3. Laberinto de escaleras · Foto Susanne de Goeij.jpg
4. Anfiteatro escénico. Foto Josep Bagur.jpg

L'histoire d'une renaissance

Si le sud de l'île de Minorque regorge de carrières de marès, celles de s'Hostal, transformées en jardin/musée en plein air et situées au km1 du Camí Vell, près de Ciutadella, sont les seules qui sont ouvertes à la visite. Un spectaculaire site de sept hectares utilisé par l'homme depuis plusieurs siècles et qui a totalement cessé d'être exploité en 1994. En plus d'une zone d'extraction manuelle – ces activités remontent aux XIXe et XXe siècles –, on trouvait également à S'Hostal une zone plus moderne où l'extraction de pierres se faisait via une assistance mécanique (1960-1994). Toutefois, les carrières n'étant déjà plus actives depuis quelque temps avant 1994, une loi de 1983 obligeait les exploitants à remplir partiellement les espaces creusés. Raison pour laquelle ces paysages monumentaux se sont retrouvés condamnés à l'ensevelissement sous des tonnes de résidus de toutes sortes (souvent contaminants pour les sous-sols), et donc à l'oubli ! C'est pile à ce moment critique de l'histoire de S'Hostal que Lithica entre en scène pour organiser la renaissance du lieu.

La volonté des membres du projet Lithica, créée en 1994, est alors, après une première étape de sensibilisation à la valeur des carrières de marés en général et au métier de tailleur de pierre (trencador), de récupérer les carrières de S'Hostal vouées à la destruction. C'est en effet une vocation de protection, de réhabilitation et de régénération d'un espace qui préside aux actions engagées par Lithica. Il devient rapidement évident que les carrières doivent être présentées comme un « espace sculpté au cœur de Minorque », un héritage architectural inversé – les formes imprimées dans la pierre sont de fait dues à une déconstruction, à une soustraction de matière plutôt qu'à une construction à proprement parler, rendant par là même la notion d'architecture négative pertinente – et un témoignage particulièrement esthétique de l'action de l'homme sur le paysage.

La réhabilitation est incroyable et permet de faire émerger une sensationnelle variété d'espaces : carrières, jardins, espaces labyrinthiques, espaces d'art et de culture, lieux d'apprentissage, espaces mémoire dédiés au travail de la taille de pierre... Et cette vocation holistique de la carrière de S'Hostal ne faiblit pas depuis 30 ans ! Tant et si bien qu'en 2017, les carrières de S´Hostal sont déclarées Bien d’Intérêt Ethnologique (BIE) par le Conseil Insulaire de Minorque et sont intégrées dans le catalogue du Patrimoine Historique de Minorque. La même année, le projet de Lithica est primé par Hispania Nostra (une association de défense et sauvegarde du patrimoine espagnole) comme exemple de réhabilitation du patrimoine et d’intervention dans le paysage, distinction confirmée en 2019 par l'antenne européenne de la même structure (Europa Nostra) !

Une architecture inversée et ensauvagée

Faire la visite des carrières de S'Hostal est une expérience assez palpitante qu'il est difficile de résumer avec des mots. La sensation de l'espace est quelque chose qui doit être expérimenté par le corps ! Le visiteur est en effet invité à sillonner les divers espaces des carrières – distribués selon deux zones principales : l'une de taille manuelle, l'autre de taille mécanique, ouverte dans les années 1960 – en suivant un itinéraire assez libre. L'instinct et les affinités de chacun servent en effet de boussole. L'ensemble du site, à ciel ouvert, est une collection d'espaces creusés, excavés, sculptés dans la roche, tous provoquant une impression différente selon l'heure de la journée, la saison, la météo... Il y a quelque chose de très méditatif à évoluer dans ces décors certes taillés par la main de l'homme, mais largement réinvestis par la nature ! Une expérience qui a quelque chose de primal aussi, qui réveille l'homme des cavernes en nous ! Une promenade dans les carrières de S'Hostal interroge de manière assez intime les rapports entre l'homme, l'espace et la nature.

Voyons à présent plus en détail quels sont les principaux espaces auxquels nous avons affaire ici.
Une partie des carrières de S’Hostal peut être assimilée à un grand jardin, à un ensemble paysager né de l’interaction entre l’homme et la nature. Une vaste partie de ces carrières a en effet été transformée en sites d'exploitation agricole : des vergers et des potagers ont été mis en place ici avant d'être abandonnés durant une longue période au cours de laquelle la nature a repris ses droits. Aujourd'hui, le paysage végétal des anciennes carrières n’est pas uniforme, mais est plutôt fait d'un jeu de contrastes et d'oppositions. Aussi, la végétation de la zone supérieure, la plus haute, exposée à un rude climat et aux vents, était en effet particulièrement pauvre. Le programme de reforestation mené à bien par Lithica a permis de reboiser cette zone. Inversement, la partie intérieure des carrières est formée de petits canyons parfaitement adaptés à la culture. L'abondante végétation et l'entrelacs de chemins et de boyaux des carrières ont mené Lithica à inventer un projet paysager de jardins que l'on peut présenter selon plusieurs espaces : Le Labyrinthe des Vergers, le Jardin médiéval, le Labyrinthe Végétal et le Circuit Botanique.

