Découvrez Ibiza : Architecture (et design)

Oubliez toutes vos idées préconçues et préparez-vous à embarquer pour un voyage à la découverte des trésors insoupçonnés d’Ibiza ! Ses sites archéologiques témoignent de l’intérêt qu’elle suscita déjà au temps des Phéniciens et des Carthaginois. Ibiza-Ville va, elle, vous emporter dans un tourbillon historique, entre forteresse arabe et cathédrale gothique protégées par d’imposants remparts Renaissance. A travers l’île, vous découvrirez comment l’architecture s’est longtemps faite défensive entre tours de guet et églises-forteresses. Vous y tomberez aussi sous le charme de son habitat traditionnel représenté par les fincas aux silhouettes cubiques. L’ingéniosité de ces dernières a d’ailleurs influencé les plus grands architectes modernistes. Aujourd’hui, en réponse aux dérives du tourisme de masse, nombreux sont les architectes à privilégier les lignes sobres et épurées et le retour à la tradition. Alors, prêts pour le voyage ?

Aux origines

Vous ne le saviez peut-être pas, mais l’histoire d’Ibiza est millénaire, comme le prouve le fascinant site de Sa Caleta où subsistent des vestiges de bâtiments en pierre de la toute première colonie établie par les Phéniciens en 650 av. J.-C.. La disposition des restes de fours et autres moulins de pierre laisse imaginer une cité dont l’espace était organisé de façon raisonnée selon les fonctions attribuées. En parallèle, les Phéniciens ont également construit d’impressionnantes nécropoles témoignant de rites funéraires très élaborés. La nécropole punique de Puig des Molins est la plus grande du monde. Sur près de 50 000 m², vous pourrez découvrir des milliers de tombes creusées dans la roche, type de tombeaux que l’on appelle hypogées. Ces deux sites de légende sont désormais classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Mais l’île abrite également d’autres sites intéressants, à l’image de la Cava des Culleram, grotte utilisée comme refuge depuis la Préhistoire et transformée par les Carthaginois en sanctuaire de la déesse Tanit. Sur le site de Ses Paisses de Cala d’Hort, vous découvrirez comment les civilisations se sont succédé, en conservant les témoins de leurs prédécesseurs. En effet, à côté de deux petites nécropoles puniques aux nombreux hypogées, vous pourrez découvrir les vestiges d’une ville romaine. Mais le témoin le plus étonnant du génie bâtisseur romain est sans conteste l’aqueduc, daté du Ier siècle, qui traverse la commune de Santa Eularia des Riu.

