monastère de Gradac (Serbie), bâtie vers 1275 par Hélène d’Anjou, la mère de Stefan Dečanski.
Extérieur
D’allure massive, l’église ressemble un énorme bloc de marbre blanc coupé au cordeau. Mais plus on s’approche, plus on en perçoit les nuances, le détail d’un sobre décor où, çà et là, explosent des bas-reliefs aux créatures sorties tout droit du bestiaire de l’Occident médiéval.Murs. Ils sont constitués de rangs alternés de moellons en « marbre » de deux couleurs différentes. Le résultat, splendide, évoque la façade de la basilique Sainte-Claire d’Assise (Italie), achevée en 1265. En fait, il ne s’agit pas véritablement de « marbres » mais de pierres, toutefois assez coûteuses. Les rangs les plus clairs sont composés de blocs d’albâtre, un calcaire jaune pâle appelé « marbre-onyx » qui provient de Banjica, 35 km au nord-est, près de Peja/Peć. Les rangs plus foncés sont obtenus par l’utilisation de brèche (ou breccia), une roche de conglomérats oxydée rose connue sous le nom de « marbre breccia ». Cette dernière a été extraite à Bistrica, 140 km au nord-est, dans la pointe nord du Kosovo, et a également été utilisée au XVIIe siècle pour le décor intérieur de la basilique Saint-Pierre du Vatican. Par ailleurs, le « marbre-onyx » jaune pâle a aussi été retenu pour la réalisation du décor (portes, fenêtres et sculptures). Mais cette pierre s’est révélée fragile et porte de nombreuses traces d’usure et de fissures.
Portails. L’église comporte trois portes de style roman tardif, toutes percées dans le narthex et ornées de motifs sculptés. L’entrée se fait par le portail sud, le plus simple, orné d’une croix sur le tympan et encadré de deux griffons. Le portail de la façade est le plus imposant et le plus décoré. Sur son tympan en plein cintre figure le Christ Pantocrator assis sur un trône, entouré de deux lions et de deux anges. La porte est encadrée de chaque côté de quatre piliers et colonnettes dont deux portent la statue d’un lion endommagé. Au-dessus du tympan, l’archivolte extérieure est orné de feuilles de vigne qui portent des centaures, des chevaliers, des dragons et un loup dévorant un agneau, encadrant, au sommet, un lion portant des grappes de raisin dans sa gueule ouverte. Enfin, le portail nord est encadré de deux lions et son tympan porte un bas-relief représentant le baptême du Christ. En dessous, le linteau porte l’inscription dédiée à l’architecte et aux deux rois commanditaires : « Fra Vito, frère mineur, protégé de Kotor, la ville des rois, a construit l'église du Pantocrator pour le roi Stefan Uroš III et son fils le lumineux et transcendant roi Stefan. La huitième année, l'église fut achevée à l’été 1335. »
Fenêtres et sculptures. L’église compte une vingtaine de fenêtres. Presque toutes sont de style roman (arc en plein cintre), mais quelque-unes possèdent une légère forme d’ogive qui annonce le gothique, en particulier au niveau de la coupole. Leur arcature varie aussi beaucoup. Deux fenêtres romanes à triple arcature portées par quatre colonnettes sont les plus ornementées. Elles se situent aux deux extrémités de l’église : l’une au-dessus du portail ouest, l’autre dans l’abside de l’autel. La première est dotée d’un tympan avec un bas-relief de saint Georges terrassant le dragon et les chapiteaux de ses deux colonnettes centrales portent chacune une statuette de lion. Elle était encadrée de quatre statues fixées au mur comprenant deux personnages humains accroupis et de deux griffons, mais l’un des griffons a disparu. La fenêtre à triple arcature de l’abside est elle aussi encadrée de quatre statues, dont seul un lion est bien préservé. Les colonnettes centrales sont coiffées par deux petits griffons. Le reste du décor se compose de motifs complexes où se mêlent des éléments végétaux (fleurs, feuilles de vigne et d’acanthe), des dragons, un serpent, divers monstres, des personnages humains ou encore, sur le tympan, un basilic, animal de la mythologie gréco-romaine ici représenté avec un corps de coq et une queue de serpent. La plupart des fenêtres à double arcature sont aussi décorées (oiseaux, dragons, basilic, serpents, agneau, aigle, visages humains, etc.). La plus intéressante se trouve sur la droite de la façade du narthex : son tympan est orné d’un bas-relief figurant un énigmatique couple enlacé.
