Au sud de l'île japonaise de Shikoku se niche, lovée entre les montagnes et le littoral, la préfecture de Kochi, une belle région rurale aux atouts naturels remarquables. Le relief montagneux, les cours d'eau et les plages du Pacifique composent le panorama qu'offre la région. Au coeur de cette préfecture se trouvent la capitale éponyme et le village de Nakatosa, tous deux dignes représentants des traditions culinaires locales.

L'histoire au service de la table

La riche histoire de ces deux villes a permis aux traditions culinaires de se bâtir et de s'ancrer dans la vie quotidienne des habitants. Pendant des siècles, la montagne a constitué un obstacle naturel, et seules les voies maritimes ont été développées. La ville de Kochi s'est agrandie au fond de la baie d'Urado, qui bénéficie d'un climat chaud et humide, presque tropical. Kochi a été ce que l'on appelle une jokamachi, une ville-château. Construit en 1603 sur l'ordre de Yamauchi Kazutoyo, seigneur du domaine, le château servait la province de Tosa. Fait notable, le château de Kochi est le seul château du Japon dont les structures constituant son bâtiment principal ont été préservées, se dressant fièrement depuis la période Edo, en 1753. Quinze structures du château ont été désignées par le Japon comme des biens culturels importants. Quant au passé de Nakatosa, il est intimement lié au port du village. Le port de Nakatosa, appelé Kure, a joué un rôle majeur dans l'histoire de la région dès le XIIIe siècle. La situation de Kure et ses activités maritimes, ainsi que les marchands de bois, qui prospéraient grâce aux montagnes voisines, ont permis à Nakatosa de se développer. De nos jours, la vie quotidienne à Nakatosa est toujours rythmée par la bonite. De nombreux habitants travaillent de près ou de loin avec elle, que ce soient les pêcheurs, les employés du marché du village ou encore les différents fournisseurs. On dit que seuls les typhons empêchent les habitants de goûter à du Katsuo (ndlr. : bonite) frais tous les jours. Les plus gros bateaux partent au large sur une longue période, mais les plus petites embarcations, elles, partent au petit matin pour revenir en début d'après-midi. Le marché Kure Taishomachi s'anime alors, dans une ambiance des plus sympathiques et dépaysantes.

La bonite au centre de l'attention

Bien qu'il soit difficile de dater avec exactitude le début de sa pêche, certains documents anciens l'évoquent précisément. La province de Tosa, anciennement Kochi, avait été désignée par le gouvernement de l'empereur, à l'époque, comme zone d'importation du Katsuo, dont Kure faisait partie. Il fallait alors 25 jours de bateau pour rejoindre l'ancienne capitale de Kyoto. Le poisson, qui ne pouvait arriver frais, était alors mijoté pour en faire de la soupe et les chairs étaient séchées. La bonite, poisson migrateur, revient dans la baie de Tosa, grâce au courant marin Kuroshio, deux fois dans l'année : au printemps et en automne. Depuis l'époque d'Edo, les habitants de la région pêchent à l'aide d'une canne en bois géante nommée ipponzuri, une technique durable qui utilise des sardines vivantes. Depuis des siècles, la bonite Katsuo est un produit essentiel de la province de Tosa et de la gastronomie japonaise. C'est grâce à cette pêche ancestrale que la méthode du katsuobushi (bonite séchée et fumée) a vu le jour. Le maître de l'estampe japonaise Hiroshige Utagawa s'en est même inspiré pour l'une des oeuvres de sa série " Les Vues des sites célèbres des soixante et quelques provinces du Japon ".

