ANGKOR WAT
Après sa visite de la capitale khmère à la fin du XVIe siècle, le moine portugais António da Madalena ne peut s'empêcher de raconter l'émotion que suscite la vue du temple d'Angkor Wat, « d'une telle construction extraordinaire qu'il n'est pas possible de le décrire sur papier, d'autant plus qu'il n'est pas comme les autres bâtiments dans le monde. Il a des tours, des décorations et tous les raffinements que le génie humain peut concevoir ». Il est en effet difficile de résumer en quelques lignes la magnificence que dégage l'un des plus grands lieux de culte jamais construits. Vous trouverez ici une description du temple en suivant l'ordre de la visite, c'est-à-dire, de la porte ouest à la porte est.
De nombreuses légendes entourent le monument le plus célèbre du Cambodge : pour certains, il s'agit du roi des dieux hindous Indra qui a ordonné la construction de l'édifice.
La légende veut qu’au IIe siècle, le Cambodge se trouve face à un problème de transmission de la couronne. Le roi Devunagshar (« protecteur de la lignée divine »), semble ne pas pouvoir donner d’héritier au royaume. Indra décide donc d’intervenir. Descendu sur terre parmi les mortels, il donne un fils à la reine Vong. Nommé Preah Kêt Meala (« lumière fleurie »), le jeune héritier est élevé parmi les hommes, à la cour du roi son père. Devenu adolescent, le jeune prince est invité à la cour du dieu Indra, au royaume des dieux. Il est alors subjugué par les richesses dont il est témoin, et fait part de son admiration au roi des dieux. Celui-ci, magnanime, l’autorise à faire appel aux services de son architecte divin pour édifier sur terre une copie du bâtiment de son choix. Pour ménager la susceptibilité du roi des dieux, le prince fait preuve d’humilité et se contente de demander une copie de ses écuries. Angkor Vat serait donc tout simplement une version terrestre des écuries d’Indra, roi des dieux ! Le voyageur et diplomate chinois Zhou Daguan, qui a rapporté de nombreux faits réels mais aussi colporté quelques légendes, affirme que le temple serait apparu en une nuit sur l'ordre de l'architecte d'Indra. Aujourd'hui encore, bien des mystères perdurent : les chambres secrètes qui abriteraient des coffres remplis d'or et de pierres précieuses n'ont jamais été retrouvées, même son nom d'origine reste inconnu. L'appellation Angkor Vat est apparemment utilisée depuis le XVIe siècle. Les Cambodigiens appellent également le site « Angkor Toc » (le Petit Angkor), par opposition à Angkor Thom (le Grand Angkor). Avant cela, le temple aurait été appelé Preah Pisnulok : « lieu sacré de (l'homme qui s'est rendu au) monde suprême de Vishnou », en référence au titre posthume de Suryavarman II son fondateur.
L'histoire d'Angkor Vat - la vraie - commence au début du XIe siècle. Le jeune roi Suryavarman II vient de battre sur le champ de bataille son grand-oncle et ainsi de s'emparer du trône impérial. Le voilà à la tête du plus puissant empire de la région et il ne tarde pas à affirmer sa suprématie. Il mène de nombreuses conquêtes sur le territoire des Chams, l'ennemi héréditaire de sa couronne. De ses victoires, il ramène dans sa capitale les fruits de ses pillages. Grâce à ce trésor de guerre, il peut enfin s'atteler à l'édification d'un monument à la gloire de son dieu tutélaire, qui sera le symbole de sa nouvelle capitale. Car, contrairement à la grande majorité des rois khmers qui vénèrent Shiva, Suryavarman II est un adorateur de Vishnou. La construction d'Angkor Vat peut enfin débuter.
L'enceinte extérieur et les jardins
Le complexe s'étend sur une surface immense : 1,5 km de longueur sur 1,3 km de largeur. L'ensemble est pensé comme un Mandala, ces symboles géométriques hindous. Mais Angkor Wat est avant tout un temple-montagne, représentation terrestre du Mont Meru, royaume des Dieux dans la mythologie hindoue. Des douves et des remparts, encore visibles aujourd'hui, forment la première enceinte. Pour y pénétrer, un pont donne sur une porte d'honneur ornée d'un splendide gopura marque l'entrée du site. A l'heure où nous écrivons ces lignes, le pont d'origine était en rénovation et une passerelle flottante a été installée. Contrairement aux autres temples hindous consacrés à Shiva et orientés à l'est, Angkor Wat (en français, le temple de la Capitale) est ouvert vers l'ouest, le point cardinal de Vishnou. L'alignement est si parfait qu'aux premières lueurs de l'aube, le soleil se lève juste entre les cinq tours du sanctuaire central. Lors des équinoxes, l'alignement est alors parfait et lorsque le soleil est au zénith, une chambre située sous le sommet du sanctuaire s'éclaire (les archéologues pensent que cette pièce devait accueillir le tombeau du roi).