Narthex
C’est par ce « vestibule » que l’on pénètre, via le portail nord, dans l’église la plus décorée du Moyen Âge (4 000 m2 de fresques). Légèrement moins élevé que le naos qu’il précède, le narthex n’en est pas moins haut, spacieux et lumineux. Naturellement éclairé par huit fenêtres romanes, l’espace est composé en trois vaisseaux (en longueur) et trois travées (en largeur) qui sont délimités par six colonnes de marbre blanc de plus de 6 m de hauteur. Les chapiteaux des colonnes sont sculptés de personnages humains et de griffons. Ils supportent une série de voûtes qui culminent à 20 m de hauteur au niveau des trois dômes du vaisseau central. L’ensemble des murs et des plafonds est orné de fresques réalisées entre 1346 et 1347. Celles-ci sont dans l’ensemble bien préservées, sauf sur certaines parties des murs des vaisseaux latéraux. Ces peintures sont constituées en quatre grands programmes (calendrier orthodoxe, cycle de saint Georges, cycle des conciles œcuméniques, dynastie des Nemanjić) qui convergent vers le grandiose portail donnant sur le naos.Chapelle Saint-Georges. À gauche en entrant, au niveau du sarcophage, cette chapelle n’est pas matérialisée, mais c’est tout tout le coin nord-est qui est consacré à saint Georges de Lydda, mégalomartyr et saint militaire mort en 303. Il s’agit d’un ex-voto du roi Stefan Dečanski qui fut réalisé après sa mort. C’est en effet à saint Georges que le souverain adressa ses prières avant la grande victoire de Velbajd contre les Bulgares, en 1330. Sur le mur est, un vaste cycle décrit les actes (voûte), le martyre et les miracles de saint Georges. On le voit faisant tomber les idoles païennes ou encore avec le dragon, ici apprivoisé et tenu en laisse par la princesse qui vient d’être sauvée. Après toute une série de supplices, le saint est présenté à l’empereur Dioclétien, puis décapité. La partie basse est occupée par la Mère de Dieu Paraklesis (« médiatrice » en grec) et par la dormition du Christ entouré d’un magnifique chérubin et des Pères de l’Église saint Jean Chrysostome et saint Basile. Sur le mur nord se trouve le portrait du noble serbe Đorđe (Georges) Ostouša Pećpal qui a financé les fresques de cette chapelle : il est présenté par saint Georges (debout et en partie effacé) au Christ en majesté assis sur un trône doré. Le sarcophage contenait quant à lui les os de vingt-quatre higoumènes (abbés) du monastère. Le sol de toute la partie nord du narthex est quant à lui composé de dalles sous lesquelles reposent d’autre moines et higoumènes.
Calendrier des fêtes orthodoxes. Sur les parties hautes des murs, un immense programme présente le menologion : les 365 jours de l’année illustrés de saints. Selon la tradition byzantine, le calendrier commence au 1er septembre. Ce jour-là est matérialisé sous la voûte du mur oriental, à gauche, au-dessus du portail et du Christ Pantocrator avec le portrait de saint Siméon le Stylite (IVe siècle) juché sur une colonne (son épithète vient de stylos qui signifie « colonne » en grec).
Conciles œcuméniques. Les trois dômes du vaisseau central du narthex sont ornés de douze fresques décrivant les six premiers conciles œcuméniques : Nicée I (325) et Constantinople I (381) sur le dôme est (près du portail) ; Éphèse (431) et Chalcédoine (451) sur le dôme central ; Constantinople II (553) et Constantinople III (680-681) sur le dôme ouest. La moitié des scènes figurent les empereurs byzantins présidant les assemblées. Les autres représentent les débats entre les « bons » évêques (qui portent une auréole) et les « mauvais » évêques nestoriens, monophysites, etc.