Okyaku et Sawachi au menu

Les habitants de la région ont le goût de la fête, de l'accueil et de la gastronomie. Ce doux mariage donne ainsi naissance à ce que l'on appelle ici okyaku. Ce terme de la langue nippone signifie littéralement " l'invité ", mais dans la région, le sens est tout autre. Par okyaku, on entendra plutôt la fête, le rassemblement. Dire alors que les habitants de Kochi aiment profondément la fête n'est donc pas un euphémisme. Ce plaisir du rassemblement est ancré dans la culture de la préfecture. Chaque événement est propice à une fête. Cette convivialité communicative s'étend aux invités de ces rassemblements, d'où l'ambiguïté du mot okyaku, même si les deux termes sont étroitement liés. Lors de ces festivités, la gastronomie tient une place des plus importantes et l'on y sert une cuisine appelée sawachi. Cette spécialité de Kochi, qui remonte à l'époque féodale, d'où le lien avec l'histoire, fait partie du paysage culinaire traditionnel de la région. La sawachi ryori consiste à servir sur une large assiette différents aliments, comme des sashimis, du tataki de bonite, des sushis, des nouilles somen, de la daurade à la vapeur ou encore des inaka-sushi (sushi végétal) et des fruits. Lorsque l'on voit l'opulence des ingrédients joliment présentés dans ces plats, on comprend mieux le concept lié à l'okyaku.

Cette cuisine, comme on peut l'imaginer, est chronophage et demande une certaine organisation. Traditionnellement, les hommes sont chargés de préparer le poisson et les femmes de le cuisiner. Mais c'est aussi une histoire de famille. Tous les membres doivent y participer, que ce soit en cuisine, pendant le service ou à la fin, lorsque la tâche de la vaisselle devient inéluctable. Le style de cuisine, qui est tournée vers le partage et l'abondance, sied parfaitement à l'idée du rassemblement et de la fête. La famille, les amis, les collègues ou encore des inconnus rencontrés lors des festivités, tous sont invités à y participer. Du matin au soir, la fête bat son plein.

Une histoire de cuisson

La bonite faisant partie intégrante du paysage culinaire de la province de Tosa, et donc du village de Nakatosa, il est normal, de ce fait, de la retrouver sous le feu des projecteurs lors d'un okyaku où la cuisine sawachi est reine. Ici, on la préférera en tataki, une technique de cuisson qui lui va comme un gant, mais qui s'est imposée au fil de l'histoire de la région. Dans les temps anciens, alors qu'il était impossible de garder longtemps la bonite fraîche, les Japonais la tapaient avec du sel, tataku signifiant taper, battre ou frapper. À l'époque d'Edo, le Katsuo était dégusté en sashimi, mais une épidémie aurait incité le gouverneur de la province à interdire ce type de repas. Les habitants, qui ont accepté cet ordre, ont alors trouvé une parade pour garder le goût de la chair crue : taper la bonite avec du sel, la griller en surface à feu vif et ainsi éviter de cuire la chair à coeur. Les bateaux étaient composés d'un fourneau pour cuisiner les repas. Mais le Katsuo, fraîchement pêché, a une chair très épaisse qui est déconseillée pour le sashimi. C'est pourquoi les pêcheurs le grillaient. Pour garder alors la chair cuite à coeur, il fallait utiliser un feu vif et les pêcheurs savaient comment l'obtenir. Ainsi est née cette technique de cuisson tataki qui est utilisée pour la sawachi ryori. Il se dit, sans équivoque, que c'est la meilleure façon de déguster ce poisson.

L'indissociable saké

Les cours d'eau et le riz de qualité de la région ne pouvaient faire que bon ménage. L'essence même de la fabrication du saké est, on le rappelle, l'eau, le riz et le koji (riz malté). Notons également le kobo, la levure utilisée dans le processus. La qualité de l'eau est importante pour déterminer la saveur de la boisson. C'est pourquoi celle de la région est l'une des clés, si ce n'est la clé, de la grande popularité du saké de Kochi. On y retrouve donc des sakés de grande qualité qui font la fierté de la préfecture. Les brasseries qui se situent dans les montagnes puisent l'eau cristalline des rivières Shimanto et Niyodo, tandis que les brasseries nichées le long du littoral prennent l'eau de mer dessalée et chargée de minéraux. La préfecture peut se targuer d'abriter 19 brasseries de saké, dont la brasserie Nishioka, qui date de 1781, à Nakatosa. Cette brasserie est d'ailleurs la plus ancienne brasserie de la préfecture de Kochi, avec ses 240 ans d'histoire. Une visite dans ce lieu ouvre les portes de l'histoire du saké dans la région et permet de déguster ce qui se fait de mieux en matière de saké.

