Débuts et Première Guerre mondiale
C’est à Saint-Pétersbourg, le 4 mai 1896, qu’a lieu pour la première fois en Russie, une séance de cinéma (soit six mois après la première projection parisienne). En 1908, Alexandre Drankov signe Stenka Razine, que l’on peut considérer comme le premier film russe et qui nous parle d’un sujet national : les exploits légendaires du plus farouche des Cosaques qui donne son nom au film. Pendant les premières années d’existence du cinéma, en Russie comme ailleurs, le milieu littéraire se montre fermé au monde du 7e art, à deux exceptions près : Léon Tolstoï et Maxime Gorki. À partir de 1912, les industriels du film demandent aux plumes nationales d’écrire des scénarios originaux ou adaptations d’œuvres littéraires classiques et brisent ainsi le mur d’hostilité entre les deux arts. En 1913, Yacov Protazanov fait ses débuts et réalise Les Clés du bonheur (1913). Protazanov devient par la suite le plus célèbre réalisateur d’avant la Révolution. À la veille de la Première Guerre mondiale, la production locale est encore médiocre, mais une réelle réflexion sur le 7e art prend forme. Paradoxalement, la Première Guerre mondiale a pour conséquence, en Russie, de renforcer les productions nationales. De 1914 à 1917, on compte de nombreuses adaptations littéraires : Guerre et Paix de Tolstoï adapté par Vladimir Gardine et Yakov Protozanov, Les Possédés de Dostoievsky ou encore La Dame de pique de Pouchkine adaptés par le même Protazanov. Au lendemain de la Révolution, d’autres priorités que le développement du cinéma russe retiennent les autorités. La censure politique disparaît (elle reviendra rapidement) pour devenir économique. Les films réalisés dans les premières heures de la Russie soviétique tressent des couronnes de louange à la Révolution ou vilipendent l’ancien régime. Un immense mouvement naît dans l’enthousiasme, animé par des artistes de talent et obsédés par l’idée de mettre au service d’une société nouvelle un art tout aussi nouveau. Citons deux personnalités marquantes de cette période : Maïakovski dont trois scénarios sont portés à l’écran en 1918 et Édouard Tissé, futur chef opérateur d’Eisenstein, qui filme le premier anniversaire de la Révolution et est responsable du cinéma dans le premier agit-train (des trains de propagande qui sillonnaient le pays, bardés de banderoles et de slogans révolutionnaires, et organisaient discours et spectacles à chaque halte).
FEKS, grève et cinéma parlant
L’année 1924 amène plusieurs œuvres qui participent à donner au cinéma soviétique une réputation mondiale, ainsi que l’image d’un cinéma révolutionnaire. La FEKS (Fabrique de l’acteur excentrique, collectif de jeunes artistes voulant anéantir l’art bourgeois) est créée et la théorie de kinoglaz ou ciné-œil, de Dziga Vertov (ancien monteur de Tissé), donne naissance à un nouveau genre : le « cinéma-vérité ». Vertov tourne L’Homme à la caméra, mais le premier grand film, proprement révolutionnaire, dans ses innovations techniques et narratives, est La Grève d’Eisenstein. En 1926, Le Cuirassé Potemkine, d’Eisenstein, connaît un succès international, augmenté encore par son interdiction dans de nombreux pays, dont la France. La première moitié des années 1930, qui correspond au premier plan quinquennal (1929-1934), amène la fin du cinéma muet ainsi que celle de l’avant-garde. Maïakovski se suicide, Eisenstein part au Mexique, et le « réalisme socialiste » cadre officiellement les élans artistiques à partir de 1934, date du premier Congrès des écrivains durant lequel Gorki et d’autres manifestent l’adhésion du milieu littéraire à la politique du parti. Si cette période d’instrumentalisation de l’art est catastrophique pour la littérature et les arts plastiques, elle n’appauvrit pas complètement le cinéma. Certains films comme Tchapaev (de Sergueï et Gueorgui Vassiliev, 1934) et Les Joyeux Garçons, maintiennent la réputation internationale du cinéma soviétique. Le pouvoir stalinien trouve dans le cinéma un outil de propagande, mais les gardiens de la doctrine redoutent aussi cet espace de liberté qu’est le cinéma. Un genre incongru voit le jour au moment même où Staline purge le pays de ses éléments les plus séditieux : la comédie musicale. Lourde, interminable et mensongère, elle met en scène les joies de la vie à la campagne et emprunte à Hollywood ses artifices les plus pompiers. Muselés et persécutés, les cinéastes ont une marge de manœuvre ridicule, mais pas nulle. L’industrie cinématographique est dynamique, et certains films – n’ayant rien pour choquer les cerbères de la censure – sont de grandes œuvres.