Arbre des Nemanjić. Peint à droite du portail, devant les fonts baptismaux (bassin en pierre du XVIe siècle), c’est une des fresques majeures de Dečani. Cette représentation de la généalogie de la plus illustre dynastie serbe (1166-1371) est complète, puisque la lignée s’est éteinte vingt-quatre ans après l’exécution de l’œuvre. En bas, au centre, le fondateur, Stefan Nemanja apparaît les bras ouverts en tant que Syméon le Myroblite (le nom sous lequel il fut canonisé). Il est entouré par ses fils saint Sava (en habit de prélat, fondateur de l’Église serbe) et Stefan Ier, son successeur. Cette partie de la fresque a subi les outrages de profanateurs (les yeux ont disparu) et d’adorateurs (les graffitis de moines, dont un daté de 1782). L’arbre se poursuit ainsi avec les plus importants souverains représentés en grand. Les médaillons sont réservés aux cousins, aux filles, aux épouses et aux « mauvais » rois. La dernière rangée présente Stefan Dušan (1331-1355) entouré par son père Stefan Dečanski (à droite), qui commandita l’église, et par son fils alors âgé de 10 ans, le futur et dernier des Nemanjić, Stefan Uroš V.
Autres portraits des Nemanjić. Commanditaire des fresques, l’empereur Stefan Dušan s’est fait représenter dans un grand portrait de famille situé sur le mur ouest. Il est entouré par sa femme, Jelena de Bulgarie, et par leur fils, le futur roi Stefan Uroš V. Les trois personnages sont abusivement figurés avec une auréole : aucun d’entre eux ne sera canonisé par l’Église serbe. Dušan apparaît aussi avec son père, Stefan Dečanski, le commanditaire de l’église, au-dessus de l’inscription du linteau de la porte principale.
Portail. La porte qui donne accès au naos est ornée d’un décor somptueux. Elle est encadrée de deux colonnes en pierre portant l’une un griffon, l’autre un lion. Elles reposent chacune sur un lion en pleurs tenant un martyr chrétien entre ses pattes. Le tympan est quant à lui orné d’un immense portrait du Christ Pantocrator sur fond bleu. Pas n’importe quel bleu : une poudre de pierre de lapis-lazuli d’Afghanistan, le plus précieux pigment du Moyen Âge, dont le prix dépassait celui de l’or. Jésus joint le majeur et l’index pour signifier sa double nature (humaine et divine). En dessous, les deux fondateurs du monastère, Stefan Dečanski (à droite) et son fils Stefan Dušan (à gauche) tendent les mains pour recevoir d’un chérubin (au centre) deux manuscrits portant la bénédiction du Christ.
