Les Turcs
Les Turcs sont les descendants de tribus d’Asie centrale qui ont migré vers l’ouest il y a plus de 1 000 ans. C’est pourquoi on retrouve des similitudes dans les cultures et les langues des différentes populations du Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Turkménistan, du Xinjiang à l’ouest de la Chine, d’Azerbaïdjan ou encore de Crimée. C’est lors de leurs déplacements vers l’ouest que ces tribus font la rencontre des Perses et de l’islam.
La présence des Turcs en Anatolie est le fait des Turcs seldjoukides qui fondent le premier empire turcophone au Moyen-Orient. Après leur victoire à la bataille de Malazgirt en 1071 contre l’Empire byzantin, l’Anatolie s’ouvre aux nomades turcs.
Quatre siècles plus tard, le 29 mai 1453, les Ottomans entrent à Constantinople victorieux. Et l’Anatolie devient l’Empire ottoman. Durant cette période, le pouvoir turc est énorme, il rayonne jusqu’au sud-est de l’Europe. Cinq siècles plus tard, en 1923, la République turque moderne est proclamée par Mustafa Kemal Atatürk après le démantèlement de l’Empire ottoman. Aujourd’hui, des traces de descendance turque subsistent en Bulgarie, en Grèce, à Chypre, en Ukraine, en Macédoine ou encore en Irak.
Le turc est une langue turcophone. Cette famille linguistique regroupe plus de 150 millions de locuteurs dans toute l’Eurasie.
Les Kurdes
Depuis des millénaires, les Kurdes habitent dans les montagnes frontalières de la Turquie, de l’Iran, de l’Irak et de la Syrie. Il n’y a pas de statistiques officielles et fiables sur l’importance numérique des Kurdes sur ces territoires, mais on estime à 15 à 20 % le poids de la minorité kurde sur le sol turc, soit une part considérable de la population totale de Turquie.
Les zones de peuplement kurde sont concentrées dans l’est et le sud-est de l’Anatolie, dans les districts de Sivas et de Marash, ainsi que dans les grandes villes turques telles qu’Istanbul, Izmir, Ankara, Adana et Mersin. Avec, selon les sources, de 3 à 10 millions de Kurdes à Istanbul, la mégalopole turque se positionne comme la première « ville kurde » au monde.
Les Kurdes se distinguent des Turcs par leur langue indo-européenne, originaire de la famille du persan, leurs traditions et leur culture. Ils ont d’ailleurs leur propre mythe fondateur, célébré lors du « Nevruz », le Nouvel An perse, le 21 mars. Les Kurdes sont majoritairement musulmans sunnites.
L’épineuse « question kurde ». Bien qu’ils vivent en Anatolie depuis des siècles, la question des Kurdes en Turquie est délicate. Les conflits entre les Kurdes et les Turcs sont anciens. Dans les années 1920, lors de la guerre pour l’indépendance, ils combattent ensemble.
À l’issue de la Première Guerre mondiale, le traité de Sèvres reconnaît aux Kurdes le droit de se constituer en nation indépendante. Mais arrive la révolution de Mustafa Kemal, et le traité n’est pas appliqué. Le traité de Lausanne qui lui succède en 1923 laisse de côté la promesse faite aux Kurdes. La création d’un Kurdistan n’a donc pas lieu et aucun droit particulier ne leur est reconnu. Atatürk au pouvoir, il décrète la République turque, un État unitaire dans la langue, la culture et l’identité, niant ainsi ouvertement l’existence culturelle des Kurdes. Ces « Turcs des montagnes » ont pour obligation de devenir d’« authentiques Turcs ». L’usage de leur langue et le port de leurs costumes traditionnels sont interdits. Les écoles kurdes jusque-là subventionnées par les associations religieuses sont elles aussi fermées. Cette politique stricte a pour conséquence des actes de rébellion violents dont le paroxysme est atteint en mars 1925, avec plusieurs centaines de milliers de morts et de déportés kurdes et des dizaines de villages détruits.
