De la période hellénistique à Byzance
Sur le sol croate, les plus anciennes traces de présence humaine datent du paléolithique. Des objets ont été découverts dans les grottes Šandalja, près de Pula, à Punikve aux alentours d’Ivanac et dans la Krapina. Les premières sculptures apparaissent au néolithique et à l’âge du cuivre. Au IVe siècle av. J.-C. que la Croatie développe des liens forts avec les cultures méditerranéennes grecques, sur les îles de Vis, Hvar et Korčula. L’Apoxyomène, le bronze haut de 2 m d’un athlète nu à sa toilette, a été découvert en 1996 au large de l’île de Vele Orjule. Restauré à Zagreb, il a rejoint le giron du musée de l’Apoxyomène de Veli Lošinj.
Province de l’Empire romain, la Dalmatie, située autour de Split (Salona), possède son école de sculpture qui produit nombre d’œuvres dont un buste en marbre blanc de l’empereur Auguste, découvert à Nin au XXe siècle. Après la chute de l’Empire, la Dalmatie reçoit l’influence byzantine. Les reliefs du baptistère et les sarcophages de la basilique de Split ou les mosaïques de la basilique de Poreč en sont les meilleurs témoignages. Des manuscrits enluminés du Musée sacré de Zadar, les évangéliaires de la cathédrale de Split, datent des VIe et VIIe siècles. En Istrie, les fresques dans l’église Saint-Jérôme (Hum), de style byzantin, celles de l’église Sainte-Foška près de Peroj, de style roman, suivant les modèles français, datent du XIIe siècle. Le crucifix de bois sculpté et peint du monastère Saint-François à Zadar est le plus ancien que l’on ait découvert. Le visage du Christ s’anime davantage et le style s’éloigne de l’icône byzantine. Ils marquent le début de l’art roman.
Pendant l’époque romane, les basiliques à plusieurs nefs et absides, comme à Rab, Zadar et Trogir, possèdent des portails très ouvragés de bas-reliefs et de sculptures relatant les épisodes de la Bible. Ainsi le portail de la cathédrale de Split, dont la porte en bois est signée de l’atelier du maître Buvina, celui de Trogir, au tympan ouest, sculpté par Maître Radovan en 1240. En plein gothique international, l’école dalmate s’illustre à Trogir ou Korčula, avec les œuvres de Blaž Jurjev notamment. Son polyptyque sur bois de l’église de Tous-les-Saints, parfaitement restauré, témoigne de l’influence italienne. La peinture enlumine aussi les manuscrits, de manière sophistiquée. Le plus fameux est l’évangéliaire de Trogir (1231-1250). Par ailleurs, au XIIIe siècle, les peintres et les ateliers se multiplient, la personnalité du maître d’œuvre s’affirme tout comme le rayonnement de son influence.
Du XIIIe au XVe siècle, le style gothique est également présent au nord de la Croatie (cathédrale de Zagreb). En Dalmatie, le développement du gothique rayonnant et flamboyant voit émerger la signature de l’architecte et sculpteur Juraj Dalmatinac, qui a fait ses écoles à Venise. Cet artiste complet a travaillé à Split, Dubrovnik et Zadar, mais c’est dans la cathédrale de Šibenik, classée par l’Unesco au patrimoine mondial, que l’on a trouvé son mystérieux baptistère (1443), décoré de structures réticulaires et de sculptures en forme de stalactites, faisant penser à une grotte.
De la Renaissance à l’Art nouveau
L’avènement de la Renaissance trouve un terrain favorable à Raguse (Dubrovnik), où les sculpteurs et les peintres collaborent, s’inspirant des artistes italiens du Quattrocento tout en retenant les leçons du gothique. Au milieu du XVe siècle, Lovro Dobričević fut le premier peintre à faire entrer la tridimensionnalité dans la représentation de ses personnages. Il faudra attendre le XVIe siècle, avec Mihajlo Hamzić ou Nikola Božidarević, pour voir les peintres s’émanciper des structures traditionnelles, comme les aplats de dorure, et dégager l’espace derrière leurs figures.
