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Martin pêcheur dans le parc national de Keoladeo Ghana © Sourabh Bharti - iStockphoto.com.jpg

Les années noires de la révolution verte

Réussir à nourrir sa population en pleine explosion alors qu’elle se libérait de deux siècles de colonialisme britannique en 1947 a sans doute été l’un des plus grands défis auxquels a fait face l’Inde. Sa stratégie : organiser une agriculture intensive, arrosée de pesticides, introduits seulement un an après l’indépendance. Si bien que les trois quarts des puits d’eau potable du Rajasthan sont aujourd’hui contaminés à des taux dépassant les recommandations de l’OMS. Cette période, qui a atteint son apogée dans les années 1960, a été appelée la « Révolution verte ». Dans le Rajasthan, où l’on trouve des zones arides, elle a fait encore plus de dégâts qu’ailleurs puisqu’elle a pompé une eau qui était déjà rare. En plus de cela, le Rajasthan fait face à un phénomène important de désertification. On estime que 60 % de ses sols se craquellent et sont détruits.

La « Révolution verte » a également eu un impact social considérable. Entre glissements de terrain dus à une agriculture inadaptée, pollution importante et son lot d’intoxications, raréfaction de l’eau et diminution des surfaces de cultivation : la situation des fermiers est de plus en plus précaire. Le Rajasthan n’a ainsi pas échappé à la vague de suicides d’agriculteurs qui touche l’Inde depuis les années 1990, et que le gouvernement n’arrive pas à maîtriser.

Ces dernières années ont vu l’émergence d’une agriculture biologique, encore minoritaire, mais terriblement déterminée. La Green World Foundation, à Chomu, aux abords de Jaipur, marie écotourisme et agriculture. Dans cette ferme biologique, on peut dormir dans une maison de boue inspirée des maisons traditionnelles du Rajasthan. Bien plus qu’un lieu de vacances, la ferme a déjà reçu 8 000 fermiers auxquels elle a enseigné les préceptes de l’agriculture biologique. Une autre révolution verte serait-elle en train de s’organiser ?

Le premier peuple écologiste

Depuis le XVe siècle, une communauté d’écologistes peuple le Rajasthan. Il s’agit des Bishnoïs, un groupe composé aujourd’hui de 700 000 personnes, qui suit les préceptes érigés par son maître spirituel, Jambeshwar Bhagavan.

C’est le respect de la vie, sous toutes ses formes, qui dirige la communauté. L’un des fondements du courant est de ne tuer aucun animal, et de n’abattre aucun arbre vert. Les Bishnoïs sont donc végétariens, comme de nombreux autres Indiens. Autre mesure : partager 10 % des récoltes avec la vie sauvage.

La communauté est marquée par le massacre de 1730, lorsque les adeptes ont protégé de leur vie des arbres que le maharaja avait envoyé ses soldats couper. Au total, 363 personnes périrent. Le souverain, impressionné par le dévouement des Bishnoïs à la nature, ordonna la protection de leur territoire. Encore aujourd’hui, ils sont prêts à sacrifier leur vie pour sauver un être vivant, comme en 2000, lorsque l’un d’eux s’est interposé entre une gazelle et des braconniers, pour finir enterré aux côtés de sa protégée.

Le Rajasthan assoiffé

Les épisodes de sécheresse sont de plus en plus fréquents, et de plus en plus intenses. En 2019, l’État a subi un pic de chaleur à 50,8 °C, à Churu, record national de l’année. Cette région au climat semi-désertique reçoit 90 % de ses précipitations en quelques jours, et doit concevoir avec quelques gouttes le reste de l’année. Traditionnellement, les habitants ont conçu des bassins où stocker cette eau pour le reste de l’année, une technique appelée water harvesting. Mais les moyens ancestraux ne suffisent plus, alors que le climat est de plus en plus incertain. Le manque d’infrastructures, la pollution de l’eau, et la surexploitation des nappes phréatiques, principalement par l’agriculture, qui pompe 80 % de l’eau, mènent le pays tout entier à la soif. À la sécheresse de 2019, a succédé celle de 2022, exceptionnellement précoce. Elle a poussé l’Inde à arrêter les exportations de blé, pour assurer la sécurité alimentaire de sa population, menaçant celle du monde. Ces crises devraient devenir de plus en plus fréquentes, alors que l’on estime que 40 % de la population indienne n’aura pas suffisamment accès à l’eau d’ici 2050. Un rapport du gouvernement indien prédit que 21 grandes villes indiennes, parmi lesquelles New Delhi, auront épuisé leurs ressources d’ici 2030.

