Trésors de l’Antiquité
Séduits par les terres fertiles du Constantinois, les Romains ont laissé de nombreux vestiges archéologiques qui attestent d'un véritable développement urbanistique. L'Antiquité est marquée par les royaumes berbéro-numides dont on retrouve la trace dans les tombes et les mausolées (bazinas, Médracen ou tombeau de la Chrétienne) et quelques villes en ruines comme la cité antique de Tiddis à 30 km de Constantine. Bâtie en escaliers sur une colline, Tiddis ou « Castellum Tidditanorum » est un trésor d'architecture et de technicité. Sous nos yeux ébahis, trois mille années se déroulent pendant lesquelles se sont succédé plusieurs civilisations qui ont chacune laissé une profonde empreinte. C'est l'archéologue français André Berthier qui a découvert en 1940 Tiddis, forteresse avancée romaine construite pour assurer la protection de Cirta (Constantine aujourd'hui) face aux attaques étrangères. De l'époque punique, où elle s'appelait Taddart ou Ras Eddar, reste une bazina, une tombe commune circulaire typique de la période numide, des dolmens, des monuments funéraires, des inscriptions libyques et des symboles sur des poteries qui témoignent de la présence d'une vieille civilisation berbère avant que les Romains aménagent la cité selon leur plan d'urbanisation. Un arc de triomphe typiquement romain symbolise l'entrée de la cité-forteresse et le cardo (réseau de rues) dont les dallages très bien conservés longent deux temples consacrés à des divinités romaines. Admirez les vestiges de l'huilerie, les quartiers des artisans et le moulin à céréales qui relatent le quotidien de la cité. Les citernes et le grand réservoir qui alimentaient les habitants en eau sont particulièrement impressionnants.
Au sud de Constantine, dans la wilaya de Batna, dans les montagnes des Aurès, Timgad, l'antique Thamugadi dont la fondation remonte à l'an 100 apr. J.-C., conserve elle aussi les traces de la civilisation romaine. Malgré deux mille années d'existence, les ruines de ce site sont miraculeusement conservées. Surnommé « la Pompéi africaine », ce chef-d'œuvre de l'urbanisme romain, classé à l'Unesco, témoigne du quotidien de cette cité érigée pour la retraite des militaires romains. Observez les thermes, le théâtre, le marché, la bibliothèque et le forum (le plus petit jamais construit). Sur la dalle du forum, en pierre taillée, vous découvrirez un résumé de la douceur de vivre qui régnait dans cette cité : « Venari, lavari, ludere, ridere, hoc est vivere » que l'on peut traduire par « Chasser, aller au bain, jouer, rire, ça c'est vivre ». On imagine aisément les vieux soldats de l'Empire romain jouissant ici d'une retraite méritée.
À 50 km au nord-est de Sétif, Djemila (l'antique Cuicul), fondé par l'empereur romain Nerva (96-98), apporte un témoignage exceptionnel de la présence romaine en Afrique du Nord. Entre le IIe et le VIe siècle, la cité n'a cessé d'évoluer, échappant à la rigueur géométrique romaine en offrant ainsi aux visiteurs un répertoire architectural remarquable. La ville possédait un forum et un sénat. Observez l'arc de triomphe, les édifices édilitaires et le théâtre. Arrêtez-vous au marché des Cosinus qui illustre la prospérité économique de la cité. Le site a été aussi marqué par différents lieux de culte chrétiens : une église, son baptistère (l'un des plus grands de la période paléochrétienne) et une cathédrale. Les habitants de Cuicul ont mené une existence paisible jusqu'à son abandon au cours du VIe siècle. La cité tomba alors peu à peu dans l'oubli. Une tradition locale attribue à Abou al-Mouhajir Dinar, émir de l'Ifriqiya, la capture de Cuicul durant le dernier quart du VIIe siècle.