Une île convoitée

Pour découvrir l’histoire pour le moins mouvementée de l’île, rendez-vous à Ibiza-Ville et plus précisément dans la « ville haute », la Dalt Vila, aujourd’hui classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Le château dont vous apercevez au loin l’enceinte fortifiée de forme allongée et les 9 tours quadrangulaires fut construit au XIIe siècle pour servir de résidence au wali, le gouverneur musulman. A cette époque, l’influence maure se lit également dans les divisions de la ville en quartiers fortifiés et dans la création de marchés qui animent la vie de la médina. Puis sonne le temps de la Reconquête. La ville se transforme et se pare des atours du gothique, art de la foi catholique triomphante. La Cathédrale de la Vierge des Neiges est un superbe exemple de ce que l’on appelle le gothique catalan. Ce dernier se caractérise par une grande pureté formelle, une horizontalité des volumes et une décoration minimaliste. Voyez donc les massifs contreforts de cette cathédrale tout en sobriété. Comme bon nombre d’édifices religieux de l’époque, la cathédrale fut construite sur les fondations d’une mosquée, ici la mosquée de Yebisah. Dans de nombreux cas, les matériaux étaient également réemployés. Le Musée Puget offre, lui, une facette plus flamboyante du gothique. En déambulant dans les ruelles de pierre étroites et sinueuses de la vieille ville, vous découvrirez également quelques belles maisons seigneuriales à l’harmonie toute Renaissance. Voyez la symétrie de leurs fenêtres et les élégantes couleurs de leurs façades. C’est de cette époque que date également l’église de Santo Domingo. Sa nef unique longue de 31 m est flanquée sur chacun de ses côtés de 5 chapelles, dont 3 sont reconnaissables aux coupoles de tuiles les surplombant. Tous ces trésors sont protégés par les puissants remparts de la ville. Datés du XVIe siècle, ils représentent le génie militaire et esthétique de la Renaissance… un génie architectural qui n’en a pourtant pas effacé les constructions précédentes, incorporant au contraire les différentes strates de fortifications, dont les plus anciennes remontent au temps des Phéniciens ! Formant un heptagone irrégulier dont chaque sommet est doté d’un bastion défensif, ces impressionnants remparts sont percés de nombreuses portes, dont la plus célèbre est le Porto de Ses Taules, flanquée de deux statues et protégée par un pont-levis. Le Portal Nou, lui, a conservé ses portes en bois originel. Cette architecture défensive témoigne des tensions qui règnent à l’époque, l’île étant convoitée et surtout fréquemment attaquée. Voilà qui explique la présence, tout le long du littoral, de tours de guet. De plan circulaire, pouvant mesurer jusqu’à 15 m, ces tours en pierre calcaire (la roche est présente en abondance sur l’île) s’élèvent généralement sur 2 niveaux, l’entrée se faisant, par une échelle, au niveau le plus élevé. Par sécurité, elles ne disposent d’aucune fenêtre, hormis quelques meurtrières à barreaux. Leurs toits plats servaient alors de plateforme d’observation. La Torre des Savinar et la Torre de Balafia en sont de très beaux exemples. La nécessité de se défendre influe même sur l’architecture des églises. Les toutes premières de l’île se faisaient tout à la fois forteresse et temple de la foi. On les reconnaît à leur structure basse et massive, à leur décoration très limitée et surtout à leurs murs chaulés de blanc. L’église de Sant Antoni ne possède aucune fenêtre, et son toit abrite encore… des canons ! Celle de San Jordi est l’une des plus anciennes de l’île. Mais la plus impressionnante reste l’église de Puig de Missa à Santa Eularia des Riu. Du haut de son promontoire, difficile de manquer son bastion défensif, qui fut construit par l’architecte en charge des remparts d’Ibiza ! Mais vous remarquerez également la présence d’un très beau porche à trois rangées d’arcades aux élégants piliers. D’ajout plus tardif, ce porche illustre l’évolution que vont connaître les églises de l’île, surtout à partir du XVIIIe, passant de forteresses à lieux de rassemblement communautaire. Les premiers noyaux urbains se créent autour des églises et pour accueillir les fidèles, porches et cours à arcades se multiplient. L’église de Sant Josep possède ainsi un impressionnant porche rectangulaire courant sur toute sa façade.

Architecture traditionnelle

Murets de pierre sèche à l’ingénieux système d’assemblage assurant une complète stabilité sans aucun recours à du mortier ; petites croix peintes à la chaux destinées à faire fuir les mauvais esprits ; citernes, puits et réservoirs de pierre aux garde-fous et corniches souvent joliment travaillés… Ibiza est jalonnée d’un riche petit patrimoine. Mais si l’île est célèbre aujourd’hui, c’est surtout pour ses fincas, habitations traditionnelles uniques. Autrefois construites par les paysans eux-mêmes, elles sont réalisées en pierre calcaire, le plus souvent récupérée dans les champs. On reconnaît les fincas à leurs murs chaulés de blancs et surtout à leur forme cubique. La finca se compose d’un cube de base à toit plat, auquel peuvent venir s’ajouter d’autres volumes cubiques en fonction des besoins du propriétaire. Fonctionnalité et adaptabilité ! Pour ne pas subir les affres de la chaleur (et se protéger d’éventuelles attaques… les plus anciennes fincas de l’île possèdent encore des tours de défense en pierre sèche !), les fincas ne possèdent que peu d’ouvertures, ces dernières étant toujours étroites. L’isolation, elle, est assurée par un système de toiture très ingénieux. Ce dernier est composé de plusieurs couches d’éléments naturels connus pour leurs propriétés isolantes et imperméabilisantes : bois de genévrier / frêne / algues et autres plantes marines / mortier / argile. Des systèmes de rigoles sont également ajoutés pour permettre la récupération des eaux de pluie. La vie de la maison s’organise dans la salle principale, le proxo. La cuisine, dépourvue de fenêtres et occupée en grande partie par le four à pain, est placée à l’écart, par mesure de sécurité. Ces propriétés sont délimitées par des murets en pierre sèche. Sobriété, rationalité et adaptation aux contraintes du climat président à la construction de ces habitations traditionnelles, qui inspirèrent certains des plus grands architectes modernistes, dont le célèbre Le Corbusier. De nombreuses fincas sont aujourd’hui réhabilitées, tandis que celles nouvellement construites arborent des fenêtres plus grandes et des plafonds plus hauts… triomphe du confort moderne !

