CORRIDA DE GRMEČ

C’est dans une carrière désaffectée de la colline de Popović (Popovića Brdo/Поповића Брдо), près du petit centre d’Oštra Luka, que se tient chaque année depuis 1996 un prestigieux concours de taureaux de combat connu sous le nom de « corrida de Grmeč » (Grmečka Korida/Грмечка корида). Un spectacle impressionnant, sans réelle cruauté et d’origine très ancienne, qui redevient peu à peu à la mode.

Une tradition délocalisée. La « corrida de Grmeč » (prononcez « greumèche ») est une vieille tradition. Les éleveurs de la région l'organisaient depuis 1772 dans le massif de Grmeč, près de Sanski Most. C’est plus précisément dans le village aujourd’hui abandonné de Međeđe Brdo (38 km au sud d’Oštra Luka) que les combats se déroulaient jusqu’au début de la guerre de Bosnie-Herzégovine, en 1992. À l’issue du conflit, la plupart des habitants bosno-serbes ont quitté Međeđe Brdo et le massif de Grmeč, emmenant avec eux leur bétail. Réinstallés à Oštra Luka, c’est là qu’ils ont relancé la coutume de la « corrida de Grmeč » en 1996. Le nom est resté, mais l’événement se déroule désormais dans une ancienne carrière de la colline de Popović. Jusqu’à présent seuls les éleveurs et certains habitants des environs ainsi que quelques curieux assistaient aux combats organisés dans le cadre d’une petite foire aux bestiaux. À peine 2 000 personnes avant la crise de la Covid-19. Mais cela pourrait bientôt changer, car la municipalité d’Oštra Luka entend à présent promouvoir l’événement pour attirer les touristes. Objectif : renouer avec les grandes heures de la « corrida de Grmeč », lorsque celle-ci attirait jusqu’à 200 000 spectateurs dans les années 1970.

Rien à voir avec la corrida espagnole. Pour l’heure, à part le lieu des combats, la tradition reste la même. La korida se déroule le premier dimanche d’août à l’occasion de la grande fête serbe d’Ilinden, le jour de la Saint-Élie, qui correspond au 20 juillet selon le calendrier liturgique orthodoxe mais au 2 août selon le calendrier universel. Une vingtaine de bêtes sont en lice et les règles n’ont aucun rapport avec celles de la corrida espagnole. Deux taureaux s’affrontent. Chacun d’eux essaie de forcer son rival à quitter l’arène, une simple piste en herbe. Le taureau qui est poussé en dehors du cercle ou qui cesse le combat a perdu. Celui qui reste l’emporte, le plus souvent sans effusion de sang. Car les éleveurs tiennent surtout à exhiber la force de ces reproducteurs. Ils n’ont pas le droit d’intervenir et tout repose sur l’instinct de survie des taureaux. Sur une journée ou deux en fonction du nombre de bêtes engagées, les combats se poursuivent jusqu’à la finale de chaque catégorie de poids : jusqu’à 700 kg, jusqu’à 850 kg et plus de 850 kg. Pour cette dernière catégorie, la plus prestigieuse, le propriétaire remporte un prix de 1 500 KM (environ 750 €).

L’autre « corrida de Grmeč ». La « corrida de Grmeč » est la plus ancienne et la plus célèbre du pays. Mais elle n’est pas la seule. Déjà, il existe un autre événement qui suit les mêmes règles, jouit du même prestige et porte exactement le même nom. C’est la « corrida de Grmeč » du village de Gornji Budelj, tout près de l’arène ancestrale de Međeđe Brdo. Car, quand les éleveurs bosno-serbes sont partis en 1995, leurs collègues bosniaques et bosno-croates ont eux aussi relancé la tradition après quatre années de guerre. Certains, réfugiés en Suisse durant le conflit, ont même rapporté à Gornji Budelj une nouvelle race : la vache d’Hérens. Elle vient du canton du Valais, où l’on organise aussi des combats traditionnels, mais entre vaches et non entre taureaux. Les éleveurs bosniens ont ainsi sélectionné les meilleurs mâles pour les ramener ici. Autre différence : la date. À Gornji Budelj, la « corrida » a aussi lieu à l’occasion de la Saint-Élie, mais c’est le calendrier « normal » qui est suivi, pas le calendrier orthodoxe. Ces combats-ci se déroulent donc le week-end aux alentours du 20 juillet.

Et aussi en Tropolje, en Bosnie orientale… La rivalité entre les deux « corridas de Grmeč » a largement profité à d’autres combats de taureaux dans la région. Car il existe un réel engouement du public local pour la tauromachie. Organisée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la « corrida de Čevljanovići », à Gornji Čevljanovići, 37 km au nord de Sarajevo, est devenue la plus importante du pays. Autour du 20 juillet, elle attire désormais des éleveurs aussi bien bosniaques, bosno-croates que bosno-serbes et, surtout, environ 50 000 spectateurs. Un gros rassemblement qui donne lieu à des repas pantagruéliques, à des spectacles pour public averti et, accessoirement, à des combats de taureaux semblables à ceux d’Oštra Luka et de Gornji Budelj. La municipalité de Bijeljina, au nord-ouest du pays, organise quant à elle depuis peu, début septembre, sa propre korida en l’honneur de l’écrivain bosno-serbe Petar Kočić, qui fut le premier à décrire les combats de Grmeč, en 1902. Relancés depuis 1988, les combats de taureaux de Rastovača, en Tropolje, sont également un autre rendez-vous important en juillet et en septembre. Mais ils s’inscrivent dans une tradition beaucoup plus ancienne qu’à Gornji Čevljanovići ou qu’à Bijeljina. En fait, l’existence d'une « tauromachie bosnienne » est attestée historiquement dans au moins une vingtaine de localités à travers le pays, et même dans la région limitrophe de Lika, en Croatie (Dalmatie intérieure). Les origines de cette pratique pourraient remonter à l’Antiquité, comme ce fut le cas en Grèce.