À partir du VIIe siècle, splendeurs de l’islam
À partir du VIIe siècle, l'islam marque l'architecture du Maghreb par l'édification de villes serrées à l'intérieur de remparts défensifs où le centre est marqué par le marché et la mosquée dont il reste de magnifiques exemples. Dans la vallée du M'Zab, c'est la mosquée qui tient lieu de centre social. Les villes arabes, médinas, qui n'existent souvent plus, sont organisées traditionnellement autour du souk ou bazar, le marché. Ici aboutissaient les principales rues qui se ramifiaient en impasses et en ruelles de la largeur d'un âne chargé.
Les mosquées. À l'ouest de l'Algérie, Nedroma, ancienne cité berbère, aurait été bâtie au XIe siècle. Elle fut un important centre culturel et d'artisanat dans cette zone en voie d'arabisation et d'islamisation. La Grande Mosquée de Nedroma, qui date de l'époque almoravide, a été construite en 1145 par le prince de la dynastie berbère des Almoravides Tachfin ben Ali. Cet édifice attribue à la ville une dignité religieuse et un pouvoir politique. La Grande Mosquée, comme les autres mosquées almoravides du Maghreb, affiche un style andalou (comme la Grande Mosquée de Cordoue ou de Damas) et se caractérise par neuf balatat (nefs) perpendiculaires au mur de la qibla qui se prolongent le long des petits côtés du sahn (cour) rectangulaire doté de larges riwaq (galeries). Le mihrâb (sanctuaire) est constitué d'une niche polygonale. Le dépouillement extérieur de la mosquée contraste avec la richesse de sa décoration intérieure, une spécificité des Almoravides qui réservent le raffinement de leur art pour l'ornementation des édifices. La structure est souvent simple, comme ici pour la mosquée de Nedroma construite en pierre et en brique avec une charpente de bois et un toit à double pente recouvert de tuiles. L'intérieur est composé de céramiques, de plâtre et de tableaux en bois sculptés. À l'origine, la mosquée ne possédait pas de minaret, comme en atteste l'épigraphe gravée sur une table de marbre encastrée dans la salle de prière qui indique que le minaret a été construit en 1348.
La mosquée el-Kebir (la Grande Mosquée) d'Alger fut construite par l'Almoravide Youssef ibn Tachfin en 1097, c'est la plus ancienne mosquée d'Alger. Le minaret fut érigé en 1324 par le sultan zianide de Tlemcen, Abu Tachfin. Comme pour toutes les mosquées almoravides, le corps de l'édifice rectangulaire est plus large que profond et couvert de doubles toitures en tuiles. Elle est construite en pierre, brique, tuile et bois sur une charpente de bois. La salle de prière, pourvue d'entrées latérales, se divise en onze balatat supportées par des piliers robustes et de puissants arcs polylobés (utilisés par les Andalous pour la Grande Mosquée de Cordoue) qui alternent avec des arcs outrepassés brisés en maçonnerie chaulée, perpendiculaires au mur qiblî. Leur élégance apporte une harmonie aux cinq travées de Djamâa el-Kebir, qui n'a pas de coupole. La nef centrale est magnifiée par les arcs. Elle conduit au mirhab, décoré simplement de céramiques et de deux colonnes spiralées, caractéristiques de l'architecture d'Alger du XVIIIe siècle (le mihrâb d'origine a été détruit lors du bombardement de 1682). Faisant partie de la Casbah d'Alger, la Grande Mosquée est classée depuis 1992 au patrimoine mondial de l'Unesco.
Capitale du Maghreb central aux XIe et XIIe siècles, Tlemcen est alors en plein essor. Ali ben Youssef, calife de la dynastie berbère des Almoravides, décide d'y bâtir une grande mosquée. Son minaret est érigé en 1236 par le sultan zianide Yaghmoracen ibn Ziane. La Grande Mosquée de Tlemcen est le plus grand monument almoravide encadré de sept balatat (nefs) prolongeant celles de la salle de prière divisée en treize balatat. Comme pour la Grande Mosquée d'Alger, l'édifice sobre et élégant contraste avec des zones richement décorées comme l'allée centrale et le mihrâb qui ressemble à celui de Cordoue avec son décor en plâtre sculpté de motifs épigraphiques et végétaux. Au-devant du mihrâb, une coupole ajourée à nervures entrelacées diffuse une lumière dentelée. La disposition de l'encorbellement de la lanterne à muqarna, avec ses rangées de briques en nid d'abeilles, est l'un des premiers témoignages de coupole à stalactites.
