La musique traditionnelle
Les premiers musiciens professionnels apparaissent à la cour de Kiev au IXe siècle. Ces skomoroki se distinguent par l’originalité des instruments qu’ils utilisent : le rozhok, instrument à vent, le gusli, à cordes pincées et la volinka, sorte de cornemuse. La conversion de la Russie à l’orthodoxie, qui ne tolère que le chant et considère tous les musiciens comme profanes, va conditionner l’histoire de la musique russe pour plusieurs décennies. Seul le carillon ne fut pas prohibé, et l’on comprend pourquoi les Russes sont passés maîtres dans l’exercice de cet instrument.
Ainsi, bien que les musiques traditionnelles varient selon les régions, elles ont souvent pour tronc commun d’être purement vocales (avec des exceptions ici et là). Sur tout le territoire, on trouve des polyphonies mnogogolossié (« plusieurs voix »), des byliny ou des tchastouchka (poèmes chantés). Plus localement, en Sibérie, les Touvains, peuple de l’Altaï, pratiquent des chants de gorge typiques de la musique mongole comme le khöömei. Ce chant diphonique basé sur un « bourdon » (ou « drone ») produit par le larynx était autrefois un outil essentiel des cérémonies chamaniques. Il est aujourd’hui très courant durant les célébrations de tous genres et s’accompagne désormais d’instruments : le khomus (une guimbarde), le byzaanchy et le morin khuur (des vièles typiques). Le style est inscrit au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco depuis 2009 et jouit de quelques stars. Si le grand maître du khöömei et de la musique touvaine demeure Kongar-ool Ondar, les grands noms actuels sont Huun-Huur-Tu – une référence absolue à écouter, ils tournent souvent en France – et l’Ensemble Alash. On retrouve aussi l’association de chants diphoniques au morin khuur dans la musique du peuple Bouriate (la minorité ethnique la plus importante en Sibérie) avec généralement l’ajout de chanza, un instrument à cordes pincées. Namgar est sans doute le meilleur groupe du genre à écouter pour en découvrir toute sa beauté.
Dans l’ensemble, les musiques traditionnelles et folkloriques ont très bien été préservées au travers des âges et particulièrement valorisées durant l’ère soviétique, car symbole de l’identité russe. Pilier de la culture locale, la musique traditionnelle apparaît régulièrement en Sibérie lors d’événements divers ou de fêtes religieuses comme Naadyme pour les Touvains, Chyl Pazy et Tunpairam (fêtes khakasses) ou Sourkharban (chez les Bouriates). Il est bon de noter aussi qu’à Iakoutsk, célèbre pour être « la ville la plus froide du monde », on peut se réchauffer lors de spectacles d’inspiration locale comprenant danses, chants et instruments traditionnels au Théâtre d’Opéra et de Ballet.
La musique des peuples autochtones
Sur sa gigantesque superficie (plus de fois vingt fois supérieure à celle de la France), la Sibérie abrite plus d’un million et demie d’autochtones. Ils sont les Aléoutes, les Tchouktches, les Chouvanes, les Khanty, les Orok, les Teleoute ou les Yukagir (pour ne citer qu’eux), des « petits peuples du Nord » cultivant des formes d’expressions musicales singulières dont le chamanisme (ou la communication avec les esprits) est la colonne vertébrale. Un monde à part, fait de chants solitaires comme collectifs, masculins comme féminins, où sont exprimées louanges et lamentations, contées des berceuses ou psalmodiés des rituels (comme celui visant à empêcher le suicide des jeunes chez les Nganassane). Si certains sont a capella, d’autres s’accompagnent d’instruments comme l’incontournable khomus, le khendir (tambour), le komurgaï (flûte), les zja zjaj (tambours), le sangkyl’tap (cithare) ou de la taryg (harpe). La musique autochtone sibérienne est très bien documentée dans Les Esprits écoutent, coffret de 11 CD (édité chez Buda Musique) où l’on retrouve le travail de collectage in situ de l’ethnomusicologue Henri Lecomte.
La musique classique
Immense, et d’une richesse qui n’a d’égale que sa beauté, il faut une vie entière pour embrasser pleinement la musique classique russe. Peuplée de grands esprits et d’œuvres bouleversantes, la musique symphonique du pays a offert au monde la splendeur du romantisme russe de Piotr Tchaïkovski, la virtuosité de Rachmaninov, l’éternel avant-gardisme d’Igor Stravinsky, le magnifique tourment de Dmitri Chostakovitch, la modernité classique de Prokofiev ou encore, chez nos contemporains, la passion et l’intensité du chef d’orchestre Valery Guerguiev. En somme, la musique classique serait bien terne sans la Russie.
