Aux origines

N’hésitez pas à vous lancer à l’assaut des monts et collines des Fidji, car l’effort en vaut la peine ! A leurs sommets, vous découvrirez les vestiges de citadelles et collines fortifiées, notamment à l’ouest de Viti Levu. Protégées par des fossés, ces citadelles se composaient de plateformes de pierre sur lesquelles étaient édifiés des postes de surveillance ; l’ensemble de l’établissement étant protégé par des murs en pierre suivant les lignes de crête. La colline fortifiée de Vatutaqiri possède sans doute les vestiges les plus impressionnants avec sa série de cinq murs de pierre concentriques, son tertre artificiel atteignant 12 m de haut et au sommet plat servant tout à la fois de refuge et de poste de garde. La colline fortifiée de Seseleka est un autre parfait exemple d’implantation fortifiée avec ce sommet plat servant de plateforme pour des résidences et des temples. Durant ces temps troublés, et comme le prouvent les collines fortifiées, assurer protection et sécurité était l’objectif principal. Les villages étaient donc le plus souvent encerclés de palissades de bois percées de portes fortifiées et protégés de remparts et fossés. Parfois, les communautés villageoises optaient pour certains types de cultures nécessitant des sols humides afin de rendre la zone marécageuse, et donc plus difficilement franchissable par d’éventuels ennemis. Les villages étaient organisés autour du rara, place centrale aux formes et dimensions variant selon la topographie. La Bure Levu était la demeure du chef. On la reconnaissait au fait qu’elle était disposée sur une plateforme plus élevée que celle des autres bâtiments et qu’elle était entourée de stèles de pierre. Son intérieur était également plus élaboré et décoré avec abondance. A l’opposé se trouvait la Bure Ni Kalou, la maison des esprits, elle aussi construite sur une haute plateforme, et reconnaissable à son haut toit. Elle faisait également l’objet de toutes les attentions décoratives, avec les joints entre poutres et poteaux recouverts de motifs élaborés, ainsi que de cordes de cocotier aux couleurs variées. Mais la décoration la plus étonnante était à voir sur la crête de toit où étaient placées des coquilles de porcelaines symbolisant… le nombre de victimes sacrifiées en l’honneur des dieux !

Dans les hautes terres du Sud-Ouest de Viti Levu, une autre forme d’architecture religieuse fut abondamment utilisée avant l’arrivée des colons : les nagas, places cultuelles utilisées pour les cérémonies. Il s’agissait de trois zones de plan rectangulaire clôturées par des murs de pierre peu élevés ou par un périmètre de stèles de pierre. A la fin de la troisième zone se trouvait le Vale Tembu, maison interdite dédiée aux ancêtres et réservée à l’initiation des membres des différents cultes. Chaque zone était réservée à un clan ou un rang social, les sociétés de l’époque étant extrêmement hiérarchisées. Le passage très étroit entre chaque zone marquait le fait que l’espace final n’était réservé qu’à un petit nombre d’élus. Une hiérarchisation de l’espace que l’on retrouvait dans les maisons, qu’elles soient de plan circulaire comme les Were Rausina de Viti Levu avec leurs toits de chaume recouvrant même les murs (ce qui leur valut le surnom de « bottes de paille ») et leurs étonnantes charpentes mêlant système de poutres et chevrons et anneaux structurants faits de lianes entremêlées ; ou de plan rectangulaire. Les maisons fidjiennes étaient originellement divisées en trois espaces : l’arrière, privé et réservé à la famille, baptisé Loqi ; l’espace public possédant le plus souvent le foyer baptisé Soliqa ; et l’espace semi-public réservé aux personnes de haut rang appelé Loma Ni Vale. Ces derniers passaient par la Katuba Lailai, la porte située sur le côté le plus long de la maison et faisant face à la place du village ; tandis que les personnes lambda passaient par la Katuba Levu, porte située sur le côté le plus court. Certaines maisons étaient réservées aux hommes uniquement, ou aux célibataires, chaque maison possédant des espaces privés et clôturés. N’usant que de matériaux naturels et locaux (bambou, roseaux, feuillage, bois…), ces maisons étaient également construites sans aucun clou ou joint de charpentier, toutes les parties de la structure étant des pièces de bois rondes dont seules les extrémités étaient taillées de manière à recevoir les poutres et piliers, assurant ainsi une stabilité parfaite. Et tout ceci se faisait uniquement à l’aide d’outils en pierre ou en coquillages ! C’était là le grand pouvoir des Mataisau, les charpentiers traditionnels dont les enseignements se transmettent aujourd’hui encore. Dans les régions côtières, certains établirent même d’étonnants abris baptisés Vale Leka, et ne possédant pas de murs, le toit étant posé à même le sol et donnant à l’ensemble une forme triangulaire caractéristique… et extrêmement résistante aux assauts de la Terre !