Naos
La partie centrale de l’église impressionne par ses dimensions et son foisonnement de fresques. Conçue pour servir de mausolée au roi Stefan Dečanski, elle est constituée de cinq vaisseaux (longueur) et de deux travées (largeur). Les vaisseaux sud et nord sont dotés chacun d’une abside. Ils forment deux parecclesions, des chapelles latérales typiques de l’architecture byzantine des Xe-XIIe siècles, ici consacrées à saint Nicolas (sud) et à saint Démétrios (nord). L’ensemble est dominé par la grande coupole qui se dresse au-dessus du vaisseau central. Les fresques, dans l’ensemble bien préservées, ont été réalisés entre 1338 et 1347. En dehors des peintures des deux chapelles et de la coupole, détaillées plus loin, le reste du naos comporte toute une série de portraits de saints et, surtout, six cycles de fresques. Le naos abrite aussi les deux sarcophages de Stefan Dečanski et celui de sa sœur.Scènes de l’Apocalypse. Le pilier situé à gauche en entrant, en direction des deux premiers sarcophages, a été peint de scènes édifiantes. Elle appartiennent au cycle de la Parousie (lire ci-après). Trois d’entre elles sont rares, voire tout à fait uniques dans l’art chrétien, et illustrent le talent créatif des peintres qui ont utilisé des sources très diverses pour se documenter. Il y a d’abord cette représentation du Christ tenant une épée. Ce portrait peu commun fait référence au « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée » (Évangile selon Matthieu), parabole par laquelle le Christ annonce qu’il reviendra pour purifier l’humanité de ses péchés. Puis, à droite de la « Pesée des âmes », se trouve « l’Accusateur et la Prostituée », deux personnages autour desquels s’enroule un serpent. Cette scène agglomère trois thèmes de l’Apocalypse de saint Jean : le serpent (symbole du mal), le Diable (mot provenant du grec diavallo qui signifie « accusateur ») et la Grande Prostituée (incarnation de l’Empire romain qui réprima les premiers chrétiens). En dessous, la surprenante image de neuf hommes attaqués par des lombrics blancs se base sur le texte apocryphe de l’Apocalypse de Pierre qui, dans sa description de l’Enfer, cite des pécheurs aux « entrailles rongées par les vers qui ne se reposent point ».
Dormition de la Mère de Dieu. Cette vaste fresque se trouve au-dessus de la porte d’entrée et du linteau portant l’inscription des fondateurs de l’église. C’est la scène finale et la plus grandiose d’un cycle consacré à la vie de la Mère de Dieu qui court sur toute une partie de la zone ouest de la nef. Le concept de la Dormition de Mère de Dieu correspond à celui de l'Assomption chez les catholiques, mais avec un sens plus large : les orthodoxes évoquent autant la mort physique de Marie que sa montée au ciel. Ainsi, la fresque présente l’enveloppe charnelle de la Mère de Dieu plongée dans un sommeil (dormitio en latin) paisible et éternel, tandis que son âme apparaît sous la forme d’un nouveau-né tenu par le Christ, lui-même entouré des archanges Michel et Gabriel. Saint Jean se penche sur sa dépouille comme pour entendre ses derniers mots. Autour sont massés les autres apôtres, Marthe et sa sœur Marie accompagnées de vierges qui vont venir prier sur la tombe les jours suivants et, enfin, deux personnages en habits épiscopaux, Jacques le Juste (premier évêque de Jérusalem) et Denys l’Aréopagite (premier évêque d’Athènes et principal témoin de la mort de Marie).
Cycle de la Parousie. Consacré à la seconde venue du Christ sur la Terre et au Jugement dernier, ce cycle de « l’Attente » (parousia en grec) partage la même zone, à l’ouest du naos, que celui de la vie de la Mère de Dieu. Il s’achève au-dessus de la dormition de la Mère de Dieu. Ce final se compose de cinq scènes. 1) Christ Pantocrator : dans le dôme, le « Tout-Puissant » se tient assis sur le trône céleste. Cette image de juge implacable est atténuée par le fait que le Christ (adulte) n’a pas de barbe, une rareté. 2) Hétimasie : ce « trône vide » symbolise l’attente du retour du Christ. 3) Adam et Ève chassés de l’Éden : placés au niveau de l’arc de la voûte, ils représentent les hommes attendant que Dieu les ramène au Paradis. 4) Exaltation de la Vraie Croix : cette représentation, ici très graphique avec de grands halos blancs et des myriades d’anges, appartient normalement au cycle des grandes fêtes. 5) Jugement dernier : le Christ Pantocartor au regard sévère est assis sur un trône en or. La Bible qu’il tient est ouverte à la page de l’annonce de la parousie dans l’Évangile selon Matthieu : « Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; prenez possession du royaume. »
Arbre de Jessé. Exemplaire le plus complet du monde byzantin, cette représentation de la généalogie traditionnelle du Christ s’étale sur toute la hauteur du mur, tout de suite à droite de l’entrée. L’arbre établit une parenté entre Jessé, le père de David, le roi d’Israël (Ancien Testament), et Joseph, le père du Christ (Nouveau Testament). En partant du bas, l’ascendance se développe le long de feuilles d’acanthe portant des prophètes, des saints et des scènes bibliques. De part et d’autre, on reconnaît, à gauche, le prophète Élie monté sur son char volant tiré par des chevaux blancs, la fontaine de jouvence irriguant l’Éden, l’effondrement de la ville de Sodome, ou encore, à droite, le faux prophète Balaam sur son ânesse stoppé par un ange armé. La partie la plus étonnante se situe tout en bas à gauche. Ici apparaissent les philosophes Socrate, Aristote, Platon et Plutarque, le médecin Claude Galien et une sibylle auréolée. La présence de ces figures païennes dans une œuvre chrétienne peut surprendre. Il s’agit d’une tradition typiquement byzantine. Pour leur quête de la Sagesse et du Logos (la « raison »), les penseurs de l'Antiquité sont considérés comme les annonciateurs du Christ, presque au même titre que les prophètes. Quant à la sibylle, prophétesse, elle évoque l’image de la Mère de Dieu.