Ces trois mosquées sont les seuls monuments toujours visibles de la dynastie des Almoravides.
La régence ottomane du XVIe siècle à 1830
Au XVIe siècle, les tentatives de conquête espagnole puis l’installation d’une régence ottomane inaugurent une nouvelle ère où l’urbanisme algérien est marqué d’un nouveau style qui s’exprime dans les maisons, les mosquées et les palais. Le style ottoman de 1516 jusqu’à la conquête française en 1830 va influencer l'architecture algérienne. Lorsque Kheireddine, dit Barberousse, s’empare de la forteresse espagnole du Peñón en 1529, il la rase et fait construire avec les pierres une digue, l’actuelle jetée Kheireddine, qui augmente considérablement la taille du port, et il fait fortifier la ville.
L’architecture religieuse. La mosquée el-Djedid dans le quartier de la basse Casbah à Alger, surnommée la mosquée de la pêcherie en raison de sa proximité avec la mer, est l'un des édifices majeurs de la période ottomane. Elle aurait été bâtie par le maître d’œuvre musulman al-Hâjj Habîb en 1660 dans les styles mauresques et ottomans. Les arcs multiples, les dômes et les compositions polychromes en brique et en pierre témoignent de l’influence byzantine. Admirez le magnifique minbar en marbre, fabriqué en Italie, qui provient de la mosquée al-Sayyida détruite en 1832.
On rencontre également des édifices algérois à l’architecture similaire, comme la mosquée d’Ali-Bitchnin, le « renégat » (chrétien converti à l'islam), qui fit construire sa propre mosquée en 1622, ou encore la mosquée Ketchaoua, construite pendant le gouvernement ottoman au XVIIe siècle dans la Casbah d’Alger. Reflet des nombreux bouleversements politiques en Algérie, l’histoire de cette mosquée aux influences architecturales variées mêlant styles mauresques et romano-byzantins est mouvementée. Construite en 1436, elle a été profondément transformée au XVIIIe siècle sous le règne d’Hassan Pacha, dey d’Alger de 1791 à 1798. Remaniée en 1794, elle devient une mosquée à grande coupole centrale octogonale coiffée de coquilles abritant une salle de prière carrée et entourée de petites galeries recouvertes de coupoles secondaires, une architecture religieuse souvent présente en Turquie et en Asie centrale. Après sa réquisition en 1832 par les Français, la mosquée subit de nouvelles transformations et devient sous la colonisation la cathédrale Saint-Philippe. Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, la cathédrale est reconvertie en mosquée.
