Aux sources de l’art pictural
Limité dans la représentation des êtres vivants, l'art islamique trouve à ses débuts son expression dans les formes géométriques complexes, les motifs végétaux et la calligraphie. Très respectés, les calligraphes décoraient les lieux de prière avec des extraits du Coran, suivant différents styles ou écoles. Par la suite, les textes ont orné les poteries ou les carreaux de céramique. Une visite du musée des Antiquités et des Arts islamiques est incontournable pour appréhender toute la richesse de ces disciplines artistiques.
Au XIXe siècle, ce sont les peintres occidentaux qui ont mis en scène l'Algérie avec notamment le courant orientaliste porté par des peintres comme Delacroix (Femmes d'Alger dans leur appartement). Dans le lobby et les couloirs du Royal Hotel, dans le centre d’Oran, on peut apprécier plusieurs œuvres de style orientaliste. Trois salles sont consacrées à l’orientalisme au musée des Beaux-Arts d’Alger, qui propose également une collection de peintures européennes du XIVe au XXe siècle, mais aussi un large éventail de l’art algérien.
Le XXe siècle voit s’affirmer des talents affranchis des interdits religieux, tandis qu’à l’opposé, les traditions picturales telles que l’enluminure et la calligraphie se sont perpétuées.
Émergence de la peinture algérienne
L’adoption de la peinture, relativement récente en Algérie, a pris des allures de conquête. Ce mode d’expression venu d’Europe n’est pas sans évoquer la démarche des écrivains algériens s’exprimant dans la langue des colonisateurs. Durant la colonisation, une minorité de plasticiens se convertit à la peinture de chevalet. Ce passage marque un changement profond dans le regard qui est porté sur le monde. La première vague de peintres émerge à Alger, la ville coloniale la mieux pourvue en lieux culturels. En tête de file, les artistes les plus connus sont Azouaou Mammeri et les frères Racim, Omar et Mohamed. À leur suite, s’illustreront Boukerche et Bensemane.
D’autres centres artistiques s’affirment. Constantine voit se développer le talent du peintre Hemche ; à Oran, c’est Guermaz ; à Tlemcen, l’artiste Yelles.
Mohamed Racim
Racim (1896-1975), connu pour son talent de miniaturiste, est issu de la Casbah d'Alger. Repéré dès l'école primaire, il est placé par son protecteur à la Direction de l'artisanat. Là, il copie des œuvres, essentiellement des enluminures. Ce projet, destiné à favoriser les arts traditionnels, ne lui permet pas d'explorer sa personnalité. Cela ne se fera que plus tard, avec le soutien du peintre Dinet, dont il fait la connaissance en 1914. Dinet le familiarise avec les scènes de genre et l'importance de la composition. Bien vite, il rencontre Marçais, qui l'incite à intégrer la perspective aux miniatures. C'est en suivant cette voie qu'il sera acclamé, au point de recevoir en 1933 le grand prix artistique de l'Algérie.
Azouaou Mammeri
Le Kabyle Azouaou Mammeri (1886-1954) est le premier peintre algérien à passer à la peinture de chevalet. C'est au cours d'une formation au métier d'enseignant que Mammeri développe son talent de dessinateur et de peintre. Il reprend les codes de la peinture de chevalet avec une telle fidélité qu'il a souvent été qualifié d'imitateur. Cependant, Mammeri apporte une sobriété extrême, courageuse, dans un contexte où, pour un artiste, il était difficile de se faire une place.
Omar Racim
Frère aîné de Mohamed Racim, Omar se démarque par son rejet du colonialisme. Il fonde des journaux destinés à prôner la Nahda ou Renaissance, et à glorifier les traditions arabo-islamiques. Les représailles ne se font pas attendre. En 1914, il est condamné à perpétuité. Sa peine est allégée grâce à l’intervention de son frère. Il sort de prison en 1921, mais son incarcération n’a fait que renforcer ses convictions. Dès lors, il injecte sa foi dans le dessin et se fait enlumineur du Coran. Il ouvre une école d’art, réservée à la pratique traditionnelle. Ce lieu, établi dans la Casbah, sera à l’origine de l’école algérienne de calligraphie et d’enluminure de textes sacrés. Cet établissement sera fréquenté par toute une génération en faveur du mouvement national dans les années 1930. Mohamed Temmam, Mostefa Debagh, Boutaleb Mahieddine, Ali Ali-Khodja et bien d’autres participeront ainsi à la diffusion des arts musulmans, tout en opposant une résistance farouche à la colonisation.
