Découvrez l'Égypte : Musiques et Scènes (Danse / Théâtre)

Au carrefour de trois continents et héritière d’une civilisation millénaire, l’Égypte bénéficie d’un rayonnement culturel sans pareil dans le monde arabe. Pays gigantesque, dont chaque région possède une culture spécifique, l’Égypte est un régal pour les amateurs de tous les arts du nord au sud et d’est en ouest. Mais au-delà de son aspect patrimonial, les musiques en Égypte ont évolué au gré des courants et des diverses vagues provoquées par les mouvements de la société. Cela vaut aussi bien lors de son essor économique au XIXe siècle que lors des « Printemps arabes » en 2011. Comme souvent, les tourments sociaux allument le feu du bouillonnement créatif et en Égypte, l’électro chaabi en est un exemple criant. Une décennie plus tard, si l’emballement s’est éteint sous la pression d’un régime autoritaire, la musique, la danse et le théâtre résistent et vivent, souvent investis comme terrains de lutte.

La musique classique et savante

Impossible d’évoquer la musique savante égyptienne – et la musique égyptienne dans son ensemble à vrai dire – sans d’abord parler de la « Nahda ». Tout au long du XIXe siècle, sous les règnes de Muhammad Alî Pacha (1805-1848) et du khédive Ismaïl (1863-1879), l’Égypte connaît un essor économique et culturel marqué par des relations entretenues avec l’Europe. Dans ce contexte, se développe une importante effervescence intellectuelle et artistique qui permet à la Nahda (« renaissance culturelle arabe ») d’éclore au Caire. Mouvement transversal, il touche tous les domaines, aussi bien la philosophie que la religion et la littérature. Ou encore la musique qui, à cette époque, va synthétiser des traditions musicales égyptiennes et les marier aux influences turques et persanes. C’est aussi durant la Nahda que va se populariser le takht, petite formation traditionnelle de chambre de musique savante comprenant oud, qanûn (cithare sur table), violon, ney (flûte en roseau) et riqq (tambour sur cadre à cymbalettes). Une grande caractéristique musicale de la Nahda est la wasla. Signifiant « lien » ou « enchaînement », le mot désigne une suite musicale de pièces vocales et instrumentales semi-composées et improvisées. La musique du duo Tarek Abdallah, grand oudiste, et Adel Shams El-Din, percussionniste traditionnel, donne de très bons exemples de wasla. Autre grand spécialiste de la période de la Nahda, Mustafa Saïd est un des plus grands compositeurs de musique classique contemporaine arabe et un oudiste réputé. Mais le nom égyptien le plus illustre de la musique classique est sans conteste Omar Khairat. Sa production très riche est marquée par la composition de grandes fresques pour l’État égyptien mais surtout de musiques de films, des ballets, des opérettes et des symphonies pour lesquels il a tenté de tirer un trait d’union entre musiques arabe contemporaine et occidentale. Autre incontournable Égyptien du classique – au sens européen du terme cette fois-ci –, Gabriel Saab (frère de l’écrivain Andrée Chedid) est l’auteur d’une œuvre importante influencée par Tchaïkovski et Sibelius. Moins connu, Sherif Mohie Eldin demeure un chef d’orchestre et compositeur de classique contemporain remarquable.

Fait notable, il y a en Égypte une grande tradition d’opéra. L’histoire du genre est d’ailleurs marquée par Aïda. Commandée à Verdi par le khédive Ismaïl Pacha pour célébrer l’inauguration du canal de Suez, la pièce n’est pas achevée à temps et c’est finalement Rigoletto qui est présenté sur scène ce soir-là à l’Opéra du Caire (d’ailleurs construit pour l’occasion). Premier Opéra d’Afrique, il est détruit par un incendie en 1971 avant de renaître de ses cendres en 1988. Depuis sa création, le pays cultive une vraie tradition lyrique jusqu’à devenir un vivier de voix (féminines) remarquables : Ratiba El-Hefny (la pionnière), Amira Selim (soprano colorature très présente en France), Gala El Hadidi (mezzo de l’Opéra de Dresde), Fatma Said (qui à son jeune âge chante déjà dans les opéras majeurs du monde), et enfin Farrah El Dibany, la « Carmen égyptienne » formée et adoubée à l’Opéra de Paris. Hormis leur nationalité et leur talent, toutes ont en commun d’être passées par l’Opéra de Paris. Hormis leur nationalité et leur talent, toutes ont en commun d’être passées par l’Opéra du Caire. Une vénérable institution en Égypte et dans le monde arabe qui propose une programmation très riche. Il est conseillé d’y voir l’Orchestre symphonique du Caire interpréter les classiques du répertoire européen ou l’Orchestre de l'Opéra du Caire jouer les plus belles heures du registre oriental. À noter aussi à Alexandrie, l’Opéra Sayed Darwish- piloté par son cousin du Caire -dont la programmation peut valoir celle de la capitale.