Des déchets plus hauts que le Taj Mahal

Partout, les déchets s’accumulent jusqu’à former des montagnes. Celle de la décharge de Ghazipur, à New Delhi, a même franchi les 75 mètres : plus haute que le Taj Mahal. Paradis des rats, c’est devenu un enfer pour les riverains, qui sont exposés à de nombreuses maladies, en plus des odeurs et des fumées toxiques qui émanent des poches de gaz formées.

Les déchets représentent ainsi la troisième cause d’émissions de gaz à effet de serre du pays, les voitures arrivant en tête. Cela fait de Delhi la région la plus polluée au monde, selon l’OMS. En plus de contaminer l’air, ces nombreuses décharges, qui gangrènent le pays, salissent les nappes d’eau potable, mais aussi les rivières, comme la Yamuna, rivière sacrée qui traverse New Delhi, et fournit de l’eau à 57 millions de personnes.

Une lutte, encore fragile, face à l’ampleur du problème, s’organise pourtant. Le Premier ministre Narendra Modi a notamment lancé une campagne « Mission Inde propre » en 2014, bien qu’elle soit vivement critiquée pour son budget jugé insuffisant et certaines infrastructures inadaptées. Au programme : nettoyage des rues, gestion des déchets solides et implantation du recyclage. Ainsi, 80 000 quartiers ont désormais accès au recyclage. Depuis juillet 2022, plusieurs plastiques à usage unique sont également bannis, tels que les gobelets, les pailles et les emballages plastiques de cigarettes.

Quand l’air se fait irrespirable

En 2019, sur les 21 villes du monde les plus polluées, 19 se trouvaient en Inde. L’industrie indienne est à elle seule responsable de plus de la moitié de cette pollution. Les véhicules, quant à eux, représentent plus d’un quart des émissions. Le dernier quart est dû à différents facteurs, tels que la pratique incessante des brûlis agricoles, ou les feux urbains, comme celui de la fameuse décharge de Ghazipur, qui s’est embrasée en 2020, épaississant un peu plus le lourd nuage de pollution qui pèse sur New Delhi. La capitale indienne, avec l’air le plus pollué au monde en 2020, selon l’organisation suisse IQAir, a même fait temporairement fermer toutes ses écoles en 2021, face à la pollution. Cette mesure a été accompagnée d’une interdiction des poids lourds de pénétrer la capitale, de l’interruption des chantiers et des centrales thermiques, ainsi que d’un appel au confinement, alors que les canons anti-pollution s’époumonaient pour limiter les dégâts.

Tentant de prendre le problème en main, l’Inde a lancé en 2019 le programme National Clean Air Programme, avec pour projet de réduire de 20 % à 30 % certaines émissions de polluants d’ici à 2024. D’autres mesures locales ont été implantées, telles que la circulation alternée, à Delhi, ou des normes de pollution par les véhicules plus strictes. L’utilisation de plus en plus importante des énergies renouvelables devrait également permettre d’endiguer le problème. Elles représentent déjà un quart du mix énergétique indien, faisant de l’Inde un des leaders mondiaux, avec notamment une utilisation du solaire, de l’hydrique, de l’éolien et du géothermique. Cette part est vouée à augmenter, car le gouvernement indien a annoncé en 2015 un programme ambitieux pour développer l’énergie renouvelable, en particulier solaire. Le Rajasthan, avec ses 300 à 330 jours d’ensoleillement par an, est un bon élève en la matière.

Le pays aux cent parcs nationaux

L’Inde compte plus d’une centaine de parcs nationaux, dont cinq se trouvent au Rajasthan. Le plus vieux d’entre eux est le parc national du Désert, créé en 1980. Il couvre plus de 3 000 km2 du désert de Thar. Dans cet écosystème fragile, de nombreuses espèces d’oiseaux trouvent refuge, notamment l’Outarde à tête noire (Ardeotis nigriceps), un oiseau endémique de l’Inde qui figure sur la liste de 2012 des 100 espèces les plus menacées au monde.

Le parc national de Ranthambore couvre une surface de 400 km2 de forêt caduque. Dans ce qui était anciennement le terrain de chasse des maharajas de Jaipur, la biodiversité s’épanouit désormais, à tel point que le parc est réputé pour être l’un des meilleurs endroits pour observer la vie sauvage en Inde. Les tigres du Bengale n’y sont plus chassés, mais font au contraire l’objet d’aménagements, dans le cadre du « Project Tiger », qui a permis de faire passer la population de félins de 1 200 dans les années 1970 à 3 500 en 1990. Les tigres sont également protégés dans le parc national de Sariska, qui, lui aussi, était autrefois une réserve de chasse. C’est même la première réserve au monde où la réintroduction de tigres a été un succès !

Dans le parc national de Keoladeo Ghana, ce sont les oiseaux qui sont rois, à tel point qu’il est considéré comme l’un des plus importants sites ornithologiques mondiaux. On en dénombre 360 espèces, notamment la rarissime, et particulièrement menacée, grue de Sibérie.