Etonnante modernité

Peintre et architecte juif allemand, Erwin Broner fuit l’Allemagne nazie et se réfugie, en 1934, à Ibiza, dont il marquera de façon significative l’histoire architecturale. Ancien étudiant du Bauhaus, Broner prône une architecture mêlant modernisme et fonctionnalisme. Sa plus célèbre réalisation est la Casa Broner, construite à Sa Penya en 1960. Pour relier les deux niveaux de la maison (le rez-de-chaussée abrite l’atelier et le 1er étage l’appartement), l’architecte a imaginé un pont spectaculaire qui surplombe la falaise sur laquelle est perchée la maison. D’autres grandes figures du modernisme trouvèrent en Ibiza une terre d’inspiration. C’est le cas de Josep Lluis Sert, Sixte Illescas et German Rodriguez Arias qui se sont associés pour imaginer le quartier de Can Pep Simo. Mus par l’idée que l’architecture doit répondre aux besoins des hommes et de la nature, les trois architectes imaginent un quartier fortement empreint des traditions de l’habitat vernaculaire. Protégées par la pinède environnante, les rues étroites et ondulantes dessinées par des murets de pierre couronnés de chaux blanche sillonnent entre des maisons dont les qualités architectoniques ont été pensées avec minutie… les trois architectes craignaient l’apparition « d’horreurs » dans leur quartier ! Volumes simples, vastes terrasses sur la mer, grandes fenêtres s’ouvrant sur la baie, murs ocre et soubassements et arêtes blanchis à la chaux caractérisent les maisons de ce petit éden de la modernité. Pour les amateurs d’exploration urbaine, rendez-vous à Cala d’en Serra où se cache la silhouette du complexe hôtelier imaginé par Josep Lluis Sert commencé en 1969 et abandonné au milieu des années 70, la dictature ayant interdit à l’architecte d’exercer sur l’île. Toits plats, volumes géométriques et plan dégagé par l’emploi de piliers y témoignent des idées modernistes de Sert. Aujourd’hui, en réponse aux affres du tourisme de masse et de la bétonisation à outrance de certaines parties du littoral, l’île voit se développer une architecture qui privilégie les lignes sobres et épurées et le recours aux matériaux naturels, notamment dans les villas. L’île compte aussi quelques étonnantes créations contemporaines, à l’image de son Palais des Congrès dont le grand volume rectangulaire est percé de nombreuses ouvertures laissant place aux arbres autour desquels le centre s’est construit ; ou bien encore du Can Mises Hospital. Imaginé par l’agence Luis Vidal + Arquitectos, l’hôpital combine deux concepts architecturaux : celui de l’architecture curative avec une importance donnée à la lumière, aux couleurs et à la nature dans le processus thérapeutique, et celui de « l’hôpital aéroport » offrant une lisibilité simplifiée des espaces de circulation. Et tout ceci dans une enveloppe extérieure inspirée des fincas. La tradition toujours !

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