Dar et palais. Les anciennes maisons de la Casbah, fermées sur l'extérieur, semblent dépourvues de décorations. On accède aux demeures par une entrée en chicane, ce qui permet de les laisser ouvertes sans qu’un regard curieux puisse y pénétrer. La porte est vaste, parfois monumentale, décorée de couleurs et de symboles destinés à écarter le mauvais œil (heurtoir en forme de main, main imprimée dans l’enduit frais, etc.). La maison s'organise autour d'un wast ed-dar, espace central avec une circulation périphérique, une galerie à arcades entourant le wast ed-dar. Les demeures présentent au passant un aspect austère et rébarbatif, sans ouvertures autres que la porte et des petites fenêtres, qui doivent gommer les différences entre les maisons habitées par les plus démunis et celles habitées par les familles aisées. C’est à l’intérieur que l’opulence se dévoile au visiteur. Plus l’hôte est riche, plus la diversité des matériaux, la somptuosité des couleurs, la richesse des formes d’arcs et des colonnes ainsi que les murs en zelidj (carreaux de céramique) seront présents. La salle de réception est la limite à ne pas dépasser pour l’« étranger ». La plus grande partie de la maison est le domaine de la femme. La maison, en règle générale à deux étages, se termine sur une terrasse fermée où les eaux de pluie remplissent les citernes. Les rues si étroites sont jalonnées par les encorbellements des maisons qui, ingénieusement, récupèrent l'espace perdu de la rue au profit de la maison au premier niveau et procurent de l’ombre aux passants. Parmi les plus beaux palais de l’époque ottomane, citons Dar Khedaoudj el-Aâmia, bâti au XVe siècle, Dar Aziza, palais du XIVe siècle dédié à la femme du bey de Constantine, Dar el-Hamra, bâti au XVe siècle par Mami Arnaute – le dey Hussein y vécut avant son départ définitif d’Alger. Avec ses superbes portes en bois de cèdre sculpté, la sqifa (le vestibule) en faïence de Delft et la vasque en marbre du patio, le palais algérois Dar Mustapha Pacha est une merveille. Construit à la fin du XVIIIe siècle et édifié pour le dey de la régence d'Alger, Mustapha Pacha, c’est l’un des plus beaux palais d’Alger, orné de 500 000 carreaux de faïence sicilienne, espagnole, tunisienne et hollandaise. Enfin, dans la banlieue algéroise, le palais du Peuple (anciennement palais d’Été) est à voir. Construit à la fin du XVIIIe siècle, cette somptueuse résidence de vacances fut d’abord celle de Khodjet Mustapha el-Kheil (1748-1754) puis de Dey Hussein Pacha (1818-1830).
La colonisation française de 1830 à 1962
Au milieu du XIXe siècle, la conquête coloniale française remplace nombre d’édifices d’inspiration turco-vénitienne par des constructions de style occidental. On peut distinguer différentes périodes.
Tout d’abord, celle de la conquête qui voit la transformation des villes arabo-musulmanes et la création de villes et de villages de colonisation. À peine arrivé, le gouvernement français transforme Alger. Il crée une place d’Armes (la place des Martyrs aujourd’hui) et rase la ville basse et son front de mer, centre historique de l'antique el-Djezaïr, qui sont rebâtis dans un style néoclassique avec des ferronneries et des huisseries bleues qui mettent en valeur le blanc immaculé des façades. La ville blanche est dotée de tous les attributs d’une grande ville française hors de la métropole.
À 80 km d’Oran, Sidi Bel Abbès fut bâtie sur la rive droite de l’oued Mékerra par les légionnaires dès 1843 en suivant le plan en damier dessiné par le capitaine du génie Prudon. Système de fortifications, architecture haussmannienne, portes, casernes, hôpital militaire, places, rues, égouts : le capitaine a tout prévu. Y compris des glacis qui séparent nettement les quartiers résidentiels des Européens du centre-ville des quartiers populaires appelés « Village nègre » puis « faubourg Bugeaud », et dénommés par les autochtones « Grâba », réservés aux habitants pauvres. Ville garnison de la Légion étrangère, elle en sera la maison mère jusqu’en 1962. Ainsi, le quartier Viénot, aussi appelé le Grand Quartier, caserne principale du 1er régiment étranger, est construit au cœur de la ville. Trois corps de logis, hauts et étroits, à l’architecture austère, entourent la place. Autour de la caserne principale, le Petit Quartier, en face du quartier Viénot, a longtemps gardé son nom de quartier de la Remonte ou de Cavalerie et héberge les activités administratives des légionnaires. Le cercle militaire (le mess des officiers) est l’un des plus anciens bâtiments militaires de Sidi Bel Abbès qui anime la ville. En 1936, cette cité moderne, prospère, à l'urbanisme complet où il fait bon vivre, inaugure en grande pompe son nouveau théâtre, le plus beau et le plus grand d’Afrique du Nord. Conçu par l’architecte Charles Montaland, qui s’inspire du théâtre des Champs-Élysées, le théâtre de Sidi Bel Abbès à l’architecture italienne est fortement influencé par l’Art déco alors très en vogue à Paris.
