Histoire d'une race bovine bien spécifique
Pour mieux comprendre les spécificités de la vache Vermella Menorquina, il convient de faire un petit tour dans le passé de l'ile, des Baléares et de la péninsule ibérique dans son ensemble. Si l'on considère que la race bovine Vermella Menorquina est le fruit d'un mélange, d'un métissage obtenu sur une très longue durée de temps (une grande variété de races bovines a en effet été introduite sur Minorque par les peuples qui dominèrent un temps l'île), on estime que les races originelles qui servirent de base à la vache minorquine d'aujourd'hui dérivent d'une part de la souche raciale dite Turdetà (également appelée rouge convexe) et d'autre part de la souche Marinera.
Si les populations bovines de cette seconde race ont longtemps été présentes dans la zone de Llevant espagnol, c'est-à-dire la région qui correspond au pays valencien et la région de Murcie, au niveau de la côte, elles ont aujourd'hui totalement disparu. La race Turdetà (ou rouge convexe) – dont les populations auraient depuis la préhistoire accompli un mouvement de migration les menant du Moyen-Orient à la région sud-ouest de l'Europe – a quant à elle perduré, donnant naissance, via des croisements, à certaines des races bovines espagnoles les plus connues. L'arrivée de ces bovins, manifestement déjà issus d'un métissage entre la race Turdetà et Marinera, dans la zone de la péninsule ibérique et des îles Baléares, correspond à la diffusion de la culture campaniforme (liée à la fabrication de récipients en céramique ayant une forme de cloche) en Europe et en Afrique du Nord. Mouvement migratoire qui remonte au IIIᵉ millénaire avant notre ère ! Cette théorie de la concordance entre le mouvement des bovins et celui des céramiques campaniformes est cohérente avec l'hypothèse selon laquelle les membres de la culture talayotique (qui s'est largement développée dans la partie orientale des îles Baléares et à Minorque plus qu'ailleurs) élevaient des vaches. Les ossements de bovins trouvés lors de fouilles archéologiques dans de nombreuses constructions talayotiques de Minorque font office de preuve : le peuple talayotique était en lien avec les bovins de l'île.
Les siècles ont ensuite passé et la culture de l'élevage bovin a suivi son cours, les différents peuples ayant occupé le territoire minorquin (phénicien, grec, romain, musulman, catalan, britannique, français, etc.) prenant soin du bétail prospérant sur l'île. Il convient de noter qu'au cours de ces périodes de domination, des bovins d'autres races ont été introduits par les colons, ayant pour conséquence de nouveaux métissages de la vache minorquine. Tant et si bien que la vache Vermella Menorquina n'est aujourd'hui plus celle d'il y a 3 000 ans ! Toutefois, elle a gardé l'essentiel de ces caractéristiques. Des caractéristiques faisant montre d'une adaptation optimale de cette race bovine à l'environnement minorquin. Quasi disparue à la fin du siècle passé - en raison notamment de l'importation massive de vaches d'autres races pour la production laitière -, la vache Vermella Menorquina a été sauvée de peu, grâce notamment à la famille d'éleveurs Seguí et son travail de mise en valeur et de re-popularisation de la race. Au début du XXIᵉ siècle, la population des vaches minorquines augmentait. Pas assez toutefois pour faire sortir la race de liste des animaux en voie d'extinction (nous y revenons plus bas). Maintenant que nous connaissons un peu mieux son histoire, voyons d'un peu plus près qui est la vache Vermella Menorquina !
La vache Vermella Menorquina aujourd'hui
La vache Vermella Menorquina est enregistrée comme race officielle par le décret royal 1682/7 au Catalogue des Races d’Élevage d'Espagne (Catálogo de Razas de Ganaderías de España). On apprend par ailleurs dans ce même catalogue que des spécimens de la race Vermella Menorquina se trouvent également sur Majorque et Ibiza. Elle est toutefois considérée comme une race autochtone de Minorque. En raison de sa faible population, elle tombe également sous la catégorie des animaux nécessitant une protection spéciale. Tout au long du siècle passé, le cheptel des vaches de race Vermella Menorquina n'a en effet fait que diminuer, jusqu'à frôler l'extinction dans les années 1990.
Pour qu'une espèce soit considérée comme étant en voie de disparition, le nombre de génitrices de la race doit être inférieur à 5 000 individus. Or, dans le cas de la vache Vermella Menorquina, les derniers recensements font état d'environ 1 500 vaches en mesure de se reproduire. La bonne nouvelle, c'est que depuis une vingtaine d'années à présent, l'intérêt pour cette vache autochtone n'a fait qu'augmenter. Ainsi, quand on ne recensait que 184 animaux de race Vermella Menorquina en 1993, on en dénombrait déjà 1 397 en 2011 ! Conscients du trésor biologique que représente cette race autochtone en péril, les éleveurs dans un premier temps, puis les autorités de l'île dans un second temps, se sont peu à peu penchés plus en détail sur les caractéristiques de ces précieux bovidés. Tant et si bien que la Vermella Menorquina ont peu à peu commencé à reconquérir le terrain cédé à leurs congénères de race Frisonne, importées d'Allemagne et des Pays-Bas pour leur bon rendement en termes de production laitière.
