Émergence d’une identité artistique
Avant 1918, la volonté de constituer une identité commune sa manifeste déjà dans les expositions d’artistes serbes, croates et slovènes. Plus tard, sous le royaume de Yougoslavie, le pouvoir politique affiche son désir d’encourager un art yougoslave. Cet élan est personnifié par l’artiste Ivan Meštrović qui fait appel à la tradition historique et aux formes médiévales comme dans son œuvre Cycle du Kosovo. Le modernisme socialiste yougoslave s'engage dans différentes voies, explorant de nouvelles formes d'expression. Les écoles avant-gardistes de Paris, Munich et Vienne marquent ces parcours. On ne voit pas pour autant se dessiner de courant proprement yougoslave, ni de réelle identité. Cependant, on désigne par modernisme socialiste ce pont qui s’établit entre l’art yougoslave et l’art occidental.
Sous Tito, l’évolution se démarque de celle des autres pays de l’Est, sans doute parce que voyager reste possible. Cette ouverture permet à la jeune génération de s’organiser à Ljubljana, Belgrade ou Zagreb puis, à la fin des années 1960, du côté de Paris ou Berlin. Rexhep Goçi, né en 1947 à Molliq, choisit d’étudier l’art figuratif à Pristina puis à Bruxelles. De retour dans son pays, il devient enseignant en art et préside l'Association des artistes d’arts appliqués de Pristina. La question ethnique domine son œuvre picturale. Il signe des essais et des critiques, la plupart des écrits fondateurs de l’histoire de l’art du Kosovo.
Formé à Belgrade puis à Ljubljana, Agim Çavdarbasha (1944-1999) a exercé une influence déterminante sur l’art kosovar. Ce sculpteur albanais installe son atelier à Čaglavica. Malheureusement, son atelier est brûlé comme tant d’autres durant les conflits de 2004. Ses sculptures sont jetées à l’eau par les autorités. Reconstruit, l’atelier abrite le musée atelier Agim Çavdarbasha, rouvert depuis peu. Parmi ses réalisations, les bronzes du propriétaire terrien Ymer Prizreni et du député Abdyl Frashëri, tous deux sauvés des eaux, sont présentés au musée de la Ligue de Prizren. Ce musée à vocation historique expose quelques photographies et peintures à l’étage.
Postmodernisme
Malgré ses rigueurs, le contexte politique sous Tito permet l’affirmation de démarches radicales. Certaines approches restent toutefois prohibées, notamment ce qui critiquait le régime et portait atteinte aux valeurs fondamentales, la fraternité et l'unité. Les artistes yougoslaves qui préfèrent s’autocensurer se tournent vers des genres plus symboliques, s'inscrivant très tôt dans une volonté postmoderniste.
Art abstrait, art informel, art minimaliste, pop-art et hyperréalisme se développent par l’intermédiaire des artistes locaux qui fréquentent les principaux centres d'art à l'étranger. C'est ainsi que dans les années 1970-1980, Belgrade, Zagreb, Ljubljana ou Sarajevo s’imposent comme des épicentres de l'art conceptuel.
Goran Đorđević, artiste serbe du Kosovo né en 1950, occupe une place de choix dans l'avant-garde. Sa carrière connaît un tournant quand il intègre la SKC Gallery, un collectif de Belgrade. Il délaisse peu à peu l’aspect créatif sans cesser de graviter dans le milieu de l’art contemporain.
Ce sont davantage des personnalités isolées que des mouvements qui participent à l’essor de la culture kosovare.
Muslim Mulliqi
Figure de proue de la peinture kosovare, Muslim Mulliqi (1934-1998) produit des œuvres impressionnistes puis expressionnistes. À l’initiative de l’Académie des sciences et des arts du Kosovo, il poursuivit une carrière d’enseignant en parallèle de ses expositions. Sa peinture aux couleurs franches s’inspire de la littérature kosovare des années 1950-1960, mais aussi de la symbolique de résistance qu'il voyait dans les kullas (maisons en pierre fortifiées) de la plaine de Dukagjini. Une approche semblable est adoptée par ses contemporains, parmi lesquels Agim Çavdarbasha et Simon Shiroka.
L’importance de Muslim Mulliqi est telle qu’un prix d’art contemporain porte désormais son nom. Tous les ans, la Muslim Mulliqi Prize Exhibition récompense un artiste kosovar ou international. Certains artistes réalisent une œuvre spécifiquement pour l’événement qui se tient à l’incontournable Galerie nationale d’art. Le lieu ambitionne d’attirer un large public en valorisant des œuvres belles, mais aussi porteuses d’un message social ou politique. Fondée en 1979, l’institution a profité de l’énergie de l’après-guerre. Sa collection, riche d’un millier d’œuvres, couvre tous les courants de l’avant-garde, des années 1960 à nos jours. La plupart des artistes contemporains ont parfait leurs techniques à la faculté des arts de l’université de Pristina. Cette faculté, ouverte dans les années 1970, associée à la création de la Galerie nationale, confère une plus grande autonomie aux artistes kosovars, jusqu’alors contraints de se tourner vers les centres artistiques de l'ex-Yougoslavie.