Période coloniale

Durant cette période, l’architecture européenne n’a pas été simplement transposée par les colons britanniques, elle a été très tôt transformée et adaptée au climat et au génie du lieu en y incorporant de façon consciente des éléments de la culture fidjienne. D’une manière générale, la présence européenne a coïncidé avec l’essor des centres urbains (Suva, Levuka) et à l’essor d’une architecture tropicale reconnaissable à ses balcons, galeries et vérandas, à ses façades colorées aux pignons de formes variées. Classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, la ville portuaire historique de Levuka conserve de très beaux exemples de cette architecture hybride. L’élément central de cette implantation portuaire est la digue de pierre et de béton d’où rayonnent les rues de la ville, épousant les contours d’une topographie souvent irrégulière. De plain-pied ou à deux étages maximum, aux toits en croupe ou à pignons, les bâtiments commerciaux montrent l’intérêt porté à la façade, qui devient objet de théâtralisation, le rez-de-chaussée étant réservé aux espaces de commerce, et le premier étage aux logements. Usines, logements des ouvriers, mais aussi établissements éducatifs ou religieux installés à proximité des villages autochtones tout proches comptent parmi les autres éléments phares de la Levuka coloniale. La Nasova House (l’ancien bâtiment principal du régime colonial britannique) est un parfait exemple de cette époque. Sa blancheur éclatante, ses belles arcades dévoilant des galeries ombragées en font la quintessence de l’architecture coloniale tropicale, mais si l’on regarde bien l’organisation de ce complexe gouvernemental, on découvre que l’ensemble reprend la disposition des villages fidjiens avec l’importance donnée à la maison du chef, les fossés et routes de protection, la présence de la nature avec ce grand jardin. On remarquera également que cuisine et sanitaires sont séparés de la maison principale, un apport dû aux colons européens qui craignaient incendies et insalubrité. Même hiérarchisation des espaces au Parlement de Veiuto qui possède le plus haut toit du complexe gouvernemental pour y souligner sa place prépondérante. Dans les villages, les rara ou places centrales s’agrandissent, généralement selon un plan rectangulaire, et désormais la maison du chef fait face, non plus à la maison des esprits, mais aux églises aux accents résolument victoriens (comprenez des styles néo-romans ou néogothiques, faisant la part belle aux matériaux modernes, briques et béton en particulier). Au tournant du XXe siècle, les îles commencent à attirer les touristes et l’Union Steamship Company of New Zealand décide de faire construire un hôtel pour ses usagers de passage à Suva. C’est la naissance du Grand Pacific Hotel Suva avec ses hauts plafonds, ses grandes portes doubles à persiennes et ses vérandas typiques de l’architecture coloniale… mais derrière tout cela se cache une grande modernité. L’hôtel est en effet construit sur des fondations flottantes, sorte de radeau de béton armé, lui permettant de mieux résister aux assauts du ciel et de la Terre. Ingénieux ! Une modernité que l’on devine également dans ses jeux de lignes courbes et droites, de symétrie et de géométrie qui rappellent un style qui va également se développer sur les îles : l’Art déco. Parmi les grands représentants de ce style moderne, notons : le Regal Theatre à Suva, ou bien encore le Governement Buildings Complex de la capitale avec sa tour d’horloge et sa façade rythmée de colonnes aux lignes géométriques simples et sans ornementation. Enfin, cette période coloniale est marquée par la présence de travailleurs étrangers, indiens notamment, qui ont également marqué les îles de leur empreinte. Il n’est ainsi pas rare de découvrir ici une élégante mosquée à l’architecture tout en simplicité, ou là de superbes temples hindous tout en couleurs et en ostentation. Ne manquez pas le Sri Siva Subramaniya Temple à Nadi, dont on ne peut qu’admirer la superbe tour pyramidale à étages multiples ornés de centaines de niches et statues, ou bien encore la structure hypostyle (entourée de colonnes) du sanctuaire placé sur une haute plateforme. Eblouissant !