Les musiques traditionnelles et folkloriques

Le pays fut un tel acteur de l’âge d’or de la chanson arabe au début du XXe siècle que l’on oublie parfois la richesse de ses musiques traditionnelles et folkloriques. À l’instar de nombreux pays, l’Égypte, souhaitant cerner les contours d’un « style national », entreprit dans les années 1950 la collection des folklores de différentes régions. Parmi elles, on trouve les musiques nubiennes ou du Saïd, au nord du pays. Les premières ont quelque chose d’un blues hypnotique aux racines subsahariennes quand les secondes sont des musiques de danse très puissantes. Si l’on s’intéresse un tant soit peu au genre, il est indispensable d’écouter le prince de la musique nubienne Hamza El Din. Adoré par Grateful Dead, Joan Baez et Bob Dylan, célébré par les minimalistes Steve Reich et Terry Riley, ce grand artiste tristement méconnu a produit quelques chefs-d’œuvre dont Escalay : The Water Wheel en 1968. Un grand moment de Nubie. Transe toujours, le « zâr » est – bien que cousin du gnaoua marocain – singulier à l’Égypte. Cette cérémonie de désenvoûtement accompagne l’exorcisme avec un ensemble d’instruments à vent (dont l’arghoul) et de percussions (darabukka, târ, riqq et sâgât). Aujourd’hui cantonnée au folklore, on peut entendre la musique du zâr au Centre Makan pour la culture et les arts au Caire.

Un trait d’union entre musiques traditionnelle et populaire serait le mawal. Cette lente et (douloureusement) sentimentale pratique vocale arabe est un chant de lamentations précédant généralement la chanson en elle-même. Traditionnellement, les orchestres les accompagnant sont composés d’instruments typiquement égyptiens comme le raba (violon à deux cordes), le kawala (flûte de bambou à six trous) et l’arghoul (une ancienne clarinette double à deux tuyaux de longueur inégale). Aujourd’hui encore, il est plus que fréquent d’entendre un chanteur de variétés entonner un mawal sur scène avant une chanson.

La musique populaire

Au début du XXe siècle, tandis que la musique savante décline, la variété fait son apparition en Égypte sous l’impulsion du chanteur Abdu el-Hamouli (dont raffolait le khédive Ismaïl). En mettant la musique à la portée du public, ce dernier chamboule ses habitudes et va ouvrir la porte à un monde nouveau dans la musique locale. Dans les années 1930, une génération de jeunes musiciens instaure les fondements de la modernité musicale égyptienne avec une variété gorgée de musique savante. Cette musique populaire sophistiquée est d’ailleurs souvent accompagnée du takht – l’ensemble de musique savante égyptien –, complété d’instruments classiques occidentaux. C’est à cette époque dorée qu’apparaissent trois grandes voix, trois grands artisans de la « renaissance égyptienne » : le « Sinatra du Nil » Abdel Halim Hafez, Mohammed Abdel Wahab, premier chanteur de charme égyptien et surtout l’immense Umm Kulthûm (ou Oum Kalsoum). Cette dernière est « la voix de l’Égypte ». Et plus de 40 ans après sa disparition, dans les rues égyptiennes résonnent encore la voix inimitable et les chansons aussi longues que langoureuses de celle que l’on surnommait « l’Astre de l’Orient ». Comme le résumait l’écrivain égyptien Naguib Mahfouz (prix Nobel en 1988), « les Arabes ne s’entendent en rien, sauf à aimer Oum Kalsoum ». Durant les années 1950, tous les premiers jeudis du mois, du Caire à Bagdad, la vie du monde arabe s’arrêtait et toutes les oreilles se suspendaient au poste de radio. Pourquoi ? Un rituel : la diva égyptienne chantait une nouvelle création, ornée des longues improvisations qui l’ont rendue célèbre (un même morceau pouvait durer entre quarante minutes jusqu’à… plusieurs heures). Mythique de son vivant, elle a exporté l’Égypte, son accent, son style dans le monde arabe et le reste du globe. Si Le Caire est un véritable Hollywood de la chanson arabe jusque dans les années 1970, c’est en grande partie grâce à elle (et Mohammed Abdel Wahab ainsi qu’Abdel Halim Hafez).

