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L’Istrie et le Kvarner mutualisent leur patrimoine naturel

Intermédiaire entre l’Europe centrale et les Alpes dinariques, l’Istrie fait le lien entre la plaine de la Pannonie et le pourtour méditerranéen. La Croatie continentale et la façade maritime sont coupées par cette barrière montagneuse, soit deux parties bien distinctes qui ont façonné culturellement deux visages. Au nord-ouest de la péninsule, l’Istrie (Istarska županija) et le Kvarner sont mitoyens. La côte s’étire sur un grand golfe, qui a donné son nom à la région du Kvarner incluant la sous-région de la riviera d’Opatija, la station balnéaire historique. Au centre de cette large baie, on a construit Rijeka, qui en importance s’est classé premier port et troisième ville croate.

Un panel de couleurs naturelles

Au nord, dans les montagnes du parc naturel Učka, le mont Vojak culmine à 1 401 m alors que le massif Čičarija est relié à la chaîne de la Dinara. Dans ce paysage d’altitude minéral, on parle d’Istrie blanche car la roche sédimentaire d’origine calcaire est claire, crayeuse. Érodées par l’eau, les roches friables ont façonné des paysages karstiques. Des trous géants (dolines), dus aux affaissements de terrain, sont apparus, souvent en groupe (ouvala), formant des fosses (foibe), des crevasses, gouffres et autres lapiaz. En déclinant graduellement vers l’ouest, on trouve des sédiments calcaires recouverts d’une couche de terre rougeâtre, d'où la toponymie de l’Istrie rouge.

Plus bas, les vallons forestiers (chênes, hêtres, châtaigniers et marronniers) sont parcourus de rivières, lacs et cascades. Le sous-sol cache un réseau de grottes comme celles de Jama-Grotta Baredine, à 6 km au nord-est de Poreč, de Feštinsko Kraljevstvo et de Pazin, les plus connues au centre de l’Istrie.

Sur ces terres arables au sol argileux fertile, surtout dans la région de Puljstina (extrême sud de l’Istrie), outre les céréales, on préserve les cultures vivrières méditerranéennes.

L’Istrie verte porte bien son nom

Dans les parties intérieures de la péninsule, la région dite Istrie verte (Zelena Istra) est la mieux identifiée des touristes. Faite de collines douces, de forêts et de clairières, cet arrière-pays est très pittoresque. Des petites routes ponctuées par les cyprès mènent au sommet du paysage à des villages perchés (Motovun, Grožnjan, Buzet, Labin, Oprtalj, Buje, Bale, Hum). Surnommée aussi la Toscane de la Croatie, ce territoire rural a su tirer avantage de l’écotourisme en milieu aquatique : pêche, parcours « no kill », baignade dans les chutes d’eau, par exemple, les chutes Zarecki Krov provoquées par la rivière Pazinicia à quelques kilomètres de Pazin ou les cascades Kotli, proches de Pula. S’y développent aussi l’œnotourisme, avec la route des vins qui croise souvent celle des oliveraies, l’agrotourisme, qui vit au rythme des fermiers dans leurs grands domaines, le tourisme rural, au calme dans des bastides bien retapées ou de superbes villas d’architecte. Mais la grande richesse de l’Istrie verte, c’est aussi la truffe, blanche et noire, que les connaisseurs déterrent presque toute l’année, tout spécialement dans la campagne de Buzet.

Autres curiosités, ces grands sillons maritimes, d’une couleur cristalline, qui entrent dans la terre, abusivement nommés fjords. L’Istrie en compte plusieurs. Le Limski Kanal, au sud de Vrsar, est le plus visité. Ce bras de mer est long de 10 km, le Raški zaljev, 12 km au sud-ouest de Labin, ceux de Duga Luka et Plomin Luka, plus petits sur la côte ouest.

La Grande Bleue borde tout le littoral

À l'extrémité nord-ouest de la péninsule, l’Istrie bleue commence avec le golfe de Trieste, suit la côte slovène jusqu’au cap Savudrija, surmonté d’un phare. Achevé en 1818, c’est la plus ancienne lumière opérationnelle de l’Adriatique. Puis la côte suit un pourtour nord-ouest/sud-est, long de 242,5 km jusqu’au cap Kamenjak, où il s’infléchit et suit une ligne sud-ouest/nord-est, longue de 212,4 km jusqu’à la baie du Kvarner sur la côte orientale.

La riviera d'Opatija épouse le littoral sur 25 km, de Volosko à Mošćenička Draga, aux pieds de la montagne Učka. Parmi ses huit stations balnéaires, certaines ont gardé le charme du tourisme historique. Lieu de villégiature des plus réputés en Adriatique, la riviera fut visitée par de nombreuses têtes couronnées, artistes et écrivains célèbres. À partir des années 1900, on ouvre une promenade piétonne le long de la mer, nommé Lungomare. Entre Preluk et Lovran, sur 12 km, la côte élégamment ouvragée est ainsi bordée de résidences secondaires somptueuses, de parcs et jardins luxuriants.

En direction générale du sud-sud-est, la côte est très découpée jusqu’à l'extrémité de la péninsule, que l’on tente de préserver du béton dans le parc naturel du cap Kamenjak. Au large : des îles, récifs et archipels, dont les célèbres Otoci Brijuni (îles Brioni) en face du port de Fažana, à une dizaine de kilomètres de la ville de Pula, cité antique prospère, chef-lieu de région, devenu un grand port stratégique, doublé d’une station balnéaire en plein boom touristique.

Une péninsule partagée entre tourisme et écologie

Après la dernière guerre, la Croatie a rapidement valorisé ses ressources naturelles pour les transformer en une véritable mono-industrie, spécialement en Istrie. Mais aujourd’hui, la région n’échappe pas au paradoxe planétaire. L’Istrie, qui inaugura la notion de tourisme dès le XIXe siècle, subit la pression environnementale du surtourisme.

Ses eaux cristallines en mer Adriatique attirent toujours plus de monde. Une surfréquentation, surtout l’été sur les côtes, autour des ports historiques (Rovinj, Poreč, Pula, Opatija) ou dans les grosses stations balnéaires comme Portorož affecte l'écosystème. Les enjeux économiques liés au tourisme reposent sur l’attrait du patrimoine mais surtout sur les plaisirs de la mer ou de la plaisance. Avoir la chance d’entrer dans une nature intacte, plonger d’une falaise, trouver une île déserte, observer les fonds marins, croiser des mammifères marins ou des grands oiseaux… tout cela est possible en Istrie. Mais le bétonnage des côtes se conjugue avec l'augmentation des bateaux de croisière, l’exploitation offshore, le rejet des matières plastiques et autres polluants dans la mer. Comment trouver un compromis entre la nécessité d'exploiter la nature et le devoir de préserver notre bien commun ? C’est l’énorme défi qui attend les dirigeants politiques croates, les collectivités territoriales et toute la société civile.