Ce soleil qui se lève parfaitement au-dessus du temple est sans nul doute incroyablement photogénique. Les tour-opérateurs l'ont bien compris et proposent donc de commencer la visite d'Angkor dès 5h30 du matin pour pouvoir prendre la photo parfaite. Si l'idée est tentante, les touristes l'ont malheureusement bien compris. En haute-saison, Angkor Wat est pris d'assaut dès l'aube par des milliers de photographes amateurs. Au point de gâcher un peu la magie du lieu. Nous vous conseillons donc de vous y rendre après la cohue matinale, pour ne pas avoir à faire la queue (parfois plusieurs heures d'attente) au sanctuaire central.
Une fois les douves franchies, il faut marquer un temps d'arrêt pour admirer non seulement les premières sculptures d'Asparas et de Devatas (le temple en compte près de 1 800) mais surtout les trois gopuras de la porte ouest. Sous le gopura sud est assis une statue de Vishnou, qui devait probablement se trouver dans le sanctuaire central avant la réaction bouddhiste : dès la fin du XIIe siècle, après que les Chams aient pillé Angkor en 1177, le nouveau roi Jayavarman VII a établi une nouvelle capitale (Angkor Thom) et a transformé progressivement le temple de Vishnou en un sanctuaire du Bouddha. Aujourd'hui encore, de nombreux moines s'y rendent en pèlerinage, mais contrairement à leurs lointains ancêtres, apparemment moins tolérants, ils n'hésitent pas à offrir des offrandes à la statue de Vishnou. Un peu plus au sud, une immense porte dite « porte des éléphants » devait probablement servir de point d'entrée logistique pour les chariots, carrosses, et peut-être bien également pour les pachydermes royaux et sacrés.
Dans l'alignement de la porte ouest, le temple d'Angkor Wat apparaît dans toute sa splendeur. Une passerelle longue de 350 mètres et décorées de nagas permet d'y accéder en grande pompe. Tout autour se trouve un immense parc, où se trouvait la ville elle-même. Comme tous les bâtiments laïques d'Angkor, les habitations et le palais royal devaient être construits en bois. Il n'en reste aujourd'hui plus rien, si ce n'est quelques traces au sol de rues. La grande majorité est aujourd'hui recouverte de jungle. S'y promener, avant de se rendre à la deuxième galerie donne une bonne idée de ce qu'a pu ressentir au milieu du XIXe siècle l'archéologue français Henri Mouhot, lorsque le premier, il redécouvrit Angkor Wat, complètement recouvert de jungles et menacé de destruction par les grands banians et fromagers qui éclataient la pierre.
Depuis la trouvaille d'Henri Mouhot, de nombreux archéologues français s'y rendirent afin de restaurer le temple. La signature du protectorat du Cambodge en 1863 est en partie liée à ces ruines (le premier drapeau du Cambodge choisi lors de la création de cette colonie française figure déjà les tours d'Angkor Wat (tout comme aujourd'hui). Les autorités françaises d'Indochine voulant à tout prix étudier les ruines, la nécessité d'un accord politique avec le royaume du Cambodge devenait nécessaire. Une fois le protectorat acté, les troupes coloniales françaises arrachèrent au Siam (la Thaïlande actuelle) tout le territoire au nord-ouest du Cambodge afin de rattacher les ruines d'Angkor au territoire khmer. Pendant toute la fin du XIXe siècle et tout le XXe siècle, des travaux de restaurations ont permis de dégager le temple et de lui redonner sa splendeur d'antan. Seule la guerre civile et le régime des Khmers rouges ont interrompu le chantier. La collaboration entre le Cambodge, la France et plus tard d'autres nations comme le Japon ou les Etats-Unis a été le premier exemple de collaboration internationale de préservation du patrimoine.
