Une histoire séculaire
Pour venir à bout de la végétation qui couvrait densément l'île de Madère, les colons portugais mirent le feu à la forêt. Le blé, la canne à sucre et la vigne furent ensuite plantés sur ces terres fertilisées. On cultiva la vigne en terrasse (poios), sur des pentes volcaniques parfois vertigineuses, bien abritées du vent et généreusement ensoleillées afin de s'adapter aux reliefs abrupts de la région. Les grappes de raisin, bien mûries, étaient transportées à dos d'homme dans des hottes à raisin jusqu'aux pressoirs où le foulage s'exécutait pieds nus et à reculons ! On laissait ensuite fermenter le précieux nectar en fûts avant de déguster. Après le déclin de la canne à sucre, les vignobles sont peu à peu devenus la première production de l'île (en 1646, on exportait déjà plus de 12 000 tonneaux, et près de 20 000 au XVIIIe siècle).
Un style incomparable
Mais la particularité du madère tient plus d'une découverte accidentelle que d'un secret de fabrication. Au XVIIe siècle, les caravelles portugaises exportaient déjà le vin de Madère jusqu'aux Indes ou aux Amériques. Pour supporter le voyage, le vin était fortifié avec de l'eau-de-vie, avant de rouler et d'être brassé, des semaines durant, dans des cales surchauffées sous les tropiques... et de devenir l'élixir capiteux, cuit et mûri, que l'on apprécie aujourd'hui. Surpris par la qualité du vin, amélioré par les conditions de la navigation, les vignerons tentèrent de reproduire à Funchal ces circonstances particulières qui lèguent au madère un corps et un arôme exceptionnels. Ils mirent en place un système d'« estufagem » pour chauffer le vin. Curieusement, si le tangage des bateaux fortifie le vin en barrique, celui-ci est moins conciliant avec tout mouvement une fois mis en bouteille. Mieux vaut en effet la maintenir debout que la coucher dans un cellier... Et on le sert dans un verre en cristal pour préserver la couleur de sa robe !
Madeira Wine Company
Aujourd’hui encore, le madère est brassé et chauffé à près de 50 °C dans d’immenses cuves chez de grands négociants aux noms typiquement anglais. Les marques plus connues sont Blandy's (fondée en 1811, la famille réside toujours à Madère), Cossart Gordon (établie en 1745 par deux Ecossais ayant fui leur pays après l’échec de l’épopée des Stuart, c’est la plus ancienne habilitée à commercer du vin à Madère, qui porte son nom définitif depuis 1808 et l’adhésion d’un Irlandais à l’affaire), Leacock's (fondée en 1760, Thomas Slapp Leacock apporta une contribution primordiale au traitement du phylloxéra pour sauvegarder les variétés traditionnelles de l’île) et Miles (fondée en 1814). Elles sont regroupées en association : la Madeira Wine Company (www.madeirawinecompany.com).
Du champ à la table
C’est ordinairement durant la deuxième quinzaine d’août que débutent les vendanges. Le verdelho et le sercial, cultivés en altitude et donc mûrs un peu plus tard, sont toutefois ramassés entre la mi-septembre et la mi-octobre. Comme autrefois, certains Madériens résidant à la campagne entretiennent un petit arpent de vigne. Et comme tout cultivateur est aussi vigneron, sa fierté sera de vous faire goûter sa production en guettant attentivement votre jugement du coin de l’œil. Ne le décevez pas, même si vous êtes un peu surpris, et acceptez le second verre généreusement offert, car on le savoure souvent mieux à la seconde lampée. D'aucuns pensent à tort que le madère se consomme au dessert (ou en sauce !), mais il existe plusieurs variétés qui conviennent en entrée : le madère sec accompagne l’apéritif avec des noix, des olives, ou d’autres hors-d’œuvre : c'est très désaltérant en été ! Un verre de demi-sec fera l’affaire pour un potage ou un consommé. Le madère, en revanche, ne se sert pas avec un plat principal, et il faut donc patienter jusqu’au dessert pour goûter à un malmsey semi-doux. On peut aussi boire quelques verres après le champagne, car, après tout, il s’agit d’un vin blanc…
Plus c’est vieux, plus c’est bon !
Pour décrypter les étiquettes, mieux vaut se familiariser avec quelques notions clés : le finest (ou au moins 3 ans d'âge), le plus souvent élaboré à partir du tinta negra mole (un raisin noir plutôt doux), porte le nom de Madère, ainsi que celui de sa marque ; il peut être sec, demi-sec, demi-doux ou doux. Par ailleurs, les vins de 5, 10 ou 15 ans d'âge doivent contenir au moins 85 % de la variété de raisin dont ils portent le nom, à savoir sercial, verdelho, bual ou malmsey. Sinon, ils portent le nom de Reserve (au minimum 5 ans d'âge), Special Reserve (au minimum 10 ans d'âge), Extra Reserve (au minimum 15 ans d'âge) ; ils peuvent être fruités, épicés... Les vintages ou millésimés, eux, sont élaborés après une implacable sélection des meilleurs crus et ne contiennent qu'une variété de raisin. Ils doivent mûrir en fûts de chêne ou dans des cuves pendant au moins vingt ans. Et attention, l'Institut du vin de Madère veille au grain ! Lors d'une année de récolte exceptionnelle, on produit aussi de petites quantités de vin qui vieillissent dans des fûts pendant près de vingt ans : on les appelle frasqueira. Ils peuvent avoir une longévité de 150 ans ! Pendant la période de vieillissement, évidemment, ils sont dûment contrôlés à intervalles réguliers.
Les cépages de Madère
Pas moins d’une trentaine de cépages sont cultivés à Madère. Les plus nobles sont le malmsey, le bual, le verdelho, le sercial, mais la variété la plus répandue (80 à 85 % de la production !) est la tinta negra. Croisement entre le pinot noir et le grenache, ce cep très productif et particulièrement adapté aux conditions difficiles de l’archipel aurait été introduit sur l’île au cours du XVIIIe siècle. Ce sont les jésuites, en revanche, qui auraient importé le boal de Bourgogne au XVIIe siècle. Considéré comme le meilleur cépage du porto blanc, il intervient dans la composition de certains vins de Madère, donnant un nectar demi-doux, équilibré, fin en bouche, à la belle couleur vermeille. On le sert avec certains fromages ou des desserts. Un équilibre parfait entre acidité et douceur ! Le malmsey (ou malvoisie) lui, vient de Crète. Il fut introduit sur l’île par les premiers colons, offrant aux papilles un vin riche, doux et savoureux, digestif par excellence ou très bien en accompagnement (desserts ou cafés). Puis le verdelho nous vient d’Italie. Ce cépage blanc donna son nom à l’un des quatre principaux types de vin de Madère. Demi-sec de bonne tenue, frais et fruité, il convient bien à l’apéritif ou pour accompagner des potages. Autre cépage blanc enfin, le sercial est l’une des variétés les plus rarement utilisées. Il donne un vin sec et léger accompagnant très bien les apéritifs.