La qualité supérieure des sakés de Kochi lui confère d'ailleurs une belle reconnaissance auprès des fins gourmets. Et il est très facile de deviner que le saké est un élément clé indissociable de tout bon okyaku. Les habitants de la préfecture sont connus pour être des amateurs aguerris de cette boisson du pays, qu'ils dégustent avec plus ou moins de modération. Et alors que boire du saké pour les femmes, dans les temps anciens, était considéré comme un comportement négatif, il n'en était rien à Kochi. Homme ou femme, tout le monde avait et a le droit de siroter son saké en dégustant une sawachi ryori. Une grande variété de sakés est brassée à Kochi. On y retrouve des arômes d'agrumes et d'orange. Bien que ces sakés soient considérés comme secs, la touche finale en bouche est douce, agréable et délicate. Le saké met parfaitement en valeur la cuisine locale. Les liqueurs à base de saké sont aujourd'hui très populaires au Japon, et les boissons à base de yuzu, cultivé dans la région, sont très appréciées pour leur arôme parfumé et rafraîchissant, un cocktail idéal pour les belles journées estivales.

Véritablement produit phare de la table, le saké est dégusté de multiples façons, spécialement lors des okyaku les plus festifs. Les habitants de Kochi n'hésitent pas à boire le saké dans le même récipient en signe d'amitié, même si cette coutume des plus conviviales a dû souffrir en cette période de pandémie. Des jeux d'alcool sont également de la partie, comme le hashi-ken, un jeu de devinettes avec des baguettes. Ce jeu traditionnel de Tosa se joue à deux. Les protagonistes doivent deviner le nombre de baguettes cachées dans la manche du bras tendu de la personne en face. Le malheureux (ou heureux) perdant doit alors boire son saké.

Une table variée riche en surprises

La cuisine tosa fait donc largement appel aux fruits de mer dont le katsuo no tataki est le digne représentant. Mais la cuisine locale réserve aussi d'autres découvertes culinaires à ne pas manquer, comme les shūtō, les entrailles de bonite, ou le saba no sugata-zushi, à base de maquereau mariné. Ce poisson est d'ailleurs couramment consommé à Kochi. Il est même pêché individuellement hors de l'eau et placé dans une cale avant le retour sur terre. La fraîcheur du maquereau de Kochi fait partie de sa notoriété. Ailleurs dans l'Archipel, on déguste le maquereau cuit, en raison de son goût prononcé. Ici, à Kochi, on sert le maquereau en sashimi, grâce à la douceur de son goût. Bien entendu, la chair de maquereau peut être grillée légèrement à l'extérieur comme pour la bonite. La découverte culinaire ne s'arrête pas là, et on déguste également dans la région des murènes (utsubo). Bien que le poisson en lui-même puisse rebuter, à cause de son aspect effrayant, sa chair est tendre et riche en goût, semblable au blanc de poulet. La murène est d'ailleurs peu représentée sur les cartes des restaurants de l'Archipel. On peut, pourtant, la pêcher dans tout le pays, mais sa préparation demande du temps, de l'énergie et de l'application, du fait d'un nombre incalculable d'arêtes. La murène se déguste en sashimi, en kaarage (friture) ou encore en tataki, comme toujours.

L'avenir culinaire

L'aspect concurrentiel de la pêche dans le monde et le fait que les jeunes générations délaissent petit à petit les métiers manuels et quittent le village représentent une véritable épée de Damoclès pour Nakatosa. Depuis maintenant 20 ans, la quantité de Katsuo pêchés ne cesse de se réduire. Pour les habitants du village, il est impossible de prédire jusqu'à quand cette activité ancestrale perdurera. Selon eux, sa fin est malheureusement inéluctable. C'est pourquoi, plus que jamais, ils souhaitent faire découvrir aux visiteurs la bonite de Nakatosa en signe d'omotenashi, l'hospitalité à la japonaise. Et en ce qui concerne l'hospitalité, les habitants de la préfecture, de Kochi et de Nakatosa savent y faire. Pour le voyageur en quête d'un Japon authentique, à l'atmosphère différente des grands centres du pays, un séjour à Kochi est propice à un véritable dépaysement, autant au niveau de la géographie et des atouts naturels de la région que de la gastronomie et du contact humain. Faire l'expérience d'un véritable okyaku, avec une cuisine de type sawachi accompagnée d'un excellent saké régional, fait partie des souvenirs qui marquent profondément les amoureux de voyage. Embarqué dans un tourbillon de convivialité et de chaleur humaine, on tombe sous le charme des traditions locales. Le palais et l'esprit conquis, on repart de la région le sourire aux lèvres.

