Les musiques traditionnelles
Typique de la Croatie, la klapa est née en Dalmatie. Historiquement, seuls les hommes chantaient l’amour du pays et de la mer, a cappella ou accompagnés d’une mandoline ou d’un harmonium. Disposés en demi-cercle, les chanteurs s’expriment en solo tour à tour à mi-voix dans une tessiture élevée. Autre trait distinctif, la klapa se transmet mais se chante sans notation écrite. Les communautés locales y voient un marqueur principal de leur identité musicale, un héritage, comparable aux polyphonies corses ou basques. Les Klapa Ikson ou le groupe de femmes, désormais autorisées, les Klapa Cakulone perpétuent la tradition. Aujourd'hui, les chants de Tomislav Bralić & Klapa Intrade ou encore Klapa & Mora, le groupe qui a représenté la Croatie à l’Eurovision 2013, sont dilués dans une orchestration omniprésente et de lourds arrangements.
La chanson trad d’Istrie se caractérise par une gamme très particulière, fondée sur une échelle de six notes, qui n'a pas son égale en Croatie. Interprétées par deux chanteurs, généralement des hommes, l'un sur une mélodie au ton légèrement grave, l’autre plus sur une voix de fausset. Partiellement nasal, ce type de chant peut se remplir d'improvisations. Il est parvenu à se pérenniser au fil des années grâce à une communauté de musiciens, qui se transmet ce chant oralement. Les régions du nord de l'Istrie, autour de Cicarija, ont développé leur propre type de chant, appelé bugarenje, qui signifie « deuil ». Un festival lui est toujours consacré. Peu affectée par la modernité, cette manière unique de chanter en Istrie constitue un élément majeur de la culture régionale. En 2009, elle a été inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'Unesco.
La musique trad istrienne, qui donne le tempo aux chants et danses de groupe en costumes, est également jouée par paires, combinant deux instruments à vent. Célèbres en Istrie, les flûtes, appelées rozenice ou sopele/sopile, produisent des sonorités aiguës, semblables à celles du hautbois ou de la bombarde. D'autres instruments à vent à un ou deux tuyaux se répondent sur des pièces à deux voix, mais aussi l'accordéon, la tambora, la cornemuse, fabriquée avec des peaux de bête, sont également utilisés pour accompagner les danseurs. La danse trad la plus populaire en Istrie, le balun, est également exécutée par paires, qui vont suivre le rythme d'un instrumentiste et tourner autour de manière cadencée. Ces musiques et danses traditionnelles, véritable patrimoine culturel vivant de la région, sont toujours transmises aux enfants et aux jeunes gens. Toute l'année, il y a plusieurs occasions d'assister à ces représentations musicales. Les festivités autour de Noël et de Pâques comptent souvent un spectacle folklorique, mais également lors des fêtes calendaires ou familiales comme les mariages, les festivals d'été (summer festivals) ou les festivals de musique du monde. Par exemple, à la mi-juillet, à Zagreb, la Fête folklorique internationale invite les meilleures troupes du monde ainsi que les groupes et duos de tout le pays.
L’évolution de la musique classique
Le compositeur violoniste préclassique Giuseppe Tartini est né le 8 avril 1692, à Pirano, à l'époque où la cité portuaire appartenait à la République de Venise. Aujourd’hui, sa statue trône sur la grand-place de Piran, en Istrie slovène, qui célèbre chaque année l'enfant du pays par un festival international de musique de chambre.
En Croatie, la musique classique fut majoritairement dominée par les figures vocales puis, à partir du XIXe siècle, le pays s'ouvre aux premières grandes compositions instrumentales. Le cœur de la vie musicale se déplace vers la capitale, où l'on crée en 1827 un établissement musical illustre, le Musikverein, devenu le Hrvatski glazbeni zavod (HGZ) suivi, en 1860, du Théâtre national croate (CNT). Le compositeur Blagoje Bersa (1873-1934), qui a marqué de son empreinte la musique classique croate est très influencé par Mahler et Strauss. Ses œuvres pour piano puissamment conçues sont d’une riche diversité. Puis le courant néonational avec les compositeurs Josip Štolcer Slavenski, Krešimir Baranović où Jakov Gotovac s'orientent vers des opéras croates plus populaires comme Ero de l’autre monde.
