Découvrez Taïwan : Les aborigènes

Si les autochtones ont occupé Taïwan à partir du IIIe millénaire av. J.-C., ils ne représentent plus que 2 % de la population actuelle. Repoussés dans les montagnes centrales par les différentes vagues de colonisation à partir du XVIe siècle, les aborigènes ont longtemps lutté contre les différents pouvoirs étrangers. Depuis le XIXe siècle, les différents gouvernements, que ce soient les immigrés Hans, les colons japonais ou l'administration du Kouomintang (KMT), ont cherché à assimiler culturellement ces tribus. Résultat, leur identité ethnique est menacée d'extinction. Bien qu'à l'origine du second groupe linguistique au monde (les langues austronésiennes), leurs langues, dites formosanes, sont aujourd'hui en voie de disparition. Mais depuis la démocratisation du pays, les aborigènes taïwanais tentent tant bien que mal de faire préserver leur culture.

Les premiers peuplements

Les archéologues estiment que le premier peuplement de Taïwan remonte à au moins 20 000 ans av. J.-C., grâce à la découverte du squelette de « l'homme de Zuozhen ». Le détroit de Formose était alors asséché, ce qui a pu permettre la colonisation de l'île dès la fin du Pléistocène. De ces hommes préhistoriques, les historiens n'ont qu'un savoir limité, puisque les premiers fossiles et outils retrouvés dans des grottes au sud de l'île remontent à 15 000 ans av. J.-C. En 2014, une analyse génétique d'un squelette vieux de 8 000 ans retrouvé à Taïwan validerait l'archipel comme origine des langues austronésiennes, parlées de Madagascar à l'île de Pâques. Des filiations génétiques permettent donc de retracer les migrations des peuples austronésiens. Ils auraient quitté le Fujian chinois à la fin de la dernière grande glaciation pour coloniser Taïwan. Au cours des millénaires suivants, l'île se serait retrouvée isolée du continent à cause de la montée des eaux. Les habitants ont donc été forcés de maîtriser rapidement l'art de la navigation, ce qui a pu entraîner des migrations vers les différentes îles du Pacifique et de l'océan Indien à partir du VIe millénaire. Bien que cette hypothèse soit aujourd'hui admise par un grand nombre de linguistes, de généticiens et d'historiens, l'absence presque totale de sources archéologiques laisse planer de nombreux doutes. Il faut attendre le IVe millénaire pour enfin trouver des vestiges archéologiques permettant de définir le cadre culturel et sociétal des premiers aborigènes de l'île. Nommée d'après un site de fouille découvert près de Taipei, la culture Dapenkeng est apparue brutalement entre -4000 et -3000 av. J.-C. Cette population, parlant une langue austronésienne et probablement originaire du sud-est de la Chine, maîtrisait l'agriculture et l'élevage, ainsi que des techniques de poterie élémentaire, dont on retrouvera des exemples aux Philippines, validant un peu plus l'hypothèse de Taïwan comme point de départ des migrations austronésiennes dans le Pacifique.

La culture Dapenkeng

En 2500 av. J.-C., la culture Dapenkeng s'est répandue du nord au sud de l'île, en laissant de nombreuses traces historiques, comme leurs monolithes, signes d'une vie religieuse particulière. De nombreux éléments laissent à penser que ces premiers habitants de Taïwan sont les ancêtres des peuples autochtones actuels. Pourtant, l'absence de sources écrites reste l'un des principaux obstacles à la compréhension de ces sociétés autochtones. Jusqu'au XVIIe siècle, elles vont évoluer dans une autarcie presque complète. Avant l'arrivée des colons chinois, européens et japonais, les aborigènes vivaient principalement sur la côte ouest, où les vastes plaines convenablement irriguées sont propices à l'agriculture. Ils y cultivaient du millet, des légumineuses, ainsi que du sucre et du riz (en général réservés à la production d'alcool).

Ce sont surtout les femmes qui s'occupaient des cultures, tandis que les hommes partaient à la chasse ou à la pêche. Cette organisation sociale s'appuyait sur des réseaux de villages, où pouvaient résider près de 1 500 personnes. Les tribus qui vivaient dans les montagnes avaient la réputation d'être des chasseurs de têtes et menaient régulièrement des raids contre les habitants des plaines. Si des échanges maritimes entre les Philippines, Taïwan et la Chine ont été prouvés, la géographie inhospitalière de l'île oblige donc les tribus à être auto-subsistantes et à parfois se faire la guerre pour survivre.

Les langues formosanes

De ce double isolement (vis-à-vis du continent et entre les tribus elles-mêmes) vont naître les langues formosanes, une des caractéristiques les plus importantes de la culture autochtone. Mais des 26 langages aborigènes connus, au moins 10 ont complètement disparu et 5 sont menacés d'extinction. Ce déclin s'explique en grande partie par les différentes vagues de colonisation qu'a connues l'île. Au XIIe siècle, la croissance démographique chinoise et les avancées en termes de navigation vont pousser de nombreux paysans Hans à chercher une vie meilleure dans l'archipel de Taïwan. Le nombre de ces immigrés reste pendant plusieurs siècles très limité (seulement quelques milliers), et ne change donc pas la situation des peuples autochtones, même si ces nouveaux arrivants se mélangent à la population et apportent de nouvelles techniques agricoles. Lorsque les Hollandais établissent un premier comptoir commercial à Tayouan en 1624, ils prennent contact avec la tribu des Siraya, qu'ils considèrent comme de véritables « sauvages ». S'ils s'allient d'abord avec certains villages, le massacre de soldats hollandais en 1629 force les hommes de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC) à répliquer sévèrement. En 1635, une campagne militaire extermine les tribus rebelles. Une paix précaire s'ensuit et les Hollandais tentent d'évangéliser les aborigènes. Le commerce des peaux de daims chassés par les tribus garantit des relations commerciales entre les tribus et les colons. Mais la surchasse va faire diminuer les stocks de cervidés. C'est à ce moment que les Hollandais favorisent l'immigration des Hans du sud-est de la Chine pour développer l'agriculture.