À partir des années 1980, une nouvelle génération de musiciens plus pop, aux styles « occidentalisés », fait irruption dans le paysage musical égyptien. Parmi les plus importants, Amr Diab, surnommé « le père de la musique méditerranéenne » est une superstar du monde arabe battant régulièrement des records de vente. Autre figure emblématique, Mohammed Mounir est la grande voix moderne de la Nubie, connu pour sa musique fusion de traditions égyptiennes et de blues, soul ou reggae. N’oublions pas non plus Hakim, immense pop star du monde arabe et grand représentant d’un style on ne peut plus égyptien, le shaabi. Signifiant « populaire », le genre est la chanson des rues du Caire. Datant des années 1970, elle modernise la chanson populaire dans le texte et surtout l’instrumentation (adoption de l’accordéon, batterie, synthétiseur, saxophones, etc.). Un précurseur du genre est Ahmed Adawiya, célèbre pour ses textes parfois subversifs ou provocateurs, proches de la rue égyptienne. Plus rapide, dansant et occidental, un cousin du shaabi est le jeel (« génération »), genre pop et mélodramatique à souhait et dont la rythmique est souvent marquée par des claquements de main. Deux styles dont découlera par la suite le raï.

Délicat de ne pas mentionner le tribut de l’Égypte à la chanson populaire francophone. Native d’un quartier modeste au nord du Caire, Yolanda Gigliotti, de son nom de scène Dalida, devient « Miss Égypte » en 1954 avant de partir pour Paris la même année et de connaître le succès qu’on lui connaît. L’interprète d’Alexandrie, Alexandra, Claude François, est lui aussi un enfant du pays (bien qu’inconnu des Égyptiens). Né en 1939 à Ismaïlia d’un père employé par la compagnie du canal de Suez, il quitte l’Égypte en 1956 lors de la nationalisation de ce dernier.

Les musiques actuelles

Le soulèvement populaire de 2011 a connu un écho très fort dans la production artistique égyptienne et nombre des artistes iconiques de la révolution sont aujourd’hui des têtes d’affiche. C’est le cas de Cairokee, groupe de rock particulièrement politique qui enchaîne les succès populaires depuis son hymne dédié à la place Tahrir, Ya Al Medan, en 2011. Même histoire du côté du groupe de rock Massar Egbari à Alexandrie, engagé jusqu’à la moelle, ou de Dina Al-Wedidi et son jazz-folk langoureux, devenue une icône féminine après que les manifestants ont entonné ses chansons en 2011. En ouvrant les esprits autant que la musique, le « printemps égyptien » a permis non seulement l’émergence de nouveaux artistes, mais aussi de nouvelles esthétiques. Bien que sa naissance soit antérieure à la révolution, l’électro chaâbi (ou mahraganat, par ses paroles rebelles et sa nature sauvage, a pris un essor phénoménal au moment du Printemps arabe. Venant des bidonvilles de la capitale égyptienne, ce mélange nerveux et répétitif d’électro, rap et shaabi se danse dans des espaces de fête improvisés, dans les rues, sur les toits, tout en offrant un micro à la jeunesse pour s’exprimer. Un vrai porte-voix de la société dont les figures sont Islam Chipsy (pionnier et pro du synthétiseur), Oka & Ortega (devenus des stars), Mc Sadat ou Amr Haha (aux textes conscients). Le genre connaît mille variantes et sous-genres, chaque quartier du Caire possédant son propre style et ses sonorités. Mais l’électro chaâbi n’est que la partie visible de l’iceberg. Aux antipodes de l’électronique, on trouve dans le pays une scène électronique underground importante et très avant-gardiste. Ils s’appellent Kareem Lotfy, Zuli, Rami Abadir, Mostafa Onsy, Maryam Saleh, Maurice Louca ou Tamer Abu Ghazaleh et ils font mieux que survivre face à un gouvernement sévère, à la censure et l’absence de subventions ou de maisons de disques (ils sont d’ailleurs pratiquement tous signés sur des labels étrangers). De très beaux artistes dont l’écoute permet de prendre le pouls de la jeune création contemporaine.

