Découvrez la Jordanie : Les Bédouins

Nimbés d’une auréole mystérieuse, les Bédouins fascinent par leur mode de vie nomade autant qu’ils terrorisent par leurs mœurs guerrières. La mystique bédouine n’a cependant plus vraiment lieu d’être. Seule une poignée de Bédouins perpétue les traditions ancestrales en Jordanie et ils ne seraient qu’une dizaine de milliers à pratiquer encore le nomadisme. L’histoire des Bédouins remonte au moins jusqu’au VIe siècle av. J.-C. alors qu’ils occupaient les steppes de Syrie. Ils pratiquaient déjà le pastoralisme, menant leurs troupeaux de chèvres et de moutons de pâturages en points d’eau. La domestication du dromadaire les a conduits à devenir des caravaniers redoutés, pillant et massacrant les pèlerins du Hajj ou prélevant taxes et dîmes auprès des commerçants traversant leur territoire. Les Bédouins de Jordanie sont désormais sédentarisés, vivent dans des maisons en dur et possèdent des pick-up en lieu et place de dromadaires.

Les habitants du désert

Le terme de bédouin désigne une population nomade originaire de la péninsule arabe vivant dans le désert. Littéralement, bedu signifie « habitant du désert » en langue arabe. Les Bédouins sont divisés en plusieurs tribus que l’on retrouve dans tout le Proche et Moyen-Orient ainsi que dans les pays limitrophes du Sahara. Si la population bédouine est devenue hétérogène par ses migrations, elle partage une culture, une structure sociale et des dialectes spécifiques. La population totale est estimée à environ 25 millions, dont un peu plus de 6 millions vivent au Proche et Moyen-Orient. Pour certains, il suffit d’être issu d’une tribu bédouine pour en revendiquer l’appartenance, pour d’autres, la tradition du nomadisme est une condition indispensable. Traditionnellement, les Bédouins sont des tribus pastorales qui vivent de l’élevage des chèvres, des moutons et des dromadaires. Ayant pour habitat des zones désertiques, ils se déplacent régulièrement en quête de nourriture et de points d’eau pour leur bétail. Mais les bouleversements survenus dans ces régions au cours des XIXe et XXe siècles ont profondément modifié le mode de vie des Bédouins. L’instauration de frontières, l’entrée de ces pays dans la marche d’un monde globalisé, des politiques gouvernementales d’intégration ont contribué à la sédentarisation des Bédouins. En Jordanie, on estime la population à 1 300 000 personnes dont seulement une dizaine de milliers serait toujours nomade. Il existe une dizaine de tribus bédouines en Jordanie, dont la plus importante et la plus influente est la tribu des Sakher, surtout présente à Amman et Madaba. Les Bédouins vivant dans le désert du Wadi Rum appartiennent à la tribu des Howeytat, tandis que ceux vivant sur la rive orientale du Jourdain appartiennent à la tribu des Hasan. Les Bédouins sont majoritairement musulmans, même s’il existe quelques tribus chrétiennes, notamment en Jordanie.

A l’origine des Bédouins

Les Bédouins sont originaires du désert d’Arabie et font remonter leur lignée à Adnan, l’ancêtre des Arabes du nord, petit-fils d’Ismaïl ou à Qahtan, l’ancêtre mythique des Arabes du sud. On sait cependant qu’ils occupaient les steppes syriennes vers 6 000 av. J.-C., bien avant la naissance d’Adnan estimée à 122 av. J.-C. Les Bédouins de Syrie pratiquaient déjà le pastoralisme nomade. En 850 av. J.-C., ils répondaient à une organisation sociale et géographique bien établie. Ils étaient répartis en tribus occupant de vastes territoires à l’intérieur desquels ils se déplaçaient. Ils tiraient leurs revenus de la taxation des caravanes transitant sur leurs territoires ou conduisaient eux-mêmes des caravanes transportant marchandises et personnes à travers le désert. L’histoire ancienne des Bédouins est cependant mal connue et peu de faits sont renseignés avant la période ottomane. Il semble que les grammairiens chargés de standardiser la langue arabe au Haut Moyen Age se référaient aux Bédouins lorsqu’un doute subsistait sur la prononciation d’un mot et sa transcription exacte. Les nomades avaient la réputation de pratiquer l’arabe le plus pur. L’explorateur marocain Ibn Battouta les mentionne dans son journal de voyage alors qu’il se rend à Gaza depuis le Sinaï en 1326. Il rapporte que le poste de frontière de Qatya est gardé par des Bédouins chargés de récolter les taxes au profit des autorités égyptiennes.