Les galeries extérieures
Des deux côtés de la chaussée menant au temple, deux bâtiments en pierre, dont l'usage nous est inconnu, sont encore en bon état. Appelés « bibliothèques », il est pourtant peu probable qu'ils s'agissent bien de librairies. Entre ces deux bâtiments et la partie centrale du temple, deux bassins de construction plus tardives permettent d'apercevoir le reflet du sanctuaire dans l'eau ; parfait pour une photo d'anthologie.
Une fois arrivé sur la terrasse d'honneur (qui date d'une époque plus tardive que le temple), en forme de croix et ornée de sculptures de lions, toute la splendeur du temple se donne à voir. Sur les murs de la première enceinte, les bas-reliefs qui y sont sculptés comptent parmi les plus beaux de tout Angkor. A partir de la galerie ouest et dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, voici une sélection des plus remarquables :
Galerie ouest : ce sont des scènes guerrières issues du Ramayana et du Mahabaratha. La première, au nord-ouest décrit la bataille de Lanka, où Ram, aidé du dieu Hanuman et de son armée de singes, défait le démon Ravana, qui tient captive Sita, la femme de Ram. Au sud-ouest, il s'agit de la bataille de Kurukshetra, qui vit la destruction mutuelle des deux clans du Mahabaratha, les Pandava et les Kaurava.
Galerie sud : la seule scène historique d'Angkor Wat représente une procession du roi Suryavarman II. Le personnage principal est Suryavarman II (en face du 4e pilier) que l'on trouve facilement grâce à sa grande taille et à la dorure dont il a été recouvert par les fidèles. Il dicte à ses serviteurs des ordres relatifs au rassemblement des troupes. Sur la gauche du roi, on reconnaît des brahmanes à leur chignon. Autour du roi des serviteurs tiennent des parasols. Plus loin, à droite (6e pilier), les guerriers se mettent en marche et descendent de la montagne. La deuxième partie du panneau décrit le défilé de l'armée royale. On retrouve Suryavarman II (20e pilier) armé d'une pkhéa, longue lame courbe au bout d'un grand manche, encore utilisée de nos jours par les paysans khmers. Au 27e pilier, le défilé s'interrompt pour faire place à un cortège de brahmanes dont le chef est porté dans un hamac ; sur la droite, l'Arche sainte portant le Feu sacré qui doit sanctifier la bataille et attirer la protection des dieux (des musiciens et deux bouffons à l'avant du cortège). Un peu avant la porte, on reconnaît des mercenaires thaïs, pour cette fois, alliés des Khmers ; ils portent jupe et coiffe, et certains d'entre eux sont barbus ou moustachus.
Au sud-est, les bas-reliefs décrivent les 32 enfers et les 37 paradis de la mythologie hindoue. Au centre du panneau, on trouve Yama, le juge suprême (dont le nom est inscrit au feutre ; peut-être une antisèche pour guides touristiques...). Monté sur un buffle, Yama aux multiples bras désigne ceux qui doivent être précipités aux Enfers par une trappe.
Galerie est : une grande scène du barattage de la mer de lait. A droite, les dieux (Deva), à gauche, les démons (Assura) qui ont résolu de se procurer l'Amrita, l'élixir d'immortalité. Pour arriver à leurs fins, ils doivent baratter l'océan pendant plus de mille ans avant de pouvoir en faire sortir les Apsara, puis Laksmi, déesse de la beauté, et enfin l'Amrita. Pour cela, ils empoignent Vasouki, l'énorme serpent, et l'utilisent en guise de corde. Au centre du panneau et devant le pivot, on remarque Vishnou sous sa forme humaine qui dirige l'opération, ainsi que sous la forme d'un de ses avatars, la tortue Kuma. Au sommet, contemplant la scène se trouve Indra. Le singe qui tient la queue du serpent est Hanouman, l'allié de Rama. Aux extrémités des panneaux, des serviteurs gardent les chars de leurs maîtres.
Au nord-ouest, il s'agit de la victoire de Vishnou sur les Assura. Deux armées de démons attaquent Vishnou monté sur Garouda.