Et si l’on zoome sur la Sibérie, on s’aperçoit que la région est un vivier de talents à la mesure de son gigantisme. On y trouve de grandes voix comme Kozine Vadim (1903-1996) célèbre ténor russe, très populaire dans les années 1930 ou Dmitri Hvorostovsky, baryton adoré des mélomanes pour la beauté de son timbre et sa présence scénique. Ce dernier disparaît en 2017 à l’âge de 55 ans. Enfants de Sibérie toujours, n’oublions pas Denissov Edisson (1929-1996) et Kirill Petrenko. Le premier, mathématicien de formation est découvert par Chostakovitch puis mis en scène pour la première fois en 1986 par Pierre Boulez à Paris avec son opéra L’Écume des jours. Il demeure l’un des auteurs classiques russes de la musique contemporaine. Le second est tout simplement le chef russe le plus prometteur, en dirigeant à son jeune âge l’Orchestre philharmonique de Berlin.
Les scènes classiques
L’autre témoignage de l’impérissable qualité musicale en Russie est incontestablement le niveau d’excellence globale de ses scènes. Outre les inénarrables Bolchoï et Théâtre Mariinsky, en Sibérie on trouve aussi des lieux fabuleux. À commencer par l’épatant Opéra de Perm, en train de devenir la star montante des théâtres de province. Comment ? En 2010, il a débauché l’audacieux et iconoclaste chef d’orchestre grec Theodor Currentzis, l’ancien directeur de l’Opéra de Novossibirsk. Une opération judicieuse qui fait exploser la renommée du lieu dans le monde entier. Autre endroit remarquable : la grande salle de concert de Krasnoïarsk. Dans le centre historique de la ville, sur les bords du Ienisseï, ce bâtiment moderne des années 1970 abrite le Siberian State Symphony Orchestra, ensemble d’un très bon niveau dirigé par le russo-américain Vladimir Lande. Souvent un synonyme de bonnes surprises. Autrement, toutes les grandes villes de province proposent une scène et un ensemble de qualité comme l’Orchestre Philharmonique d’Iekaterinbourg (pièce centrale de la vie musicale de la région) ou le Théâtre Philharmonique de Novossibirsk, autrefois dirigé par Arnold Kats grand nom de Sibérie. Citons aussi les Philharmonies d’Irkoutsk, de Vladivostok, de Tioumen ou de l’île de Sakhaline qui, dans l’ensemble, méritent chacune que l’on feuillette leur programmation.
Le rock russe
De Victor Tsoï, icône soviétique à l’hyper populaire Lyube – dont Vladimir Poutine est le premier fan –, les Russes adorent le rock. Et par conséquent en produisent beaucoup. Si l’Histoire du genre dans le pays remonte à la perestroïka avec le rock psychédélique de Iouri Morozov dans les années 1960, c’est durant les années 1980 que la scène explose avec les fameux Machina Vremeni, Nautilus Pompilius, DDT, Akvarium et surtout les mythiques Kino. Légende absolue du rock russe, emmené par son iconique leader Viktor Tsoï, le groupe Kino et sa new wave sombre et douce demeurent toujours aussi populaire parmi les enfants des années 2000 et l’on ressent leur influence sur des cartons récents du rock comme Motorama ou Pinkshinyultrablast.
Vu le succès du genre dans le pays, la Sibérie dispose sans surprise de nombreux lieux pour en écouter. Parmi les plus remarquables, Rock-City est l’une des boîtes les plus populaires de Novossibirsk grâce à son ambiance toujours endiablée, The Rocks Bar à Irkoutsk, qui accueille de bons groupes locaux ou le Mumiy Troll Music Bar de Vladivostok, nommé d’après le célèbre groupe de rock Mumiy Troll et doté de nombreux concerts.
La danse
Éluder la danse en Russie, c’est un peu visiter le pays en oubliant un de ses monuments principaux. Si le pays regorge de danses traditionnelles – le Khorovod ou la Troïka en sont de beaux exemples –, il brille depuis des générations par son excellence dans le domaine de la danse classique. Une excellence incarnée par le grand nom sibérien du ballet : Rudolf Noureev. Étoiles parmi les étoiles aux côtés de Plissetskaïa et Baryshnikov, Noureev a bouleversé les codes et formes classiques de la danse. Né à Irkoutsk en 1938, il est formé au très prestigieux ballet du Kirov de Leningrad. Très tôt sa présence et son charisme fascinent le public du monde entier, à commencer par celui de Paris où il est invité à se produire régulièrement. Indomptable, Noureev a secoué le monde très codifié de la danse classique avec ses coups de génie ou de colère, infusant une profondeur psychologique inédite dans les personnages qu’il interprète et refusant de se soumettre aux traditions du genre.
Si la danse classique russe évoque irrémédiablement les images du Bolchoï ou de Mariinsky, les deux lieux n’ont pas le monopole du genre dans le pays. Loin de là. On peut voir de belles représentations sur les scènes de Sibérie comme celle de l’Opéra de Perm, considérée comme la troisième capitale de ballet après Moscou et Saint-Pétersbourg et dont le festival de Diaghilev est un incontournable. Un programme aussi chargé que prestigieux. D’un excellent niveau également, le Théâtre Mariinsky de Primorié, cousin du fameux Mariinsky de Saint-Pétersbourg, accueille des corps de ballet remarquables et le Théâtre d’Opéra et de Ballet de Novossibirsk est doté d’une très bonne troupe et de l’équipement technique le plus haut de gamme du pays.