Les Solistes de Zagreb ont commencé leur carrière en 1953 comme ensemble de la radiotélévision zagréboise, sous la direction artistique du violoncelliste et chef d'orchestre italien Antonio Janigro ou du violoncelliste français Marc Coppey. Tout en gardant un large répertoire classique, cet orchestre de chambre s’intéresse à la musique contemporaine et se place parmi les formations les plus remarquables de la scène internationale, tout comme le contre-ténor Max Emanuel Cenčić, qui est considéré aujourd'hui comme l'un des meilleurs au monde.
Si la capitale centralise la production artistique de la musique classique, c'est Pula qui détient la palme de la plus belle scène artistique. L'amphithéâtre romain organise des concerts et des festivals en plein air durant la période estivale. Tous les styles y sont représentés, du lyrique au symphonique en passant par les musiques actuelles.
Danse contemporaine et salsa istrienne
Depuis 1949, Zagreb possède une École de danse classique. Elle a essaimé pour offrir aujourd’hui plusieurs compagnies prestigieuses : la Compagnie de danse de Zagreb, le Studio de danse contemporaine et l’Ensemble de chambre de danse libre. Tous les ans, la Semaine de la danse contemporaine de Zagreb, un festival international créé en 1984, participe au dynamisme de la scène croate du ballet. Une scène particulièrement vivante puisqu’en plus de Zagreb, les villes de Split, de Rijeka et d’Osijek possèdent également des troupes de ballet permanentes.
L'Istrie noue une relation particulière avec la salsa ! Le plus grand festival de salsa d'Europe s'y déroule de juin à début juillet. Très populaire, il attire des salseros passionnés et des aficionados du monde entier, danseurs professionnels ou simples amateurs. Le Sensual Summer Salsa commence par une semaine à Opatija puis les deux semaines suivantes se déroulent à Rovinj. Le programme est riche, avec environ 120 ateliers de danse animés par les meilleurs professeurs nationaux et internationaux, des conférences, des fêtes, des excursions et surtout des spectacles latinos de salsa mais aussi de bachata, de kizomba, de chacha, de rumba cubana, de mambo, de reggaeton, etc.
La musique populaire et le rock
Le rock yougoslave était une industrie florissante et structurée avant l’explosion de la Fédération de Yougoslavie, qui en a provoqué la chute. L’histoire de la pop et du rock croate est fortement liée à celle du label Jugoton. Créé en 1947, celui-ci était la plus grande maison de disques de l’ex-Yougoslavie. Basé à Zagreb, le label a édité quantité d’artistes pop rock. Véritable entreprise d’État, il possédait ses studios, sa radio, sa propre usine de pressage, son réseau de magasins. L'une des particularités de Jugoton est d'avoir su signer, à côté de la musique mainstream, de nombreux groupes punk et new wave, peut-être pas les plus radicaux, mais qui interpellaient parfois le pouvoir en place. À l’approche de la guerre, le label est privatisé et devient propriété de l’État croate après l’éclatement de la Yougoslavie. La société est débaptisée pour devenir tout simplement Croatia Records, un nom simple qui marque l’enracinement de l’ex-Jugoton à la jeune nation croate.
Lorsque les crises politiques surviennent, toute prise de position affecte la société tout entière et influence bien souvent les œuvres artistiques. Lorsque la crise est survenue dans les Balkans, les artistes ont dû faire des choix : s’opposer au régime nationaliste ou lui servir d’étendard. Des artistes émigrent à l’Ouest comme Branimir Stulić, auteur-compositeur du groupe Azra, originaire de Zagreb, ou encore Dušan Kojić Koja, bassiste et chanteur du groupe alternatif de Belgrade Disciplina Kicme. À l’inverse, d'autres musiciens, comme ceux de Prljavo Kazaliste, vont revendiquer fièrement leur soutien aux nationalistes. Les musiciens croates contemporains, en dehors de leurs frontières, ont eu du mal à faire entendre leur différence. À l’image de Hladno Pivo (bière froide), l'un des groupes de hard rock les plus connus. Quant à Marko Perković, sa dérive vers le rock d'extrême droite lui vaudra d’être qualifié de fasciste… mais il est tout de même resté très populaire. Engagé dans la guerre en 1991, armé d’un fusil Thompson, il s'est fait connaître avec sa chanson Bojna Čavoglave, qui redonnait le moral aux soldats. Symbole de la lutte croate pour l’indépendance, ce fervent catholique chante l’amour pour Dieu, la famille et la patrie avec outrance.