Sarcophages. En face de l’arbre de Jessé et à côté de la chapelle Saint-Nicolas se trouvent deux sarcophages en marbre. Le plus grand est celui du roi Stefan Dečanski (1276-1331), le fondateur du monastère. L’autre, plus petit mais du même modèle, est celui de sa sœur Ana-Neda (v. 1297-1346). Tous deux sont vides. Au moment de la canonisation des deux défunts (1343 et 1346), les reliques de ceux-ci furent placées dans un sarcophage et un reliquaire près de l’iconostase principale où elles demeurent aujourd’hui. De son vivant, Stefan Dečanski avait souhaité faire de l’église son mausolée. Ana-Neda fut brièvement tsarine de Bulgarie (1323-1324) et eut trois enfants avant de devenir moniale sous le nom de Jelena (Hélène). Tous d’eux firent l’objet d’une vaste ferveur populaire aussitôt après leur mort et les miracles attribués à leurs reliques contribuèrent à faire de Dečani un grand lieu de pèlerinage.
Cycle de l’Ancien Testament. Situé entre l’arbre de Jessé et la chapelle Saint-Nicolas, cet ensemble illustre les visions et les aventures du prophète Daniel. La partie la mieux préservée et la plus frappante se trouve au-dessus des arcades : le roi babylonien Nabuchodonosor fait enfermer les trois jeunes Hébreux (Ananias, Azarias et Misaël) dans un four surchauffé dont les flammes tuent les soldats du roi. Sur la droite, Daniel est quant à lui plongé dans la fosse aux lions par le roi achéménide Darius. Daniel et les trois garçons sont sauvés grâce à l’intervention des anges.
Cycle de l’Acathiste à la Mère de Dieu. Placé entre les sarcophages et la chapelle Saint-Nicolas, ce cycle est une mise en images de l’hymne chanté en l’honneur de Marie que l’on écoute « non assis » (akathistos en grec) durant la liturgie. Selon un code très strict, chaque scène correspond à l’une des vingt-quatre stances (strophes) de l’hymne. Ainsi, sur le dôme, le faisceau blanc qui descend sur Marie assise illustre la quatrième stance (« La puissance du Très-Haut ») qui se rapporte à la conception virginale du Christ et de la Mère de Dieu. On reconnaît plus bas trois scènes consacrées aux rois mages (huitième, neuvième et dixième stances). Le cycle se poursuit dans la chapelle Saint-Nicolas.