À partir du XVIIe siècle et jusqu’au XVIIIe, c'est l'avènement du baroque, qui se développe au nord du pays, dans les églises jésuites et les demeures privées (Zagreb, Varaždin, Trški Vrh, près de Krapina, les châteaux de Hrvatsko Zagorje). Sur la côte adriatique, les échanges avec Venise seront bénéfiques aux peintres. Le style de Federico Benković (1677-1733) notamment, influent dans toute l’Europe centrale. D’autres peintres ragusains, Stay et Matejević-Matteï, choisissent Rome ou Naples pour se former. On assiste à l’apparition de la peinture illusionniste sur des murs où s’accrochent dorures et moulures, personnages en apesanteur, angelots virevoltants.
Au XIXe siècle, Vlaho Bukovac (1855-1922), né à Cavtat, au sud de Dubrovnik, vit de son art comme dessinateur et portraitiste avant de partir pour San Francisco où il se forme à la peinture. De retour à Dubrovnik, l’évêque Strossmayer lui offre une bourse pour aller à Paris où il fréquente les ateliers de Tcheramok et de Cabanel. On assiste chez l'artiste à une évolution formelle, l’apparition de la peinture symbolique est une révélation. Il retourne à Zagreb avant d’être nommé professeur à Prague. À Cavtat, sa maison familiale est devenue un atelier-musée, où l'on découvre nombre de ses peintures. Ces nouvelles tendances de la Zagrebačka šarena škola concourent à la la formation du mouvement sécessionniste en Croatie, avec Josip Račić, Bela Čikoš-Sesija, Crnčić.
La fin du XIXe siècle en Croatie est marquée par les mouvements révolutionnaires actifs en Europe. Inspirés par la Sécession autrichienne et allemande, les peintres entrent de plain-pied dans l’Art nouveau, qui se dresse contre le traditionalisme en art. Les arts graphiques deviennent un mode d’expression autonome grâce au développement des techniques de la lithographie (Tomislav Krizman), de l’affiche, du papier peint et du lettrisme. Les sculpteurs Robert Frangeš-Mihanović et Rudolph Valdec développent des thèmes funéraires et symboliques propres au style Sécession. À cette époque, le maître sculpteur Ivan Meštrović développe un style expressionniste personnel. C'est l’artiste le plus renommé de Croatie. Ses sculptures monumentales sont toujours en place à Zagreb et à Split, où l’on peut visiter son palais-atelier, ainsi qu'à Nin. Principalement sculpteur mais aussi peintre, architecte et écrivain, il voyage beaucoup, rencontre entre autres personnalités Gustav Klimt et Auguste Rodin et expose au Metropolitan Museum of Arts de New York en 1947.
Des modernes à la photographie croate
Au début du XXe siècle, la Croatie suit la vague artistique européenne de l’impressionnisme et du paysage peint sur le motif tout en développant une thématique identitaire liée au renouveau de la conscience nationale (Quiquerez, Mašić, Iveković). Les modernistes croates (Josip Račić Kraljević, Becić) ont fait leur école à Paris ou Munich .
La photographie croate a connu un développement tout particulier. Le premier département de la photographie est créé en 1939, au musée des Arts appliqués de Zagreb. La naissance de la Zagreb School a entériné l’engagement artistique et poétique des photographes tels que Bela Čikoš Sessia, un peintre symboliste qui faisait des études photographiques préalables à ses tableaux ou Franjo Mosinger, un des premiers photographes d’avant-garde d’Europe. Quant à Ðuro Janeković (1912-1989) ou Tošo Dabac (1907-1970), ils inaugurent un âge d’or du photoreportage pour la presse écrite. Les magazines étrangers, Life, Stern, Paris Match, Elle, Tempo et Gente ont régulièrement engagé des photographes croates, qui sont publiés dans le monde entier. Parmi eux, Tošo Dabac, connu pour son travail durant la Grande Dépression de 1929, Frank Horvat, photographe de mode et reporter. Depuis 1970, le musée d’Art contemporain de Zagreb conserve un important fonds de photographies remontant aux années 1920.