L'arrivée des Chinois

Après la victoire de Koxinga sur la VOC en 1662 et la création du royaume Tungning, les Chinois affluèrent en masse à Taïwan, et ce à tel point que la nouvelle dynastie des Qing doit interdire l'émigration vers l'archipel afin d'arrêter l'hémorragie démographique. Koxinga redistribue les terres des aborigènes à ses compatriotes (estimés à 120 000 personnes), ce qui force les tribus à fuir vers les montagnes, où elles resteront confinées jusqu'au XXe siècle. En 1683, le petit-fils de Koxinga abdique et Taïwan devient chinoise. L'immigration de population Han reprend de plus belle aux XVIIIe-XIXe siècles et en 1860, les Chinois sont déjà plus de trois millions. Les autochtones se rebellent régulièrement, mais ne peuvent rivaliser. En 1895, avant la signature du traité de Shimonoseki qui attribue Taïwan à l'Empire nippon, les autochtones se sont isolés en vivant dans les régions montagneuses, impropres à l'agriculture, tandis que de nombreuses tribus n'ont eu d'autre choix que de s'assimiler et se métisser aux populations chinoises. Les premiers sont appelés par les Chinois sheng fan (barbares crus) et les seconds shu fan (barbares cuits) : la preuve d'un mépris certain des colons pour les cultures autochtones.

La double politique du Japon

Lorsque les Japonais récupèrent Taïwan, ils adoptèrent une politique à double tranchant : la répression militaire couplée à des études anthropologiques afin de mieux connaître leurs nouveaux sujets. Si l'Empire japonais est déjà largement multiethnique, les nouveaux colons gardent en mémoire le massacre de naufragés japonais en 1871. Le rapport qui suivit cet incident décrit les aborigènes comme un peuple « violent, vicieux et cruel dont il faut se débarrasser ». Les soldats de l'armée impériale n'hésiteront pas à commettre de nombreuses atrocités à chaque révolte des peuples autochtones. Celui de Wushe en 1930 est l'une des plus terribles : après l'attaque d'une garnison japonaise, 644 personnes ont été tuées lors des représailles. Conscients qu'ils ne peuvent tenir le pays seulement par la force, les Japonais mettent en place plusieurs expéditions scientifiques pour mieux connaître leurs nouveaux administrés et créer un cadastre afin de mieux exploiter les ressources de l'île. Des anthropologues parcourent l'île et rencontrent les différentes tribus. Le résultat de leurs recherches, mis en lumière au Musée national du Palais, constitue la majorité des connaissances scientifiques actuelles. Grâce à cet héritage de la colonisation japonaise, une première subdivision ethnique a pu être établie. Les Japonais en comptaient neuf : les Atayal, Saisat, Bunun, Tsou, Rukai, Paiwan, Puyuma, Amis et Da'o. La politique d'assimilation culturelle japonaise va rapidement transformer la culture autochtone de l'île. Les écoles ouvertes dans tout le pays n'enseignent qu'en japonais, les tatouages tribaux sont interdits et les tribus adoptent les us et coutumes nippons. De nombreux aborigènes dont les parents avaient été tués lors des campagnes de répression se battront avec les Japonais lors de la Seconde Guerre mondiale.

Les aborigènes aujourd'hui

La capitulation japonaise, puis l'exil du Koumintang (KMT) en 1949 vont finir de déstabiliser la fragile culture autochtone de Taïwan. Tchang Kaï-chek débarque sur l'île avec plus de 1,3 million de réfugiés chinois. Les aborigènes, déjà minoritaires, se retrouvent marginalisés et subissent une politique d'assimilation centralisée : le KMT essaie de les métamorphoser en parfaits citoyens chinois. Les écoles dans les territoires autochtones dispensent des cours en chinois et les écoliers apprennent l'histoire de l'Empire du Milieu. Les mariages mixtes sont très nombreux et comme le statut autochtone n'est transmis que par la mère, leur population décroît rapidement. Dans les années 1980, les peuples autochtones participent à l'opposition au KMT. En 1983, la revue Gaoshan Qing publiée clandestinement par des étudiants aborigènes cherche à remettre en débat le statut marginal de ces populations. Un des auteurs, Icyang Parod, devient d'ailleurs ministre des Affaires autochtones sous la présidence de Chen Shui-bian. Avec l'ouverture démocratique, les aborigènes obtiennent 3 sièges au parlement, ainsi que la reconnaissance de 7 nouvelles tribus. Aujourd'hui, entre 500 000 et 800 000 aborigènes vivent à Taïwan, et connaissent de fortes difficultés économiques ; beaucoup ont bénéficié d'une éducation médiocre, résultat : le chômage les frappe plus durement que le reste de la population. Et beaucoup ont dû quitter leurs montagnes pour trouver du travail en ville, principalement dans le bâtiment. Depuis quelques années, des efforts sont faits pour réhabiliter leur culture, comme leur participation accrue à l'industrie touristique ou le festival annuel de la Culture austronésienne à Taitung.

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