Entre tradition et innovation

En 2016, près de 30 000 maisons furent détruites ou sévèrement endommagées par le cyclone Winston. Après le désastre, il est apparu évident que nombre de constructions modernes en béton ou en tôle ondulée ne possédaient pas la résistance nécessaire pour supporter de tels assauts, ou pire, pouvaient s’avérer extrêmement dangereuses notamment en cas de débris soufflés par les vents. Exsangues, les îles Fidji se sont d’abord tournées vers l’aide internationale avec des programmes comme Build Back Better de l’ONU, ou en faisant appel à des entreprises comme Framecad connue pour ses  systèmes de cadres métalliques préfabriqués solides et résilients, ici utilisés pour reconstruire des écoles. Mais rapidement, les regards se sont tournés vers un village en particulier, Navala, dont une grande partie des maisons traditionnelles (bure de type rausina, c’est-à-dire faite de roseaux ou d’herbe) avaient résisté au cyclone. Pour comprendre leur étonnante résistance, il faut revenir à la manière dont elles sont conçues. Ces bures sont construites sur des fondations de terre de plan rectangulaire ou carré, que l’on vient renforcer de pierres et de cailloux afin d’éviter qu’elles ne soient balayées par les eaux. On y enfonce ensuite solidement les piliers de bois qui serviront à soutenir la charpente. Pilier central ou système de piliers placés aux extrémités, ces variations donnent aux bures des silhouettes uniques. Chaque élément de la charpente s’interconnecte avec les autres créant une plus grande stabilité. De même, les toits de chaume de bambou à quatre pans et très pentus et sans saillie offrent une plus grande résistance aux cyclones. Ne possédant qu’une petite porte en bois percée dans des panneaux muraux en treillis de bambou, et pas de fenêtre, ces maisons ne laissent que peu de prise aux vents. Les matériaux naturels, protégés des infestations par une fumigation intérieure, offrent une bien meilleure isolation que tous les matériaux modernes. Même les sols en terre ou argile compactées, puis recouverts de fougères et de tapis de palmiers ou de cocotiers offrent un confort plus durable que les maisons de planches et de tôle ondulée que l’on voit se développer un peu partout. Il y a dans l’architecture vernaculaire fidjienne une compréhension instinctive du climat qui explique la variété des formes d’habitats, comme en témoignent également les maisons basses à proximité du volcan Taveuni. On comprend donc aisément que ces bures soient devenues une référence pour les architectes contemporains soucieux d’imaginer une architecture durable et résiliente. Loata Ho, seule femme indigène des îles à avoir été formée à l’architecture, a créé le cabinet WomenBuild qui vise à redonner aux femmes leur place dans le processus créatif. En partenariat avec Architectes sans Frontières, Loata Ho a réalisé le Cakaudrove Women’s Resource Centre, élégante et vaste bure contemporaine, récompensée en 2020 du Australian Good Design Award. Nombreux sont également les resorts de luxe à faire le choix d’une architecture sobre et écoresponsable, s’appuyant sur les enseignements de l’architecture vernaculaire. C’est le cas du superbe Likuliku Lagoon Resort avec ses maisons en chaume de palme et sa jetée en bois ; le resort de Laucala Island avec ses 25 villas/bures ; ou bien encore l’étonnante station balnéaire et écologique de Jean-Michel Cousteau organisée comme un village traditionnel et faisant la part belle aux matériaux locaux et aux innovations écologiques (panneaux solaires, traitement des eaux…) Sobriété et durabilité sont également les maîtres mots du studio Caukin à qui l’on doit les très élégants Naidi Community Hall et Urata Lookout Cafe, deux structures de bois, offrant de superbes jeux de textures, de lumière et de volumes, tout en créant de magnifiques perspectives sur la nature environnante. Même les gratte-ciel qui poussent dans la capitale cherchent le plus souvent à maintenir un lien avec la tradition fidjienne, comme la Reserve Bank of Fiji et ses motifs traditionnels de mâts à cornes en façade. Tournées vers la modernité, les îles Fidji gardent leurs pieds bien ancrés dans une tradition qui a, au fil des siècles, démontré toutes ses qualités !