L’électro chaâbi vient de la rue et… c’est encore sa meilleure scène. Pour en écouter, il n’y a qu’à tendre l’oreille. Sinon, un des meilleurs endroits en ville pour écouter de la musique reste le très dynamique Centre culturel El Sawy. Installé dans le quartier branché de Zamalek, l’endroit a réussi le pari d’être à la fois un lieu incontournable pour la jeunesse cairote et les musiques actuelles, tout en valorisant régulièrement la musique traditionnelle. Autrement, l’autre belle scène en ville, c’est le Cairo Jazz Club. Ne vous fiez à son nom, on y entend de tout – absolument tout –, et certains soirs, c’est même plutôt branché.

La danse et le théâtre

Les scènes de danse dans la peinture antique égyptienne le prouvent : elle est présente dans le pays depuis l’ère pharaonique. Aujourd’hui, cela dit, les conceptions du genre ont un peu changé. Lorsque l’on pense à la danse en Égypte, viennent rapidement en tête des images de danse orientale – autrement appelée « danse du ventre ». Si ces spectacles ont longtemps fait partie de l’image de marque du pays, le retour d’un certain puritanisme menace leur représentation. Sans compter que les danseuses égyptiennes sont concurrencées dans leur propre pays par des jeunes filles venues des pays de l’Europe de l’Est. Mais pour séduire le public égyptien, il ne suffit pas de maîtriser parfaitement ces mouvements du bassin et lancers de jambes. Dans la danse orientale, les expressions et jeux du regard sont aussi essentiels pour séduire et captiver les spectateurs. À ce jeu, les Égyptiennes ont une longueur d’avance, notamment grâce aux films de Samia Gamal ou Tahia Carioca qui ont bercé leur enfance. Une des voix les plus sonores défendant la danse orientale face au retour de l’austérité morale, est celle de Dina, danseuse célèbre et auteure d’un livre militant sur le sujet, Ma Liberté de Danser. Toujours active, on peut la voir au Haroun Al-Rashid Sémiramis Intercontinental, lieu unique au Caire où tous les amateurs de la sensualité́ des danses arabes seront comblés. D’un autre côté, les amoureux de danse classique ne sont pas abandonnés dans la capitale, loin de là. Le corps de ballet de l’Opéra du Caire est à l’image de l’institution dont il est membre : unique dans la région mais inégal dans ses prestations. Autrefois pourtant, il baignait dans une aura prestigieuse. Fondé en 1953, le corps de ballet de l’Opéra du Caire est à l’origine calqué sur le modèle du Bolchoï, des interprètes de ce dernier entraînant même les danseurs locaux. Mais au fil du temps, la qualité a décliné, bien que l’on assiste depuis quelque temps à sa renaissance. Aujourd’hui, on y va essentiellement pour voir les grands classiques du répertoire occidental. La danse moderne et contemporaine n’est pas en reste. Introduite doucement dans les années 1990, elle s’épanouit autour de la figure centrale de Karima Mansour. Formée essentiellement à la London School of Contemporary Dance, elle crée, à son retour au Caire en 1999, MA’AT, première compagnie de danse contemporaine établie en Égypte. Puis, en 2012, c’est aussi elle qui fonde et dirige le Cairo Contemporary Dance Center, la première école de danse contemporaine locale, cherchant à tisser un réseau de danseurs et chorégraphes dans le pays. Si l’on peut voir de la danse classique (fréquemment) comme contemporaine (plus rarement) à l’Opéra du Caire, deux événements intéressants ont lieu en Égypte : D-CAF, festival d’art contemporain multidisciplinaire (danse, théâtre, musique, arts visuels), pendant trois semaines chaque printemps, et le Festival international de danse contemporaine durant une dizaine de jours en mai, chaque année.

En parallèle d’une littérature nationale très riche, le théâtre égyptien connaît quelques belles plumes. On pense bien sûr à Andrée Chedid, célèbre en France, et ses pièces Bérénice d’Égypte ou Les Nombres, et à Adel Hakim qui a dirigé le Théâtre des Quartiers d’Ivry et a composé une œuvre lucide et humaine. Mais tout aussi importants sont Salah Abdel Sabour et Ahmed Chawqi, sommets de la dramaturgie poétique locale, Tawfiq al-Hakim et son immense œuvre sur l’Égypte et la nature humaine, ou Youssef Idriss, partisan d’un style théâtral national.

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