La période du « triomphe colonial » (1860-1890)
Elle correspond à la construction dans les plus grandes villes d’immeubles de style métropolitain. En 1865, Napoléon III et son épouse, l'impératrice Eugénie, inaugurent le boulevard de l’Impératrice Eugénie sur le front de mer (renommé plus tard boulevard de la République et actuellement boulevard Che Guevara). Long balcon de 1 500 m dominant la mer, doté d'immeubles à arcades au style second Empire, c’est l’un des premiers aménagements du génie militaire français. Conçu par l’architecte Frédéric Chassériau, ce boulevard maritime ainsi que le boulevard Zirout Youcef (ex-Carnot) ressemblent à la rue de Rivoli à Paris. Alger suit le style haussmannien de la capitale française. Les immeubles s'élèvent sur quatre à six étages avec de grandes fenêtres sur les façades en pierre de taille, avec des balcons en fer forgé qui filent le long du deuxième étage, des corniches, des cariatides (moulures en forme de statues) et des balustres. Parmi les immeubles les plus emblématiques, citons la Banque d’Algérie, le palais des Assemblées algériennes et l’Opéra (aujourd'hui Théâtre national algérien). Derrière le front de mer, le quartier d'Isly avec ses cinémas, des cafés et de grands magasins se développe.
La période néomauresque (début XXe siècle)
Pour répondre aux revendications du gouverneur général Jonnart en faveur d’une architecture locale pour les édifices administratifs, Alger est saisie par une vague néomauresque. Les édifices reprennent les codes de l’architecture islamique et affichent des allures orientales dites de « style Jonnart », comme l’ancien siège du journal La Dépêche algérienne (1905), la Grande Poste (1910), la wilaya (l’ancienne préfecture, 1913) ou les Galeries de France (1914). En 1930, lors de la célébration du centenaire de la présence coloniale en Algérie, l’hôtel Safir (ex-Aletti) avec son cachet Art déco est inauguré par Charlie Chaplin. La maison du Millénaire (ex-Centenaire), conçue par l’architecte Léon Claro comme une réplique d’une maison traditionnelle de la Casbah, voit également le jour en 1930. Les colons découvrent les espaces (sqifa, west eddar, byoutes) et les décorations qui composent une « maison indigène » Le marbre, la faïence et le bois proviennent des destructions des maisons de la basse Casbah. Le centre d'Alger se déplace sur le boulevard Khémisti (ex-Laferrière) vers l'est, où est construit en 1934 le palais du Gouvernement de style moderne par Jacques Guiauchain et Auguste Perret. La ville s'éparpille. Les urbanistes René Danger, Henri Prost et Tony Socard tentent de rationaliser l’espace et la croissance.
Alger, laboratoire de la modernité de 1930 à 1960
Dans les années 1930, Alger est au cœur d’intenses débats architecturaux. C'est dans ce climat passionné que débarquent Le Corbusier et le mouvement moderne des années 1930 puis celui de l’école d’Alger avec Pouillon et Perret. Dès 1932, le plan Obus de Le Corbusier prévoit l'implantation d'un quartier d'affaires à la Marine. Parmi ses disciples, Louis Miquel, l’un des créateurs de l’unité d’habitations Aérohabitat. Bâti en 1955 sur le modèle du « village vertical » de la Cité radieuse de Marseille, ce géant de béton est un village suspendu en plein centre d’Alger bâti sous forme de barre sur pilotis. Composé de quatre bâtiments, de trois cents appartements parfois en duplex, Aérohabitat comporte aussi une galerie marchande. L’implantation en épine des deux immeubles principaux n’obstrue pas la vue des logements en amont.
