La calligraphie et la peinture, des piliers de la tradition taïwanaise
Apparue au début de notre ère et considérée à Taïwan comme le plus accompli des arts, la calligraphie n'est pas seulement, comme les Occidentaux se l'imaginent parfois, une façon d'écrire joliment, mais sous-entend une quête de soi. Pour s'en convaincre, il suffit d'appréhender le sens du mot chinois Shufa qui signifie discipline ou méthode d'écriture. Que l'on s'en tienne donc à l'un ou l'autre des deux sens, la pratique requiert des qualités morales. Le tracé du trait doit être le reflet sincère de l'être, voilà pourquoi les maîtres écrivent sur un papier fin et absorbant, sur lequel toute correction est impossible.
Le matériel utilisé participe également de la philosophie de cet art puisque le tracé du trait se confond dans un tout cosmique avec l'encre noire qui correspond au Yin et le support blanc au Yang. Le bâtonnet d'encre, la pierre à encre, le pinceau et le papier sont surnommés les « quatre trésors du cabinet de travail du lettré » (wen fang szu pao). Le bâton d'encre est dilué sur la pierre à encre en étant frotté dans un mouvement circulaire jusqu'à l'obtention de l'intensité du noir voulue. Les meilleurs pinceaux, aux poils arrondis et très pointus à leur extrémité, sont constitués d'une tige de bambou, coiffée de poils de martre ou de loup. Le tracé d'un caractère à lui seul est une œuvre d'art, et sera d'ailleurs signé.
La complexité et la pureté des formes des idéogrammes amènent naturellement la comparaison de la calligraphie à la peinture, un rapprochement fort à propos puisque, dans la culture chinoise, les deux disciplines sont indissociables. D'abord parce qu'elles requièrent toutes deux l'usage du pinceau, et ensuite parce qu'on les retrouve souvent côte à côte sur le même support. Ainsi paysages ou scènes de vie portent souvent sur leur côté une calligraphie explicative ou un poème. Wang Xi Zhi (321-379), considéré comme le plus grand maître en la matière, assimile l'art de l'écriture et de la peinture : « Tout caractère sera le reflet du style, de la culture, de l'art, de l'âme et de ses passions. »
La sculpture, un art qui s'affirme progressivement
Les quatre arts majeurs dans la culture chinoise étant la calligraphie, la poésie, la peinture et enfin la musique, la sculpture n'y a toujours occupé qu'une place secondaire. On ne lui reconnaît principalement que sa valeur décorative et religieuse, et ce, jusque dans les années 1920 avec l'influence japonaise et occidentale. Elle est aujourd'hui considérée comme un art plastique à part entière et le pays est doté de grands sculpteurs, à l'instar de Ju Ming, dont le travail est exposé dans le monde entier. Né en 1938 à Taïwan, il a réalisé la célèbre série des Tai-chis que l'on peut admirer dans son musée en plein air (Ju Ming Museum), situé dans le nord du district de Taipei, à Jinshan.
La peinture, reflet de l'histoire du pays
L'évolution de la peinture taïwanaise reflète d'une manière saisissante les évolutions sociopolitiques de chaque époque. Les premiers peintres de renom taïwanais se distinguent durant l'occupation japonaise (1895-1945). Dans les années 1930 à 1950, les deux grands courants d'influence sont le nihonga, peinture à la gouache sur soie, puis la peinture à l'huile occidentale, introduite par les peintres japonais eux-mêmes. On ressent fortement l'influence de l'impressionnisme chez les artistes taïwanais de l'époque, en particulier dans les années qui précèdent la Seconde Guerre mondiale : ce mouvement est appelé nativisme par certains critiques, car il cherche à mettre en valeur le patrimoine naturel, culturel et architectural de l'île, dans une forme de « retour aux racines ». Les trois peintres les plus représentatifs de ce courant sont Chen Cheng-po (1895-1947), Yang San-lang (1907-1982) et Liao Chi-chun (1902- 1976), qui célèbrent la beauté de leur île natale à travers les techniques impressionnistes, donnant lieu à des images surprenantes, mélange d'Orient et d'Occident.