 

INFOS FUTÉES

S'y rendre

Depuis les aéroports de Tokyo et d'Osaka (Jetstar, Japan Airlines et All Nippon Airways), le visiteur peut se rendre, via un vol intérieur, à l'aéroport de Kochi Ryoma, puis prendre une navette direction la gare de Kochi. Si vous souhaitez continuer votre chemin vers Nakatosa, un train direct vous emmène, en une heure, jusqu'à la gare de Tosakure, au coeur du village. Ce train est accessible aux détenteurs du Japan Rail Pass. Compter deux heures pour rejoindre Nakatosa depuis l'aéroport.

Quand ?

Pour déguster le Katsuo de Nakatosa, il est recommandé de s'y rendre au printemps et en automne. Lors de ces deux périodes de l'année, les pêcheurs sortent en mer dans la baie de Tosa au petit matin. Les étals du marché se remplissent de poissons frais dès 14h grâce à la pêche de la veille. De plus, ces deux saisons sont tout simplement les plus belles au Japon avec, pour l'une, les cerisiers en fleurs et, pour l'autre, le feuillage chatoyant des arbres.

Rendez-vous au sanctuaire

La religion joue un rôle important pour les pêcheurs de la région, très croyants. Avant chaque départ en mer pour une longue période, les pêcheurs baptisent leur bateau avec du saké, considéré comme l'eau bénite du shintoïsme. Lorsque la pêche est fructueuse, les pêcheurs locaux sacrifient des ema, des plaques votives en bois, pour remercier les dieux. Il est possible d'admirer ces anciens cadres datant de l'époque d'Edo dans le sanctuaire Kure Hachimangu, à Nakatosa.

On peut y voir des représentations des Katsuo qui peuplent la baie de Tosa. Concernant le célèbre chemin de pèlerinage des 88 temples initié par Kūkai (774-835) à Shikoku, le voyageur en visite à Nakatosa aura le plaisir de parcourir une ancienne route de ce pèlerinage sur environ cinq kilomètres, au coeur des montagnes environnantes. Une belle excursion à ne pas manquer.

Brasserie Nishioka

La plus ancienne brasserie de Kochi vous accueille, à Nakatosa, tous les jours de 9h à 16h. Elle est située à moins de cinq minutes à pied de la gare de Tosakure. Avant tout achat, vous avez la possibilité de goûter aux sakés qui vous intéressent.

Manger

À Nakatosa, rendez-vous vers 14h au marché Kure Taishomachi, lorsque celui-ci commence à s'animer. On profite de l'atmosphère d'antan, on achète du poisson frais et on le goûte directement sur place, en tataki ou en sashimi, accompagné par du saké, bien sûr ! L'immersion est totale et l'expérience authentique, agréable et conviviale. Un régal.

Se loger

Vous n'aurez aucun mal à trouver un établissement hôtelier dans la ville de Kochi, excepté, peut-être, lors du festival. Pour poser vos valises à Nakatosa, deux établissements sont possibles : le ryokan moderne Kuroshio Honjin, avec ses bains chauds et sa vue sur la baie, et le Shimanto Genryu no Sato et son emplacement au coeur de la nature.

Les plus

La chaleur humaine des habitants.

Des traditions culinaires uniques.

Un paradis pour les aficionados de fruits de mer et de saké.

Une région authentique, hors des sentiers battus.

Le moins

La région ne se situe pas sur un axe ferroviaire majeur.