En 1978, Abdullah Öcalan fonde le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation politique kurde armée qui se révèle très vite être l’organisation kurde la plus structurée de la Turquie. Disposée à la violence, elle est considérée comme une organisation terroriste par Ankara et une large part de la communauté internationale, dont l’Australie, les États-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Union européenne et le Royaume-Uni. Tous les Kurdes n’adhèrent pas au mouvement, mais souhaitent que leurs droits à parler, enseigner, lire et diffuser leur langue soient respectés. En réaction aux revendications violentes du PKK, le gouvernement turc considère toute demande identitaire kurde comme une velléité séparatiste, sans distinction. De 1984 à 1998, le sud-est de la Turquie connaît des luttes violentes entre le PKK et les autorités turques. De nombreux villages kurdes sont ravagés dans les affrontements armés. Au début des années 1990, près de 40 000 personnes trouvent la mort. Parallèlement, des initiatives allant dans le sens d’un début de reconnaissance de l’identité culturelle kurde sont initiées, et la langue kurde est officiellement autorisée en 1991. En 1999, après 15 années de conflit, Abdullah Öcalan est capturé au Kenya et fait prisonnier à vie.
Dans les années qui suivent, l’attitude raisonnée des autorités turques pour un règlement politique du « fait kurde » permet la mise en place d’autres actions en ce sens. En 2002, l’état d’urgence est levé dans le Sud-Est, les députés autorisent la diffusion de programmes télévisés en langue kurde, et l’enseignement du kurde dans les écoles publiques. Le gouvernement s’engage dans une « ouverture kurde » en 2009 en abordant les racines politiques et sociales du problème. TRT6, la chaîne gouvernementale kurde lancée le 1er janvier de la même année, est reçue comme un pas supplémentaire vers une résolution positive de la question. Les négociations de paix menées entre le PKK et le gouvernement turc portent leurs fruits : le 21 mars 2013, Abdullah Öcalan, le chef historique du PKK emprisonné à vie, appelle tous les combattants du PKK à déposer les armes et demande à la guérilla de se retirer en dehors du sol turc. Une initiative de plus vers la paix. Mais, déjà, la présence islamique à ses frontières malmène le « processus de solution » récemment enclenché. À l’automne 2014, à la frontière turque, la ville syrienne de Kobané est prise d’assaut par les djihadistes. Le gouvernement d’Ankara décide de fermer sa frontière. Cet acte a pour conséquence d’empêcher les Kurdes d’Irak de prêter main-forte aux Kurdes de Syrie, en passant par le territoire turc. Des manifestations éclatent, aussitôt réprimées dans le sang par les autorités turques, entraînant des dizaines de morts. L’engrenage reprend quand des bombardements destinés à des camps djihadistes en Syrie foudroient dans le même temps des camps du PKK. Les exactions contre les forces armées turques reprennent, et le cycle de la violence aussi. Les espoirs de paix initiés peu de temps auparavant s’évaporent dans la fumée des tirs.
Ankara voit d’un mauvais œil le pouvoir kurde se renforcer à ses portes suite à la reprise de la ville de Kobané, le 19 juillet 2012, par les soldats des Unités de protection du peuple kurde (YPG), un pouvoir kurde allié du PKK. Bien sûr, les choses évoluent et les signes d’ouverture ont été engagés. Les élections présidentielles de 2014 et de 2018 ont même vu la candidature d’un homme politique kurde, Selahattin Demirtaş, emportant respectivement 10 % et 8,4 % des suffrages. Mais la « question kurde » est tributaire de la volonté du gouvernement et des logiques géopolitiques qui vont au-delà du seul territoire turc.
Les Arméniens
Les Arméniens vivent en Anatolie depuis très longtemps, ils sont originaires des montagnes du Caucase. Au IVe siècle av. J.-C., ils fondent un royaume autour du lac de Van. Mais son existence est éphémère. Ensuite, ils bâtissent d’autres royaumes à la frontière des grands empires (byzantin, abbasside, persan et ottoman), et mettent au point leur propre alphabet. Installés principalement dans les villes, on les compte aussi beaucoup dans les villages de l’ancien royaume d’Arménie, en Cilicie et dans la région du Hatay. Les Arméniens constituent la première nation à se convertir entièrement au christianisme. Ils forment la plus grande communauté chrétienne de Turquie. Les Hémichis, eux, sont des Arméniens convertis à l’islam sunnite. Les chiffres avancés faisant état de la communauté arménienne en Turquie oscillent entre 60 000 et 70 000 personnes.