Galerie nord : cette partie est dédiée à la victoire de Krishna sur Bana, monté sur Garouda. Face au 4e pilier, Garouda éteint le feu qui protège la ville sous les yeux d'Agni, dieu du Feu, juché sur un rhinocéros. Du 20e au 23e pilier, Krishna arrive devant la cité où réside son ennemi Bana que l'on voit sur un char tiré par des lions grimaçants. Au 26e pilier, Krishna, vainqueur, est agenouillé devant Shiva qui trône sur le mont Kailash avec Parvati et Ganeshe. Shiva demande à Krishna d'épargner Bana. Krishna répond : « Qu'il vive, car toi et moi ne sommes pas distincts l'un de l'autre ; ce que tu es, je le suis moi aussi. » C'est le résumé d'une conception hindoue qui associe l'identité de tous les hommes à celle de tous les dieux.
Au nord-ouest, une nouvelle scène de combats figurant les 21 dieux du panthéon brahmanique luttant chacun contre un Assura. Cette scène éclaire d'un jour nouveau l'intérêt que portent les Cambodgiens aux films de karaté. On s'y croirait.
Les galeries intérieures et le sanctuaire
Une fois votre tour des galeries effectué, il est temps de pénétrer dans le saint des saints par la porte ouest. Première étape, le cloître des Mille Bouddhas. Ces quatre petits bassins formant une croix, et qui à l'époque devaient être remplis d'eau, a été le lieu choisi par des générations de pèlerins bouddhistes pour y laisser une petite statue ou inscription d'un Bouddha. La plupart ont malheureusement disparu. Au nord et au sud de cette pièce, deux bibliothèques sont toujours présentes. Une fois ces vestibules visités, le sanctuaire et la galerie intérieure constituent la dernière étape. Comme le sanctuaire est surélevé, les archéologues supposent que cette partie devait être inondée, afin de représenter le Mont Meru, entouré d'eau.
La dernière terrasse d'Angkor Wat présente le plan habituel des temples khmers : une tour-sanctuaire entourée de quatre tours, reliées aux quatre façades par de petits passages à trois nefs. Pour y monter, un escalier très raide mais muni d'une rampe. Pour y préserver la sérénité du lieu, les autorités d'Angkor ont décidé que seuls cent touristes pouvaient y être admis. L'attente peut donc s'avérer longue, parfois plusieurs heures. Une fois en haut, une vue superbe se laisse admirer. Ce sanctuaire central était ouvert sur ses quatre faces. Plus tard, les moines bouddhistes en murèrent les portes et y sculptèrent des bouddhas debout. En 1908, M. Commaille ouvrait celle du sud dans l'espoir d'y découvrir quelque trésor ; il n'y trouva que des statues bouddhiques et images brahmaniques ainsi qu'un grand socle sur lequel reposait autrefois une divinité. Après avoir pratiqué de nombreux sondages de ce genre, M. Marchal assure pour sa part que tous les temples d'Angkor sont construits sur des massifs pleins et que les trésors reposant dans des souterrains n'existent que dans l'imagination des autochtones.
La fin de la visite
Une fois le sanctuaire visité, il faudra quitter Angkor Wat par la porte est, où attendent généralement les chauffeurs de rickshaws. Après un dernier coup d'œil à la stupa en ruine, il ne reste plus qu'à garder en mémoire la splendeur d'Angkor Wat. Et peut-être se promettre d'y retourner.
Tourisme
Les temples d'Angkor sont depuis les années 90 une destination touristique importante, apportant au Cambodge une manne financière contribuant au développement du pays. Le tourisme de masse est un challenge important que les autorités cambodgiennes semblent avoir jusqu'à présent géré avec intelligence. Les mesures de sécurité et la gestion des touristes ont permis une relative bonne conservation des sites et une grande partie des recettes des billets est réinvestie dans les temples.
Tout un symbole
La redécouverte d'Angkor a généré un sentiment d'union national important dans le pays, et la fierté des Cambodgiens vis-à-vis des merveilles architecturales créées par leurs ancêtres frôle parfois avec le fanatisme. Depuis la fin du protectorat français - qui avait lui-même justifié son intervention au Cambodge par la sauvegarde d'Angkor - les partis politiques de tous bords, démocrates ou dictateurs, indépendantistes ou communistes, se sont approprié ce symbole de la grandeur khmère. Jusqu'au drapeau actuel, sur lequel figure en son centre la silhouette de l'imposant Angkor Vat.
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Avis des membres sur ANGKOR WAT
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A visiter plusieurs fois, la 1ère avec un guide pour décrypter les lieux, et ensuite seuls pour flâner et se laisser envouter...
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