Cycle des Actes des Apôtres. Ce programme de fresques, peu courant dans l’art byzantin, occupe les parties hautes du premier vaisseau nord, le long de la chapelle Saint-Démétrios. Il restitue trente épisodes tirés des Actes des Apôtres (Nouveau Testament). Dans la zone du premier dôme, on assiste aux échecs des apôtres Pierre et Jean suite à la mort du Christ. Après avoir réalisé deux miracles, ils sont accusés de mettre le peuple juif en danger par le grand prêtre Caïphe. Ils sont battus, emprisonnés puis jugés. Le procès donne lieu à une grande scène d’empoignade qui se termine mal : saint Étienne, le défenseur des deux apôtres, se fait lapider et devient le premier martyr chrétien. Dans les parties inférieures s’intercale un majestueux portrait de saint Constantin et sainte Hélène, le premier empereur byzantin et sa mère qui a découvert la relique de la Vraie Croix. La zone du deuxième dôme illustre les derniers épisodes de la vie du Christ. Remarquez « la guérison de l’homme hydropique » (le ventre gonflé par un œdème) : en sauvant celui-ci un jour de sabbat, le Christ enfreint volontairement la loi juive, affirmant ainsi le début d’une nouvelle ère. Notez aussi la « guérison des dix lépreux » dont les corps sont couverts de points rouges peu réalistes (par convention, c’est ainsi que la lèpre est représentée dans l’art byzantin) et, juste à côté, les drôles de petits diables noirs courant autour des « démoniaques de Génésareth ».
Sanctuaire
C’est la partie la plus sacrée de l’église. Symboliquement fermé par l’iconostase, le sanctuaire est réservé aux membres du clergé chargés de la célébration de la liturgie (messe). On ne peut donc pas pénétrer ni dans l’autel, ni dans la prothesis (au nord), ni dans le diakonikon (au sud). Ce dernier, longtemps utilisé pour entreposer le trésor du monastère, n’a de toute façon jamais été décoré. On peut toutefois admirer l’iconostase.Iconostase et sarcophage. L’iconostase principale de l’église est, certes, de modestes dimensions, mais c’est l’une des mieux préservées de l’époque byzantine. Chose rare, elle conserve à la fois sa cloison en marbre datant de 1335 et ses quatre grandes icônes des XIVe et XVIe siècles. Au départ, elle ne comptait que deux grandes icônes. Mais lorsque Stefan Dečanski est canonisé par le patriarcat de Peć, en 1343, l’espace est réorganisé : deux nouvelles grandes icônes sont ajoutées, dont celle de saint Nicolas (le saint protecteur du roi) qui subsiste à gauche, les reliques du roi (enterré dans le naos en 1331) sont installées ici, dans le sarcophage où elles demeurent, à droite en face de l’iconostase (sous le chandelier), et un portrait du roi est peint sur le pilier à côté du sarcophage. Une nouvelle intervention a lieu deux siècles plus tard alors que le grand peintre et moine Longin séjourne pendant vingt ans à Dečani. En 1577, pour répondre à l’engouement pour les reliques du roi, il réalise les trois autres grandes icônes actuelles : celle de la Mère de Dieu Éléousa tenant le Christ enfant, celle du Christ Pantocrator et celle de Stefan Dečanski (à droite). Il peint aussi la fresque de saint Nicolas, sur le pilier, directement au-dessus du sarcophage. Enfin, l’iconostase connaît un dernier changement en 1594. Cette année-là, le maître Andreja peint les portes royales et, au-dessus du linteau, la grande croix et les petites icônes de la Déisis (le Christ, Marie et saint Jean-Baptiste) et des douze apôtres.
Abside. Elle est dominée par la fresque de l’Orante : c’est la traditionnelle représentation de la Mère de Dieu « priante » (orans en latin), debout avec les mains levées et tendues, les paumes ouvertes vers l'extérieur. Symbolisant l’arrivée du Christ, elle est entourée des archanges Michel (à gauche) et Gabriel qui portent un étendard frappé trois fois du mot grec ΑΓΙΟC/Agios (« saint »), une référence au trisagion, une prière qui consiste à répéter en boucle « saint Dieu, saint fort, saint immortel ». Chaque archange tient aussi une sphère qui représente la création de la lumière (Michel) et de la terre (Gabriel) selon la Genèse.
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Avis des membres sur ÉGLISE DU CHRIST-PANTOCRATOR
Les notes et les avis ci-dessous reflètent les opinions subjectives des membres et non l'avis du Petit Futé.