Années 1990
Lorsque le Kosovo perd son autonomie, la création culturelle continue d'exister dans des organisations parallèles, contribuant à combattre la répression. Les supports moins académiques comme la vidéo, le montage photo, la mise en scène sonore, visuelle ou tactile se multiplient, quitte à heurter la sensibilité du public.
Sokol Beqiri est le premier artiste à avoir organisé une exposition basée sur ces nouveaux concepts. Né en 1964 à Peja, Sokol Beqiri appartient à la première génération d’artistes qui se sont radicalement écartés de l’académisme enraciné dans le modernisme socialiste yougoslave. Aux environs de 1995, Beqiri combine installations, performances et vidéos pour créer un langage à même d’exprimer sa rébellion face à l’oppression des Albanais du Kosovo par le gouvernement serbe. En 1997, il participe à la célèbre exposition « Përtej-Beyond » (« Au-delà ») qui s’est tenue à Belgrade. Cette exposition l’établit en tant qu’artiste provocateur et politiquement engagé. Il décide de mettre un terme à sa carrière en 2006, déclaration immortalisée dans la vidéo « Everything You Always Wanted to Know About Art That You Are Afraid to Ask » (« tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’art sans jamais oser le demander ») dans laquelle il enflamme son propre pet. Pour lui, l’artiste n’a plus d’autre mission que d’annihiler l’art.
Il sera suivi dans cette voie par d'autres artistes tels qu'Erzen Shkololli ou Albert Heta.
L'exposition « Pertej-Beyond », montée à Belgrade en 1997, fait polémique. Elle marque un tournant : dès lors, les artistes conceptuels kosovars sont conviés à des expositions internationales de grande ampleur. En parallèle, la fin de la guerre en 1999 favorise l’essor d’une nouvelle générations d’artistes.À l'heure actuelle
L'organisation de concours tels qu'Artists of Tomorrow ou le prix international Muslim Mulliqi constituent un tremplin inestimable pour l’art vivant. Le nombre limité d'infrastructures reste un frein à la création, même s’il faut saluer plusieurs initiatives. Pour cette raison, la jeune génération vit et exerce entre plusieurs pays.
L’inclassable Flaka Haliti, née en 1980 à Pristina, vit entre sa ville natale et Munich. Elle a représenté le Kosovo à la Biennale de Venise de 2015. Dans la lignée de ses créations antérieures, elle a pour l’occasion présenté une installation composée d’objets du quotidien, de sculptures et de techniques diverses. Ses installations invitent à s’interroger sur des sujets politiques, mais aussi sur la question du genre et plus largement de l’identité. Entre abstraction et figuration, l’œuvre d’Haliti ne laisse pas indifférent.
Petrit Halijaj travaille entre le Kosovo, l’Allemagne et l’Italie. Il puise son inspiration dans son enfance et produit une œuvre indissociable de l’histoire kosovare, racontée à travers ses souvenirs entremêlés de documents. Détaché de tout pathos, l’artiste propose un regard optimiste. Comme Haliti, il aborde les thèmes de l’identité et de la nation. Signalons qu’il est entré dans la collection Pinault du Palazzo Grassi de Venise.
Cependant, des lieux comme Stacion – Centre d’art contemporain ouvert en 2006 à Pristina donnent la parole à un art interdisciplinaire. Centre d’exposition et de formation, Stacion occupe une place cruciale sur la scène artistique. Depuis 2013, la Galeria Qahili soutient la création en offrant un lieu d’exposition, de rencontres, ainsi qu’une résidence d’artistes. Fruit du crowdfunding, la Galeria 17 offre un soutien indéfectible aux artistes les plus novateurs. Le parcours idéal pour prendre le pouls de la création kosovare !
Newborn et art des rues
L’art mural était déjà pratiqué à Pristina avant la guerre, à la fois pour égayer les quartiers moroses et pour transmettre des messages politiques. La création du Mural Fest Kosovo, soutenue par la municipalité, donne la parole au Street Art. Parmi les interventions les plus notoires, on peut admirer un Monsieur Chat, ce gros chat jaune qui fait le tour du monde depuis 1997. Des interprétations du Baiser de Gustav Klimt, du Cri de Munch et du Buste de femme de Pablo Picasso décorent la ville. Elles ont été réalisées par Murati et Hetemi, en collaboration avec de jeunes peintres.
Symbole de la naissance du Kosovo, le monument « Newborn » a été révélé le jour de la déclaration de l’indépendance (le 17 février 2008). Les sept lettres qui le composent aiment revêtir de nouveaux habits. Au fil des années, elles sont fréquemment relookées. Juste en face du monument « Newborn », la sculpture Heroines a été fabriqué à partir de médailles militaires pour rendre hommage aux femmes victimes des conflits.
Envie d’une halte arty ? L’espace Paletë (rue Egnatia) résulte de la fusion des ateliers de deux artistes et amis d’enfance, Mentor Avdili et Shpetim Mehmeti. Palette associe un café, une galerie d’art, une bibliothèque et un lieu de création dans une ambiance chaleureuse. De 10h du matin à 10h du soir, les artistes accueillent, servent le thé et créent. Et ils inspirent… Ulpianë se transforme doucement mais sûrement en quartier artistique.