Associations artistiques
Dans la capitale, il souffle un vent de liberté dans les années 1950. Quelques jeunes artistes fondent le Groupe 51, qui se réunit dans un café du quartier de la Marine, le café d’Ouzegane. Les premiers représentants de ce mouvement sont le peintre Jean Senac et le poète Sauveur Galliero. Autour d’eux : l’homme de théâtre Moustapha Kateb, Mesli, Tiffou, Laïl, Cardona et Issiakhem. Ils sont liés par un même désir de modernité et une révolte contre l’ordre colonial. Ils sont rejoints par Jean de Maisonseul. Artiste et urbaniste, celui-ci œuvre pour la fraternité et rejoint Camus dans son combat en faveur de la trêve. L’éditeur Edmond Charlot expose les œuvres de ces artistes dans sa galerie de la rue Charras.
Toutefois, les artistes de cette génération finissent par s’exiler à Paris. Ils poursuivent leurs études aux Beaux-Arts de Paris ou à la Grande Chaumière. Là, ils explorent différentes tendances, comme l’abstraction, l’expressionnisme et l’art naïf.
La guerre d’Algérie, qui éclate en novembre 1954, réoriente le parcours de certains d’entre eux. Quelques-uns partent au combat, d’autres défendent leurs positions à travers le dessin.
Le groupe Aouchem s’inspire dans les années 1960 des traditions encore vivaces dans l’art populaire.
L’art expressionniste d’Issiakhem
Né en Kabylie, M’hamed Issiakhem (1928-1985) vit un drame à l’âge de 15 ans, alors qu’il dégoupille par mégarde une grenade chipée à des soldats américains. La déflagration, qui coûte la vie à deux de ses sœurs et à un neveu, le prive de son bras gauche. Plus tard, il suit une formation aux Beaux-Arts d’Alger. Élève d’Omar Racim, il se lie d’amitié avec Kateb Yacine et prend avec lui la direction de Paris. Admis aux Beaux-arts de Paris en 1951, il regagne l’Algérie devenue indépendante, en 1962. Il devient enseignant à Alger puis à Oran. Il est l’un des membres fondateurs de l’Union nationale des arts plastiques d’Algérie. Intégré au groupe des 35, il expose en Algérie, puis à l’étranger. Si ses paysages et ses toiles abstraites sont appréciés, il excelle avant tout dans le portrait féminin. Le musée d’Art moderne d’Alger (MAMA) lui a consacré une rétrospective, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa disparition.
Sa contemporaine Baya (1931-1985) se situe entre l’art naïf et l’art brut. Orpheline, elle est d’une précocité inouïe. Ses gouaches, exposées par Aimé Maeght alors qu’elle a à peine 16 ans, sont aussi remarquées par André Breton, le pape du surréalisme. Ses compositions énigmatiques sont d’une créativité époustouflante.
Signalons la rétrospective « Algérie mon amour » qui s’est tenue à l’IMA de Paris pour célébrer les soixante ans de l’indépendance algérienne. Elle regroupait de mars à juillet 2022 dix-huit plasticiens algériens, couvrant trois générations. On a pu admirer La Mère d’Issiakhem, aux côtés de Baya et de créations récentes comme la photographie Mémoire dans l’oubli d’Halida Boughriet. Cette dernière, née en 1980, s’est vu décerner le premier prix Jeune créateur LVMH. À Alger, on peut découvrir son travail photographique au MAMA.