Avec le repli de Tchang Kai-chek en 1949, la peinture traditionnelle chinoise à l'encre redevient très populaire, symbolique de la « Chine libre ». À partir des années 1950 et 1960, les artistes taïwanais, enrichis par les rapports renouvelés de leur pays avec l'international et en particulier avec les États-Unis, se saisissent de l'art abstrait et du Pop art – dans une voie radicalement opposée au réalisme socialiste prôné par la Chine communiste. Dans les années 1970, le pays connaît un deuxième « retour aux racines » : tandis que la République de Chine est contrainte de quitter l'Organisation des Nations unies, les artistes s'interrogent, tentant de se forger une identité propre en se tournant vers leurs origines. À la levée de la loi martiale en 1987, l'enthousiasme artistique est explosif et les sujets se diversifient. Pour n'en retenir qu'une, l'artiste Chu Ko (1931-2011) est une figure clé de l'art moderne taïwanais. À la fois poète, peintre, sculpteur et critique d'art, son travail a marqué l'île d'une manière déterminante.
La photographie, un art au cœur des influences politiques
L'art de la photographie est profondément enraciné dans l'histoire politique de Taïwan. On identifie deux périodes clés : une période préjaponaise, de 1858 à 1895, et une période d'influence japonaise, de 1895 à 1945. Une grande partie des photographies de l'époque préjaponaise est réalisée par les missionnaires et marchands étrangers.
Chang Tsai, Deng Nan-guang et Lee Ming-diao, connus individuellement, mais aussi en tant que trio, comptent parmi les grandes figures de la photographie taïwanaise de la deuxième période. Actifs des années 1930 aux années 1950, ils ont brillamment documenté l'évolution de Taïwan après-guerre et photographié les populations urbaines et rurales de l'île, ses minorités et notamment le peuple aborigène.
Après 1945, l'influence chinoise a supplanté l'influence japonaise, jusqu'à ce que la loi martiale soit levée : une révolution pour la photographie comme pour les autres arts. Depuis, la photographie taïwanaise s'est fortement diversifiée et compte de nombreuses stars, notamment Chang Chao-Tang, né en 1943 et souvent considéré comme le photographe d'après-guerre le plus important. Son travail se caractérise par des images sombres et surréalistes, parfois absurdes, imprégnées de désolation et de malaise. Également curateur et théoricien, ce dernier a définitivement transformé l'histoire de la photographie taïwanaise et son influence sur les générations actuelles reste majeure.
La pâte de verre, une technique remise au goût du jour
Les Chinois ont travaillé le verre pendant des siècles ; ainsi, on a trouvé lors de la découverte d'une tombe, une tasse à anse en pâte de verre que les archéologues ont datée du XIe siècle av. J.-C. En revanche, la technique artisanale a été abandonnée au XIXe siècle, au profit de l'importation de produits manufacturés européens. Ce n'est que depuis 1987 que des artistes verriers taïwanais ont souhaité redonner naissance à cet art ancestral. À leur tête, Loretta Hui-shang Yang, qui a créé un atelier très célèbre dans l'île, le Liulilongfang. Le Liuli, dont la traduction littérale est « atelier de verrerie », est une technique de travail du verre qui s'apparente à la pâte de verre. Ancienne actrice renommée, Loretta Hui-shang Yang a voyagé à l'étranger – en France, en République tchèque et aux États-Unis – pour apprendre les techniques étrangères du travail du verre. Elle cherche néanmoins à préserver les traditions chinoises, qu'il s'agisse de la fabrication ou des thèmes mis en avant. Elle a ainsi créé des collections s'inspirant des sculptures traditionnelles chinoises antiques ou du bouddhisme.