Khroutchev, Tarkovski et libéralisation
Avec la mort de Staline en 1953 et l’arrivée de Khrouchtchev au pouvoir, l’atmosphère se détend. Kalatozov, longtemps brimé, sort Quand passent les cigognes (1957) qui ouvre la voie à la Nouvelle Vague française. C’est à cette période que des cinéastes majeurs font leur début, le plus célèbre d’entre eux étant Andreï Tarkovski. Tarkovski réalise son premier film, L’Enfance d’Ivan, accueilli en 1962 comme un tournant dans l’histoire du cinéma russe. Cinéaste incontournable qui s’exilera en France, il réalise en 1966 Andreï Roublev, qui retrace la vie et les combats spirituels du célèbre peintre d’icônes. Avec Solaris, en 1972, contrepoint soviétique de L’Odyssée de l’espace de Kubrick, Tarkovski ne s’occupe pas vraiment de science-fiction, mais bien plus d’une réflexion sur la connaissance de soi. Stalker (1979) est un des films les plus puissants du réalisateur. Au cours d’une longue promenade philosophique, le Stalker est celui qui tente de rallumer l’étincelle divine de l’homme et croit pouvoir faire son bonheur malgré lui. Le cinéma soviétique ne produit que des œuvres pour cinéphiles avertis. Les années 1970 regorgent de comédies et de drames prenant pour cadre le quotidien des Soviétiques et s’attachant à leurs sentiments. Dès les premières heures de la perestroïka, le cinéma est traversé par un vent de libéralisation et connaît un élargissement de son spectre. En 1990, Pavel Lounguine marque les esprits avec Taxi Blues, racontant la rencontre d’un chauffeur de taxi taciturne avec une future star du rock, alcoolique et turbulente. Une autre figure importante du cinéma russe est Sokourov, dont le formalisme rigoureux et la recherche esthétique déroutent ou enchantent. Son œuvre L’Arche russe (2002), réalisée en une seule prise, retrace l’histoire et les questionnements de la Russie. Les années 1990 amènent également des films étrangers qui envahissent les affiches et les productions locales à gros budget tentent de les imiter. C’est le cas des trois films de la série Brat (« Frère ») qui connaissent un succès phénoménal.
De nos jours
Ces dernières années, le jeune cinéma d’auteur est en plein renouveau, et commence à largement dépasser les frontières de la Russie. En témoignent les succès du Retour (2003), de Zviaguintsev, une œuvre poétique sur l’attente d’un père et l’apprentissage de l’âge adulte qui a obtenu le Lion d’or à Venise ; de Baboussia (2004) de Lidiya Bobrova qui relate le périple d’une grand-mère partie à travers la Russie à la rencontre de sa famille ; ou plus récemment de Soldat de papier (2008) d’Alexis Guerman Junior dans lequel le récit de la préparation de cosmonautes envoyés dans l’espace par l’URSS cache une critique du pouvoir soviétique. Ce dernier a obtenu le Lion d’or de la meilleure réalisation à la Mostra de Venise en 2008. Si les spectateurs russes s’intéressent plus qu’avant aux productions nationales, c’est notamment grâce à des blockbusters comme Stalingrad (2013) qui a déjà rapporté 1,7 milliard de roubles (37 millions d’euros) ou la comédie Gorko ! (2013), sorte de Bienvenue chez les ch’tis qui se déroule lors d’un mariage provincial. La surprise de l’année 2013 est sans doute Le géographe a bu son globe d’Alexander Veledinsky, racontant l’histoire d’un jeune biologiste qui accepte un poste de géographe dans une école secondaire de Perm, car il a besoin d’argent. En 2014, Zviaguintsev sort son quatrième film, Léviathan, encore primé à Cannes, cette fois-ci par le prix du meilleur scénario. Grâce au film Paradis (2016), histoire d’une femme russe dans un camp nazi pendant la guerre, Andreï Kontchalovski remporte le Lion d’argent pour son travail de réalisateur à Venise.
Au petit écran
Si la Russie peut se vanter d’avoir un cinéma très riche, elle peut aussi acclamer les programmes présents sur son petit écran. Ces dernières années, ce sont bon nombre de séries qui foisonnent à la télévision. En 2000, sort la série La Frontière : Roman de Taïga, dont l’intrigue se passe en Extrême-Orient russe, à la frontière chinoise. Située dans les années 1970, cette série nous raconte l’histoire d’amour entre une infirmière et un jeune lieutenant. Seul problème, la jeune demoiselle ne peut quitter son mari sévère. Cette série marque les esprits par son actrice principale, Rinata Litvinova ainsi que par la bande-son signée Lioubè (groupe de rock soviétique). En 2002, la Russie nous offre les séries La Brigade et Taïga : Cours de Survie. La première se déroulant à Moscou nous relate l’histoire de quatre jeunes découvrant le monde de la délinquance et de la criminalité, tandis que la deuxième, grande sœur de la série américaine Lost, nous parle d’un crash d’avion dans la Taïga. Le Dégel, série sortie en 2016, nous replonge dans la période de rêve de la Russie, les années 1960, où un chef opérateur soupçonné par le KGB, après le suicide d’un de ses amis scénaristes, doit fourvoyer son talent en participant au tournage d’une « comédie kolkhozienne » afin de pouvoir réaliser un film plus personnel. Citons également La Méthode (2015) ainsi que Les Endormis (2017). Cette série d’espionnage fait scandale dans toute la Russie, car trop décomplexée, trop non politiquement correcte, à l’image des séries américaines. La célèbre série américaine Tchernobyl, qui relate l’explosion de la centrale nucléaire, fait également polémique en Russie. Jugée mensongère en ce qui concerne le rôle déplorable des autorités soviétiques de l’époque, la Russie décide en 2019, de préparer sa propre série sur le sujet, qui prétendra qu’un espion de la CIA était présent sur les lieux de Tchernobyl. Affaire à suivre…