La période ottomane

L’Empire ottoman, s’il s’est appuyé sur les tribus bédouines dans un premier temps, s’est empressé de leur tourner le dos lorsqu’il a commencé à perdre de sa puissance. Le pillage de la caravane du Hajj en 1757 marque un tournant dans leur histoire commune. Cette année-là, Qadan al-Fayez de la tribu des Sakher massacre une caravane de pèlerins de retour de La Mecque, faisant 20 000 morts. Cette attaque survient dans un contexte où les Ottomans auraient omis de rétribuer la tribu pour ses services de protection aux pèlerins sur les routes de La Mecque. Un siècle plus tard, alors que la puissance de l’Empire turc commence à se lézarder, le sultan entreprend une série de réformes. Parmi celles-ci, une loi impose de procéder à l’enregistrement des terres, pour permettre notamment d’améliorer la levée de l’impôt foncier. Les Bédouins renâclent à se soumettre à la procédure pour plusieurs raisons. Nombre d’entre eux sont analphabètes et ne comprennent pas l’enjeu d’une telle réforme ; d’autres refusent de devoir payer un tribut pour des terres qu’ils occupent depuis toujours ; enfin, d’une manière plus générale, ils ne disposent pas de traces écrites ou de titre de propriété permettant de prouver que les terres leur appartiennent. Les terres tombent alors dans le giron de l’empire et les Bédouins doivent désormais obtenir un bail appelé tapu pour pouvoir en disposer.

Du nomadisme à la sédentarisation

En faisant du Proche-Orient un enjeu géopolitique majeur, la Grande-Bretagne et la France ont contribué à la sédentarisation des Bédouins amorcée par les Turcs. La Première Guerre mondiale conduit à l’éclatement de l’Empire ottoman et à la mainmise du Proche-Orient par les deux grands vainqueurs européens de la guerre. Des frontières sont tracées pour former des pays de toute pièce, limitant le nomadisme traditionnel des Bédouins. Ils conservent cependant une certaine possibilité de déplacements transfrontaliers comme pour la tribu des Rwala, qui continue de transhumer annuellement entre la Syrie et l’Arabie Saoudite. L’apparition des véhicules motorisés contribue également à l’effondrement de l’économie bédouine. Les besoins en dromadaires pour arpenter les itinéraires caravaniers disparaissent. Le transport des marchandises s’effectue par bateaux remontant la mer Rouge et le canal de Suez. L’indépendance des pays du Proche et du Moyen-Orient obtenue à l’issue de la Seconde Guerre mondiale achève de sédentariser les Bédouins. Les nouveaux gouvernements mis en place ont besoin plus que jamais de contrôler leur population alors que se joue la survie du monde arabe face à la création de l’Etat d’Israël ou que les antagonismes entre sunnites et chiites se renforcent.