Dessin
Vu le dynamisme de l’École supérieure des beaux-arts d'Alger, on devine que la tradition picturale est très vivace en Algérie, même si on s'en rend assez peu compte dans la rue.
Pourtant, c'est peut-être au travers du dessin de presse qu'on découvre le mieux cette expression. Chaque journal a son dessinateur, mais le plus connu d'entre eux reste encore Ali Dilem, le caricaturiste du journal Liberté, qui dessine également pour la chaîne internationale française TV5 Monde.
À Oran, au café littéraire et artistique Le Manifeste, il est possible de découvrir de nombreuses œuvres de jeunes dessinateurs de la ville.
Art contemporain
Un retour à l’art figuratif s’opère dès les années 1990. Hocine Ziani, né en 1953, se rapproche de l’hyperréalisme ; Moussa Bourdine, né en 1946, réinterprète l’expressionnisme ; Layachi Hamidouche s’oriente vers le symbolisme.
Le mouvement Tadyert est constitué en 2003 par un groupe de six jeunes peintres oranais (Abdellah Ouldamer, Saïd Ouslimani, Fethi Abou, Farid Mesli, Miloud Taibi et Cherif Belzina). Tadyert, qui signifie « sublime », se situe entre le figuratif et l'abstrait. Des couleurs vives et une abondance de signes définissent ce courant.
Aujourd'hui, peintres, sculpteurs et photographes exposent leurs œuvres librement dans les galeries et centres culturels du pays. Les calligraphes continuent d’être mis à l’honneur. L’un des plus respectés, l’Oranais Noureddine Kour, a été exposé en 2017 au nouveau musée d’Art moderne d'Oran (MAMO). En parallèle, des galeries présentent des expositions novatrices comme la galerie Hang Art à Alger, qui a réuni la peintre Fatma Zohra Bouayouni et l'artiste textile Ikram, qui proposent deux facettes du patrimoine algérien.
Photo
En Algérie, la photographie a longtemps été inséparable du photojournalisme. Désormais, elle fait l’objet d’approches plus personnelles. Parmi les photographes à suivre, Youcef Krache, déjà célèbre, se compare à un chasseur d’images. Lola Khalfa se situe dans l’introspection et se nourrit de rencontres. Redouane Chaib, attaché à sa ville natale, aime saisir les contrastes d’Alger. Au musée d’Art moderne d’Alger (MAMA), l’exposition « Iqbal » a présenté en 2017 une vingtaine de jeunes photographes algériens. Certains, comme Ramzy Benssadi et Fethi Sahraoui, suivent une belle carrière internationale.
Un street art engagé
Présent dans les rues depuis les années 1990, le street art algérien rime avec revalorisation de l’espace public. Dans tout le pays, associations et collectivités font appel aux graffeurs pour rafraîchir le patrimoine architectural. Des lieux à l’abandon, comme la zone industrielle à el-Hamma, se muent en espaces de rencontres dynamiques.
Les pionniers, AKM Crew et AMOHN Crew, ont commencé par évoquer des questions sociales et politiques sur les murs d’Alger et de Tizi Ouzou. Contestataire devant l’Éternel, l’un des fondateurs de l’art urbain local, Klash 16, a recours au pochoir politique. Mais le street art algérien, s’il est engagé, fait aussi le plaisir des yeux. El Panchow n’a pas son pareil pour réaliser des œuvres qui touchent le passant.
Plus récemment, Amine Aitouche alias Sneak a transformé le stade de Kouba en œuvre d’art. Formé à l’École des beaux-arts d’Alger, Sneak s’est fait remarquer dès 2015 en exposant ses calligraffitis. Fusion entre la calligraphie et le graffiti, son art continue de redonner vie à des lieux délabrés des quartiers populaires.
Comme lui, les graffeurs sont nombreux à laisser libre cours à leur créativité dans les rues algériennes. Et pas seulement dans la capitale ! La ville portuaire de Mostaganem, à 80 km d’Oran, ou la commune de Boumerdès, située entre Alger et Tizi Ouzou, réservent des pépites du genre. Quand l’art algérien repousse les murs…