Après avoir réhabilité le Vieux-Port de Marseille, Fernand Pouillon est invité en 1953 en Algérie par Jacques Chevallier, le nouveau maire d’Alger, qui lui demande de réaliser des logements sociaux destinés aux populations musulmanes : Diar es-Saada, Diar el-Maçoul et Climat de France à Bab el-Oued. Au début des années 1960, Fernand Pouillon s’installe à Alger. En découvrant l'architecture de la cité de M’Zab bâtie au Xe siècle, Fernand Pouillon a une révélation. Il a compris l'essence de l’architecture algérienne. Ce style d’urbanisme en communion avec le nature l'inspire quand il dessine les structures hôtelières et universitaires commandées par l'État algérien. Citons par exemple l’hôtel M’zab inauguré en 1972 à Ghardaïa.
De 1962 à nos jours, la bataille du logement
Les années 1960-1970 voient l’édification de grands équipements hospitaliers, scolaires et hôteliers, mais c’est avec des préfabriqués ou « vite-faits » qu’on répond à la demande pressante de logements sociaux dramatiquement amplifiée dans les villes par l’augmentation de la population et l’exode rural. En 1958, le gouvernement français a élaboré le « plan de Constantine » (1959-1963), prévoyant la construction de 200 000 logements. Mais en 1962, après l’indépendance, devant la pression des besoins liés à la croissance démographique et aux mouvements de la population, l’État algérien fait face à une succession d’urgences. Il concentre son effort sur la construction de logements neufs en passant de 15 000 unités par an en 1967 à 150 000 unités en 1985, à 300 000 logements en 2008 pour atteindre 2 à 3 millions de logements depuis les années 2000. Malgré de nombreux projets avortés et même si son œuvre est peu connue en Algérie, le Brésilien Oscar Niemeyer a conçu le campus universitaire Mentouri de Constantine (1969-1972) et l’université des sciences et de la technologie Houari-Boumediene (1972-1974) ainsi que la salle omnisports du centre olympique d'Alger (coupole du complexe olympique Mohamed-Boudiaf) et l’École polytechnique d'architecture et d'urbanisme (EPAU).
Considéré comme le père de l’architecture moderne algérienne, Abderrahmane Bouchama symbolise le nouveau départ d’une liberté recouvrée. Il s’inspire du répertoire décoratif musulman dans un style mauresque mêlant tradition et modernité. Parmi ses œuvres, citons la Cour suprême d’Alger (1963), les Archives nationales à Birkhadem (1988), le Centre culturel d’el-Biar (Ben Aknoun), le siège du ministère du Tourisme ainsi que les Instituts islamiques de Constantine (1969), de Tlemcen (1970) et le quartier Caroubier (1972). Il a aussi construit des mosquées se basant sur l’idée de l’arceau qui chante comme celles d’el-Biar (place Kennedy) et d’Hydra.
La Grande Mosquée d’Alger. Achevée en 2019, c’est la plus grande mosquée d’Afrique et la troisième plus grande au monde. Djamaa el-Djazaïr trône majestueusement au bord des eaux turquoise de la Méditerranée au niveau de la promenade des Sablettes et fait la fierté de millions d’Algériens. La salle de prière de 20 000 m2 peut accueillir 120 000 fidèles, 618 colonnes octogonales en marbre s’y dressent et 6 km d’écritures calligraphiques la décorent. Le toit de la salle de prière d’une hauteur de 45 m supporte une immense coupole d’un diamètre de 50 m. À proximité de la coupole, se dresse le plus haut minaret au monde (265 m et quarante-trois étages desservis par des ascenseurs panoramiques). Cette mosquée a été conçue comme étant le phare de l’islam modéré dans ce pays qui a tant souffert de l’islamisme terroriste pendant la « décennie noire » des années 1990. Le minaret abrite différents niveaux, dont des espaces consacrés aux expositions, un musée d’art et d’histoire de l’islam, une école du Coran « Dar el-Qoran », une bibliothèque d’un million d’ouvrages ainsi qu’une plateforme d’observation de la baie d’Alger, un commerce et un restaurant. Équipée de panneaux solaires et de systèmes de recyclage d’eau de pluie, la Grande Mosquée d’Alger est autosuffisante.