La famille au cœur de la tribu

La société bédouine est basée sur les liens du sang. L’organisation sociétale part de l’individu et s’élargit en cercles concentriques selon l’apophtegme « je suis contre mon frère, mon frère et moi sommes contre notre cousin, mon cousin et moi sommes contre l’étranger ». L’homme constitue le noyau et intègre à son premier cercle ses parents, ses frères et sœurs, son épouse et ses enfants. Le deuxième cercle intègre les oncles et tantes, les cousins, les beaux-frères et belles-sœurs et les beaux-parents. Le troisième cercle forme le clan, où l’on peut encore tracer les liens familiaux. L’agrégation de clans forme la tribu. Chaque clan ou tribu reconnaît l’autorité d’un cheikh. Il ne s’agit pas d’un chef à proprement parler, mais d’un sage qui émet des avis. Les membres d’une même tribu défendent un code d’honneur commun. Les femmes sont en possession de l’ird, une vertu qui peut être perdue par transgression sexuelle. L’ird va au-delà de la virginité, car il implique une dimension émotionnelle et morale. Ainsi, une femme peut perdre son ird sans porter atteinte à sa virginité, en entretenant une relation platonique par exemple. De même, lorsqu’elle se marie, elle perd sa virginité sans porter atteinte à l’intégrité de son ird. Une fois l’ird perdu, il ne peut être regagné. Les hommes répondent à un code d’honneur appelé charaf. Il implique la protection de l’ird des femmes de la famille, du territoire et de la tribu. Charaf et hamasa sont indissociables. Le second fait référence au courage dont doit faire preuve tout homme dans son quotidien et dans la défense de l’honneur du clan ou de la tribu. Enfin, la diyafa, l’obligation d’hospitalité, fait partie des vertus liées au code moral bédouin. Les Bédouins ont l’obligation d’héberger et de nourrir l’étranger de passage, même si celui-ci est un ennemi. La pauvreté ne constitue pas un motif d’exemption.

Ordalie et loi du Talion

Le système judiciaire traditionnel bédouin diffère selon les tribus. L’administration de la justice est bien antérieure à l’avènement de l’islam. Mais depuis l’assimilation des Bédouins dans les structures étatiques, ceux-ci se plient à la charia ou au Code pénal en vigueur. Les traditions de l’ordalie et de la loi du Talion sont tombées en désuétude. L’ordalie ne s’appliquait qu’aux crimes les plus graves. Il s’agissait de mettre un suspect à l’épreuve de la vérité en lui infligeant des sévices particulièrement sévères. La coutume de la bishaa était la plus fréquemment appliquée. Il s’agissait de passer une cuiller chauffée à blanc sur la langue du suspect. Si ce dernier surmontait l’épreuve sans trace de brûlure, il était considéré comme innocent. L’ordalie ne pouvait être administrée que par une cour spéciale composée de juges héréditaires. L’administration judiciaire pouvait compter de 1 à 3 échelons selon les tribus. En cas de crime de sang, la loi du Talion s’appliquait, sans même attendre une décision de justice. Les cousins jusqu’au 5e degré étaient tenus de venger la victime. Si le meurtrier ne pouvait être trouvé, on s’en prenait alors à un autre membre de sa tribu. En l’absence de prisons, les crimes étaient généralement punis par des châtiments corporels, voire de la peine de mort. Les infractions mineures au code d’honneur faisaient l’objet d’amendes. La règle de la solidarité s’applique et si le contrevenant ne s’acquittait pas des sommes dues, elles étaient alors exigées auprès des membres de son cercle proche.

Coutumes et traditions

Les Bédouins n’ont que peu de biens. Cela se résume à leur tente, leurs troupeaux et aux bijoux portés par les femmes. Les tentes sont faites de grandes couvertures tissées en poil de chèvre et de mouton mélangés, ce qui les rend étanches. Elles sont divisées en deux parties, séparées par une cloison décorative amovible appelée gata. La première partie est dévolue aux hommes et aux invités ; la seconde aux femmes, aux enfants et à la cuisine. Les femmes gèrent les tâches essentielles, telles que le ravitaillement en eau et en bois, la cuisine, le tissage, l’éducation des enfants, la traite des animaux ; les enfants surveillent les troupeaux ; les hommes s’occupent de la planification des tâches et assurent le lien social entre les différents membres de la tribu. Le régime bédouin est essentiellement basé sur les produits laitiers : lait frais, beurre, fromage. S’y ajoute du pain non levé ou du riz quand les stocks le permettent. La viande est réservée pour les mariages et les grandes fêtes ou en présence d’un invité. Les Bédouins se déplacent plus fréquemment en hiver, pendant la saison pluvieuse. Ils se positionnent en marge du désert en été. La culture bédouine des tribus de Pétra et du Wadi Rum sont inscrites au Patrimoine immatériel de l’UNESCO depuis 2008.

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