Des espaces oniriques

Le Labyrinthe des Vergers. C'est le nom donné à l'ensemble des carrières-jardins. Ce dédale d’espaces naturels fait de rocaille est envahi de végétation : la trame labyrinthique de ce projet a pour essence la rencontre du minéral et du végétal, de la pierre et de la nature mouvante. Lorsque les activités d’extraction se terminèrent, le fond des carrières fut rempli de terreau et ces dernières se convertirent en de petites vallées fertiles. La longue période d’abandon qui suivit favorisa l’apparition d'une flore sauvage.
Le Jardin Médiéval est un jardin secret et fleuri, dont l'atmosphère rappelle celle d'un cloître médiéval, évoque non sans nostalgie le paradis perdu : construit à la mesure de l’homme, il est le point de rencontre entre lui et un ordre supérieur, représenté par le plan géométrique du jardin. Autour de la fontaine encadrée de roses, symbole de la vie et de l’âme, s’étend un jardin d’herbes médicinales, symbole de l’esprit et de sa compréhension de la nature. La présence d'une zone potagère, source d’aliments, parle du corps et de ses sens : on peut toucher la terre et les feuilles, écouter le son de l’eau, sentir l'odeur des herbes et des fleurs... Bref, un espace de repos, de retrait du monde qui autorise une connexion avec soi-même, avec la nature et la transcendance.
Le Circuit Botanique et de la Biodiversité a lui été lancé en 2000 dans le but de participer à la conservation de la flore autochtone de Minorque. Il a notamment une vocation d'éducation et de divulgation. Les plantes autochtones sont ainsi disposées selon un plan adapté à la particularité de chaque espace. A été adjoint à ce premier circuit un autre itinéraire en 2006 : le Circuit de la Biodiversité, signalisé par des panneaux d’information de contenu botanique, zoologique, géologique et ethnologique.
Le Labyrinthe Végétal, dont le tracé est inspiré de la tradition des labyrinthes crétois, propose un chemin unique de forme circulaire. Il communique visuellement avec le Jardin médiéval et est composé d'une vingtaine de plantes aromatiques autochtones dont les espèces varient au rythme des saisons. Une invitation à une promenade consciente et olfactive.

Si la visite des carrières de S'Hostal s'apparente à une promenade bucolique dans des jardins à demi sauvages, c'est aussi une expérience énigmatique et ludique, voire un voyage initiatique. C'est en effet la nature même des labyrinthes de S'Hostal que de questionner celui qui les arpente sur ce qu'il est et son rapport à l'espace et au monde. Et dans son style, le Labyrinthe Minéral est certainement celui qui donne le plus de fil à retordre aux visiteurs ! Ce labyrinthe s’inspire du Labyrinthe du Minotaure : de plan carré, il est composé de multiples chemins et d'un centre géométrique. S'engouffrer dans ce dédale est une expérience amusante où tout le monde se perd, se cherche et cherche les autres, comme une métaphore du chemin de la vie ! Dans le même espace, on trouve le « Totem », un immense obélisque de pierre né de l'extraction même. Ce géant de pierre surplombe le labyrinthe.

Juste à côté, on trouve la Carrière de l'Amphithéâtre, l'espace le plus monumental de S'Hostal. C'est cet espace cubique de pas loin de 30 mètres de profondeur taillé par les machines qui accueille les plus grands shows des nombreuses manifestations culturelles organisées dans les carrières : théâtre, danse, cirque, orchestres symphoniques ou musiciens solistes, les représentations sont toujours éblouissantes !

Fosquets et autres activités

En plus d'être un lieu de mise en valeur du travail de la pierre, les carrières ont pour vocation d'être un lieu de vie à part entière, un espace social pensé pour la rencontre. Aussi, en plus des visites guidées et des divers ateliers – présentation des métiers de la taille et initiation à la sculpture sur marès –, S'Hostal reçoit de nombreux événements et spectacles vivants. Des récitals de musique sont en effet souvent organisés, principalement à la belle saison, dans plusieurs espaces des carrières, comme celle – grandiose – de l'Amphithéâtre, mais aussi au creux de la plus intime Carrière des Orangers par exemple, dont la végétation évoque celle d'un verger. Par ailleurs, plusieurs événements – montés en collaboration avec des structures de l'île, mais aussi de l'étranger – ont pour décor partiel et/ou occasionnel les carrières de Lithica. Mais c'est surtout le programme d'été du festival Fosquets de Lithica qui exploite le mieux toute la beauté et l'acoustique des espaces !

Fosquets de Lithica, c'est ainsi qu'ont été baptisées les soirées musicales organisées à S'Hostal. Des concerts de musique de monde, mais aussi de musique classique et ancienne, qui ont lieu tout au long de l'été. Mais d'où vient ce nom énigmatique ? Fosquet est en langue minorquine le diminutif du mot fosc, signifiant « sombre, obscur ». En fait le mot fosquet désigne ce moment si particulier, voire magique, de la journée, l'entre chien et loup, lorsque le soleil s'en est allé et que la lune tarde à émerger... Car c'est exactement à ce moment que se tiennent les shows et concerts du festival. L'heure du coucher du soleil variant d'une semaine à l'autre, l'heure des concerts varie aussi : 21h en juillet, 20h30 en août et 20h en septembre. Bref, des moments uniques au cours desquels la vibration musicale s'harmonise dans la matière pierre des carrières, permettant à la magie et à la poésie de s'épanouir vers le ciel !