Du réalisme socialiste au street art
Le cercle de Munich (Münchenski krug) est le terme donné par les historiens de l'art au début du XXe siècle à un groupe de peintres croates (Josip Račić, Miroslav Kraljević, Vladimir Becić et Oskar Herman), qui ont fréquenté l'Académie des beaux-arts de Munich. Influencés par l'impressionnisme français et l'expressionnisme allemand, ils jetèrent les bases du modernisme croate.
Pendant l'entre-deux-guerres, la Croatie va expérimenter les divers modes picturaux, expressionnisme, cubisme, abstraction (Tartaglia, Šulentić, Gecan), mais les dogmes du réalisme socialiste des années 1950 ont freiné le développement de l'avant-garde. Durant les années 1950-1960, le pays voit s'ériger nombre de statues, des personnages illustres ou populaires. Parallèlement, avant et après la Seconde Guerre mondiale, une école d'art naïf est fondée à Koprivnica, un bourg à la frontière hongroise. À Zagreb, la galerie Hlebine et le musée dédié à ce style présentent l'histoire de ces artistes ruraux, les pionniers Ivan Generalić, Franjo Mraz, Mirko Virius, la seconde génération, Dragan Gazi, Ivan Vecenaj, Mijo Kovačić, Franjo Filipović, Martin Mehke, Krsto Hegedušić, et le grand Ivan Generalić. Toute une tradition de peintres populaires qui ont créé un art régional, imagé, original.
Au début des années 1960, la « seconde avant-garde » est plus conceptualiste. L'abstraction lyrique d'Edo Murtić, les aplats colorés et craquelés de Drazen Grubišić, la peinture brute de Zlatko Keser, les installations avec sérigraphies d'Antun Maračić ou le multimédia interrogent la place de l'art dans les galeries, le rôle de l'artiste dans la société. Peu, parmi eux, ont réussi à s'implanter dans un marché international, excepté Zoran Mušič ou Andrea Andriya Filipović. En Croatie, c'est principalement le musée d'Art moderne et contemporain, le pavillon Meštrović et la galerie Lauba de Zagreb, mais aussi les musées et galeries de Rijeka (capitale européenne de la culture croate en 2020), Pula, Zadar, Split, Dubrovnik qui donnent à voir le travail des artistes contemporains.
La photographie croate s'illustre aujourd'hui par le regard d'artistes contemporains comme Ivan Faktor, dont l'œuvre utilise autant la photo et la vidéo que la performance, ou encore Antun Maračić, l'artiste conceptuel, Boris Cvjetanović qui, avec Ana Opalić, a représenté la Croatie à la 50e Biennale de Venise en 2003. Représenté par plusieurs galeries à l'international, Mladen Stilinović était sans doute le plus connu de ces artistes avant-gardistes. Activiste multimédia très engagé politiquement, il utilisait la photographie mais aussi toutes les techniques que les installations conceptuelles requièrent. Les instantanés de Pavo Urban, mort sous les bombes à Dubrovnik en 1991, alors qu'il exerçait son métier de reporter, sont saisissants. L'arrivée massive du numérique contribue à l'émergence en Croatie d'une nouvelle scène de jeunes artistes photographes comme Bojan Mrdenović, Luka Kedzo, Davor Konjikusić ou encore Sinisa Glogoski.
Installé en France, Veljko Vidak est photographe, cinéaste et peintre. Sa dernière exposition s'est tenue à La Criée de Marseille en 2020. Intitulée Traversée, sa série d'huiles sur toile grands formats impressionne, avec le ciel menaçant qui pèse sur la mer et l'homme à la mer, qui sonde l'horizon dans l'espoir de survie.
De nombreux artistes plasticiens croates n'ont pas la chance d'exposer en galerie. Pour eux, les peintres surtout, les plateformes numériques sont un moyen de se faire connaître à l'international. Ainsi, Artsper, Singulart ou Art Majeur donnent accès virtuellement à un vaste catalogue d'œuvres croates.
Pour les amateurs de street art, la capitale compte de superbes murs signés Slaven Kosanović aka Lunar, né en 1975 à Zagreb, qui peint des fresques à la bombe depuis 1993, ou OKO (« l'œil » en français). Les graffeurs Morka, Dengan Skor, Mosk, Pejac sont originaires de Rijeka, qui fut capitale européenne de la culture en 2020.