Le « génocide » arménien. En 1915, le soir du 24 avril, environ 250 intellectuels arméniens sont arrêtés à Istanbul sur ordre de Talaat Pacha, le ministre de l’Intérieur de l’Empire ottoman. La population arménienne est déportée en masse dans des camps, vers la Syrie. L’ampleur des massacres des Arméniens dans l’est de la Turquie est sujette à controverse. Selon cette communauté, 1,5 million de personnes auraient péri pendant la marche forcée vers le désert. Les autorités turques, elles, contestent en opposant d’autres exactions perpétrées par les Arméniens sur la population turque au même moment. Encore aujourd’hui, et alors que 29 États reconnaissent le « génocide arménien », Ankara nie avoir suivi une idéologie d’extermination systématique et organisée dans cette tragédie, brandissant le « fait de guerre » à l’encontre de la communauté arménienne, coupable de trahison avec la Russie. Les Arméniens souhaitent que la Turquie reconnaisse le génocide, et réclament des compensations financières et territoriales. Pour la Turquie, c’est impensable. La situation est figée. Les règlements de compte et les rancœurs demeurent. En 2014 pourtant, le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, a présenté ses condoléances aux Arméniens. L’État turc a également restitué des biens à des fondations arméniennes.
Les juifs
Les juifs sont présents depuis plus de 2 000 ans sur les terres anatoliennes. Au moment de la Reconquista en 1492, ils sont chassés ou fuient l’Inquisition espagnole, et trouvent refuge au sein de l’Empire ottoman. Aujourd’hui, la présence juive en Turquie est majoritairement concentrée à Istanbul où certains ont préservé l’usage de la langue judéo-ibérique, le ladino. La communauté compte quelque 15 000 personnes. Face à la montée du nationalisme et de l’antisémitisme de ces dernières années, de plus en plus d'entre elles souhaitent devenir des citoyens israéliens, espagnols ou portugais.
Les Grecs
Après les Arméniens, ils composent l’autre grande communauté chrétienne du pays. Au temps de l’Empire ottoman, la population hellénique était importante. Puis, les échanges de populations de 1923, et de 1955 à 1980, entre la Grèce et la Turquie, ont considérablement diminué le nombre de Grecs sur le territoire turc. Aujourd’hui, la communauté est très réduite et vit principalement dans la ville d’Istanbul.
Depuis le traité de Lausanne de 1923, les Grecs orthodoxes de nationalité turque ont un statut particulier. Basé sur l’organisation ottomane des « millet », ils conservent leurs particularités culturelles propres : leur patriarcat, leur langue reconnue par l’État turc, leur religion et leurs écoles. La communauté orthodoxe est appelée « rum » (« nation romaine »), sans considération de l’appartenance ethnique de ses membres.
Les autres communautés
Les Lazes sont une ethnie géorgienne de confession musulmane. De nombreux membres de cette communauté vivent dans les montagnes à proximité de Trabzon.
Au sud-est du pays subsistent quelques petites minorités chrétiennes appartenant à l’Église catholique chaldéenne à Diyarbakır, ou dépendant de l’Église syriaque orthodoxe à Midyat.
Istanbul concentre également de nombreuses autres minorités. Les Bosniaques, Macédoniens, Croates, Serbes, Albanais, mais aussi les Bulgares musulmans ont trouvé refuge dans la mégalopole turque. On y trouve par ailleurs une communauté soudanaise, musulmans turcophones descendants des anciens esclaves venus du Soudan ou de Nubie. La communauté des gitans, enfin, est importante. Sédentarisés depuis des siècles à Istanbul, ils habitent les grands quartiers de Sultanhamet, Kasımpaşa ou Ayvansaray. Ils parlent une large variété de langues : grec, kurde, roumain, arménien, bulgare, et bien sûr la langue ancestrale rom. Beaucoup sont musulmans, les autres sont chrétiens.