Comment expliquer ce retour en grâce de la vache Vermella Menorquina ? Tout simplement pour ses caractéristiques biologiques parfaitement adaptées à l'environnement de Minorque ! Habituées au climat de l'île depuis des siècles, ces vaches tombent pour commencer beaucoup moins souvent malades que leurs camarades frisonnes. Également, leurs capacités d'adaptation sont bien meilleures lorsque vient la saison sèche. D'après l'Association des éleveurs de bovins de Minorque (Associació de Ramaders de Bestiar Boví de Raça de Menorca), la race est « complètement adaptée aux variations du climat insulaire et est exceptionnellement résistante en période de disette ». En effet, si la vache Vermella Menorquina apprécie l'herbe verte et fraiche, elle ne rechigne pas à brouter des herbes sèches et tout ce qu'elles parviennent à trouver dans les sous-bois et forêts de Minorque au cours de la saison chaude. Également, les vaches, en broutant les champs de l'île, bénéficient d'un apport naturel en sel : celui déposé par les vents marins sur les sols de Minorque tout au long de l'année. Conséquence de cette parfaite adaptation à l'environnement îlien ? Les vaches de race Vermella Menorquina coûtent peu cher en entretien. Elles sont également parties intégrantes de l'écosystème minorquin. L'Association des éleveurs de bovins de Minorque assure en effet que la vache minorquine « est un outil clé dans la conservation de l'environnement de Minorque, dont elle forme une partie presque indivisible ».
D'un point de vue fécondité, une vache Vermella Menorquina donne naissance à 0,9 petit par an, avec des chances de survie proche de 100 %. Les veaux sont par ailleurs sevrés de leur génitrice en tout juste six mois et commencent à être engraissés à base d'orge et de céréales légumineuses. Si ce processus est plus lent que ceux que l'on retrouve habituellement dans l'industrie de l'élevage bovin, il représente l'un des points clés pour obtenir une viande uniforme et de qualité. Autre avantage de la Vermella Menorquina : ses qualités en font une race aux aptitudes mixtes. Ce qui signifie qu'elle donne à la fois une viande de très bonne qualité et des produits laitiers de première qualité également. Une vache de race Vermella Menorquina produit en moyenne 3 000 litres de lait par lactation. Un lait particulièrement bien adapté à fabrication de fromage en raison de sa haute teneur en protéines caséine κ.
Le label qualité
A la fois pour s'assurer de la provenance des produits mais aussi pour sensibiliser les éleveurs à la nécessité écologique et économique de valoriser les vaches de race autochtone, l'Association des éleveurs de bovins de Minorque a créé en 2005 le label de qualité Vermella Menorquina. Cette distinction permet aux consommateurs d'identifier les produits certifiés locaux, fabriqués de manière artisanale, mais qui ont également passé des contrôles de qualité. Autant de garanties d'un bon produit. Si on trouve parmi la gamme de produits certifiés Vermella Menorquina principalement de la viande bovine de très bonne qualité (maturation de 7 jours minimum), d'autres produits méritent d'être cités, comme les fromages ou les glaces !
Par exemple, si c'est essentiellement à partir de lait de vache Frisonne que sont fabriqués les fromages minorquins, on utilise aussi – en moins grande quantité – le lait de vache Vermella Menorquina. Le processus de fabrication est le même que celui suivi avec du lait de vache Frisonne : les producteurs fabriquent le fromage à la main, puis les font sécher pièce par pièce, de manière artisanale. Des fromages aux saveurs typiques de l'île, aux arômes d'herbe fraîche baignés de sel marin. Pour ce qui est des glaces certifiées Vermella Menorquina, dernier produit en date à être commercialisé sous le label, il n'y a qu'un seul domaine se dédiant à sa fabrication sur Minorque. En plus du parfum « fromage », on trouvera ainsi la saveur « carquinyol », un petit biscuit sec aux amandes typiques des Baléares et de la côte méditerranéenne espagnole.
Où trouver les produits labélisés Vermella Menorquina ? Fin 2022, les productions locales n'étaient commercialisées que sur Minorque ! Au total, on ne dénombre pas loin d'une centaine de partenaires impliqués dans ce circuit. Qu'ils s'agissent de restaurants, de commerces de proximité, de boucheries ou de glaciers, il semblerait que la population minorquine soit séduite par ce label, garantie de qualité et de proximité.