Une scène contemporaine en pleine expansion
La scène artistique contemporaine taïwanaise est aujourd'hui en plein essor, aussi bien sur l'île, où les nombreuses institutions d'art moderne et contemporain multiplient les expositions de qualité, qu'à l'international, où les artistes taïwanais sont de plus en plus recherchés. Les lieux les plus populaires à Taipei pour partir à la découverte de ces artistes sont le Musée des Arts contemporains, le Musée des Beaux-arts ou encore le Huashan 1914 Creative Park, qui présente aussi l'artisanat local. Mais Kaohsiung est aussi à l'avant-garde des arts taïwanais, avec son Pier 2 Art Center, comprenant de nombreuses galeries et studios d'artistes.
Les villes de Tainan et Taichung sont chacune dotées de leur « rue des arts », à ne pas manquer pour flâner dans les petites galeries et trouver des pièces à un prix abordable !
Usant de méthodes aussi bien modernes que traditionnelles, les artistes taïwanais mettent en valeur ou abordent de manière critique de nombreux aspects de la culture taïwanaise. Le multiculturalisme, les minorités ethniques, les droits de l'homme, la liberté de parole et d'expression, l'écologie ou les actualités politiques sont des sujets récurrents dans les travaux de ses nouvelles générations, qui contribuent à la vitalité culturelle du pays. Ils font rayonner une île trop souvent négligée, et participent à sa reconnaissance croissante à l'international. Pour ne citer que l'une de ces grandes figures, on pense par exemple à Tehching Hsieh, artiste-performeur né en 1950 et exposé à la Biennale de Venise en 2017. Taiwan est par ailleurs devenue un marché à part entière selon les spécialistes, aussi important que la Chine continentale et Hongkong – signe de l'intérêt porté par ses habitants aux nouveautés artistiques.
Le Street Art, symbole d'une culture urbaine jeune et dynamique
À la fin des années 1980, le graffiti s'est répandu à Taïwan à travers plusieurs films sur la culture populaire américaine et le hip-hop. Mais le street art taïwanais se distingue beaucoup de celui de New York, notamment car le contexte social dans lequel il s'enracine est très différent. En effet, la plupart des graffeurs sont des jeunes issus de la classe moyenne qui ont reçu une formation artistique universitaire et ne sont pas particulièrement engagés dans des problèmes de l'archipel. Il émane néanmoins de leurs travaux une volonté similaire de ne pas se conformer aux normes des adultes et de perturber l'ordre social. En choisissant de se consacrer à l'art, et en particulier à des pratiques non conventionnelles, ils rejettent la voie classique du succès et repoussent les attentes de la société vis-à-vis de la jeunesse, notamment la dichotomie père-fils, une relation centrale dans le confucianisme. Bien que principalement connu pour sa hauteur, le quartier autour de Taipei 101 comprend des murales vibrantes qui ajoutent du dynamisme à l'architecture moderne.
Dans la capitale, le lieu central de la jeune culture urbaine est le petit quartier de Ximending (ou « Ximen ») qui abrite aussi les plus belles fresques de la ville. Comme ces dernières sont en constant renouvellement, le plus simple pour les découvrir est de s'y promener l'œil alerte. À Kaohsiung, faites un tour au Pier-2 Art Center : cet ancien entrepôt portuaire transformé en centre culturel est célèbre pour ses installations artistiques, y compris des œuvres de street art sur ses murs et structures. La rue Gongchen est connue pour ses murales géantes qui ajoutent une touche artistique au paysage urbain de la ville. À Tainan, le Tainan City Art Museum, bien que principalement un musée, est souvent le site d'expositions de street art qui apportent une nouvelle dimension à l'espace public de Tainan. Également, le quartier d'Anping Old Street. Ici, des artistes locaux ont créé des œuvres qui fusionnent le street art avec l'histoire locale. Enfin à Taichung, la ville a lancé plusieurs projets pour embellir les espaces publics avec du street art, y compris des murales sur des bâtiments et des structures publiques comme par exemple sur Calligraphy Greenway. Le long de cette promenade, des œuvres de street art ajoutent une touche artistique aux espaces verts de Taichung.
Le street art à Taïwan ne se limite pas seulement aux grandes villes ; il se répand également dans des zones rurales et des petites villes, contribuant à une esthétique urbaine vivante et diversifiée à travers l'île.