Pendant l'ère Milošević, le rock s’est fait souterrain. La paix revenue, il a repris mais sans rencontrer le même succès. La pop et la dance ont pris le relais. En 1989, le groupe Riva remporte la victoire au concours Eurovision de la chanson avec la chanson Rock Me. Oliver – Oliver Dragojević – est l'un des chanteurs croates les plus populaires, depuis les années 1970. Ses hits les plus célèbres sont Cesarica, Luce mala (Petite Lucie) et Moje prvo pijanstvo (Ma première ivresse). Décédé en 2018, il demeure pour tous l’un des fondateurs de la chanson dalmate. Severina est le sex-symbol de Croatie, autant connue pour sa musique que pour son physique. Gibonni avait commencé dans un groupe de heavy metal, puis a fait évoluer son style vers le pop-rock rappelant parfois Peter Gabriel et Genesis. Qu’il compose pour lui ou pour les autres, ses chansons sont particulièrement appréciées en Croatie. INmusic, qui se tient en juin dans le parc de loisirs du lac Jarun à Zagreb, est le plus grand festival de rock indé de Croatie, avec toujours des têtes d’affiche importantes, tandis que le Pula Arena affiche un calendrier 2024 avec des concerts internationaux à faire pâlir d'envie : du rock avec The Smile Billets, Avril Lavigne, Simple Minds, Lenny Kravitz, Duran Duran, la chanteuse de variétés croates Doris Dragović ou encore le chanteur ténor Andrea Bocelli.
Rap et hip-hop
Quelques artistes rap et hip-hop ont aussi acquis une certaine reconnaissance : The Beat Fleet a débuté à Split en 1992 en enregistrant trois titres dans leur garage – les radios locales ont suivi. En 1997, le groupe sort son premier album et est depuis une référence dans le milieu hip-hop croate. Au nord, c’est le collectif Zagreb Elemental, composé de sept membres, qui joue un rôle important. Le reggae est défendu par So ! Mazgoon, un petit groupe écolo, qui met en avant les riddims et percussions tropicales, l’amour de la mer et la terre, alors que Zinedin Zidan (c’est le vrai nom !) célèbre le roots made in Split. Les Zaprešić Boys, eux, se sont imposés comme un groupe de rock-rap supporter du Dinamo de Zagreb. Ils sont le symbole d’un patriotisme ultra-transposé dans le football. Bien plus cool, Edo Maajka, le rappeur de la capitale, est lui ouvertement antifasciste.
Clubbing et turbo-folk
Alors que le rap trouvait son public, le phénomène clubbing a pris en Croatie, en Istrie dans les années 1990, avec de plus en plus de beach bars, de clubs organisateurs de soirées et de festivals tout l'été sur des plages entièrement dédiées à la culture dance. Ultra Europe est l'édition européenne du célèbre festival dance, qui a lieu chaque année au stade Poljud de Split pour y recevoir les plus grands noms de l'EDM, de la house et de la techno. De nombreuses autres soirées sont aussi organisées, dont l'Ultra Beach Party (île de Hvar), la Regatta Beach Party sur l'île de Brač, Dimension au fort Punta Christo. Le turbo-folk a aussi pris racine au cours de ces années-là, en même temps que disparaissait l'unité yougoslave, au profit des nationalismes serbes, croates et bosniaques. Ce style musical est controversé en Croatie, principalement dû au fait qu’il s’identifie principalement à la partie orientale de l’ex-Yougoslavie. Pourtant, malgré toutes les controverses et une qualité très inégale, il est très populaire dans le pays. Il existe un embargo sur les médias, ce qui signifie que le genre est banni de la plupart des chaînes de télévision et de radio, mais les clubs qui jouent du turbo-folk ne désemplissent pas. Indissociable de son contexte d'émergence, le turbo-folk rime invariablement avec la montée des nationalismes. Avec les bouleversements socio-économiques, ces nouveaux sons musicaux sont venus remplacer les groupes rock yougoslaves.