Architecture originelle
C’est durant l’époque précoloniale que s’est développé un type d’habitat qui constitue aujourd’hui l’un des symboles traditionnels des îles Trinidad & Tobago : l’ajoupa. Cet habitat, originellement en matériaux naturels, est entièrement conçu pour s’adapter au climat des îles : toits très pentus en feuilles de palmes étroitement tressées pour protéger de la pluie et permettre l’écoulement des eaux ; solides panneaux muraux réalisés à l’aide de poteaux de bois taillés grossièrement et joints par du tapia (mélange de paille et de boue), mais avec des espaces laissés libres pour permettre une ventilation permanente des espaces intérieurs, également permise par l’existence d’une entrée unique constamment ouverte. Ces structures, de plan rectangulaire ou circulaire, étaient très souvent bâties sur des pilotis de bois, la surélévation permettant de se prémunir des inondations fréquentes, et des nuisibles, tout en assurant une aération constante. Cet habitat originel s’est perpétué à travers les siècles, se dotant d’éléments modernes. Au XIXe siècle, nait ainsi le style « cottage » des ajoupas, qui conservent leur structure sur pilotis, leurs cadres en bois et leurs panneaux treillissés et aérés remplis d’un mélange de terre humide, mais qui se dotent également de hauts pignons décorés, de lucarnes de toits où la tôle galvanisée a souvent remplacé le chaume, de fenêtres protégées par des volets en bois, et surtout de façades colorées. Des couleurs vives que l’on retrouve sur les pittoresques maisons de plage en bois, le plus souvent dotées de grandes terrasses aérées.
Epoque coloniale
Les premiers à avoir apposé leur marque sur les îles Trinidad & Tobago sont les Espagnols, au XVIe siècle. Les premières constructions sont d’ordre militaire. L’un des seuls témoins de cette période est le Fort Andres à Port of Spain, qui remplaçait à l’origine une redoute de terre et de fagots de branchages, et qui fut conçu comme un môle protecteur relié à la terre par un pont en bois. En matière d’urbanisme, les édits royaux imposent le plan en damier, comme le prouve la structure originelle de Port of Spain. Les colons espagnols ont également construit de nombreuses missions qui étaient conçues comme de véritables villes miniatures. Elles s’organisaient autour de cours bordées des bâtiments phares de la mission. A l’Est, et toujours orientée Est-Ouest, se trouvait l’église, flanquée de la maison communautaire, et dont l’architecture traduisait alors un mélange de styles européens et locaux, avec murs en tapia, toits de chaume et sculptures en bois. Le reste des bâtiments était le plus souvent en adobe ou en clayonnages de bois enduits de torchis. A l’intérieur des missions se trouvaient également des maisons familiales amérindiennes reconnaissables à leurs structures rectangulaires ouvertes. Mais ce sont surtout les colons français et anglais qui ont laissé l’empreinte la plus forte sur Trinidad & Tobago. Au XVIIe siècle, les Français font le choix de la solidité et de la massivité en construisant principalement en pierre, dans des styles qui donnent aux îles des allures de province française avec leurs demeures aux toits mansardés. La présence britannique, elle, se fait d’abord militaire. Le Fort George et le Fort Abercromby appartenaient ainsi à un large système de fortifications comprenant une série de batteries, des tours de guet et donjons et des séries de plateformes offrant des vues dégagées et stratégiques assurant la protection de Trinidad. A la suite du grand incendie de 1808 qui ravage une grande partie de Port of Spain, Sir Ralph Woodford, le gouverneur de l’époque, décide d’un nouveau plan d’urbanisme fondé sur un plan en grille et une architecture d’inspiration britannique. Objectif : reconstruire, agrandir, embellir. Le grand symbole de cette reconstruction est la Cathedral of Immaculate Conception, entièrement repensée dans un style néogothique avec de superbes vitraux (et un clocher dont le calcaire sera finalement remplacé par une structure en bois pour éviter de trop gros dommages en cas de séismes !) Autre très bel exemple de néogothique : la Holy Trinity Cathedral avec ses fenêtres à lancettes, ses contreforts en pin et ses toits aux pentes très prononcés, le tout réalisé en bois local, calcaire bleu issu des carrières de Laventille et en briques jaunes importées d’Angleterre. Pour les édifices publics, les Britanniques optent pour le très sobre et harmonieux néoclassique que l’on retrouve notamment à l’Hôpital Général de Port of Spain. Puis vers la fin du XIXe siècle, les îles vont connaître une effervescence architecturale sans précédent. Né d’un mélange d’influences françaises, britanniques et locales, le style trinidadien qui se développe se fait résolument éclectique, mais surtout parfaitement adapté au climat des îles.
C’est ainsi que l’on voit naître celles que l’on baptise les Gingerbread Houses (également très présentes sur l’île d’Haïti). Leurs caractéristiques phares : des toits ornés de pannes faîtières sculptées, de crêtes et corniches décorées d’éléments finement ciselés, de lucarnes flanquées d’éléments moulurés, de pignons pentus décorés de pièces de bois ou de métal chantournées et d’éléments pyramidaux offrant une impression de hauteur et d’élévation ; et des façades rythmées par des avancées de toit en saillie ornées de lambrequins de bois ou de fer forgé travaillés comme de la dentelle, des balcons aux balustrades de fonte ou fer forgé aux élégants entrelacs, des galeries offrant un rapport intérieur/extérieur constant, des portes et fenêtres protégées de jalousies, persiennes ou système de claire-voie (on parle également de fenêtres Demerara, c’est-à-dire des fenêtres à persiennes sans vitre mais protégées par des volets en bois articulés). Ces élégants pavillons étaient le plus souvent construits en bois sur des fondations mêlant structures sur pilotis et éléments de maçonnerie, et souvent précédés de portiques aux élégants treillis de métal protecteurs. Organisés autour de cours ou atriums assurant lumière et aération, ces pavillons possédaient des pièces aux plafonds hauts et voûtés pour permettre la circulation de l’air. Le grand maître de ce style était l’architecte George Brown qui a contribué à populariser ce style auprès des classes populaires. Sa signature ? L’architecte prenait soin de toujours incorporer des éléments venus de son Ecosse natale, qu’il s’agisse de matériaux (fonte), de machines importées de l’île pour travailler les matériaux ou de petits symboles décoratifs. Vous pourrez observer un grand nombre de ces trésors dans les quartiers de Woodbrook, Belmont et Saint-Clair à Port of Spain. Cet éclectisme très victorien s’est également manifesté dans l’essor d’une architecture commerçante, notamment le long de Frederick Street, avec des boutiques aux grandes façades vitrées rythmées de colonnes décoratives en fonte, créant des galeries protectrices pour les passants ; et d’une attention particulière portée aux parcs, espaces verts et autres jardins botaniques, dont ceux de Port of Spain qui comptent parmi les plus anciens au monde. Queen’s Park Savannah est l’emblème de cette architecture verte avec ses 110 ha et 3,5 km de périmètre (qui en font l’un des ronds-points de circulation les plus longs du monde !) et ses terrains de cricket et rugby so british. Une nature qui, au tournant du siècle, a servi d’écrin à une architecture dont l’éclectisme a été poussé à son maximum, comme le prouvent les « Sept Magnifiques », demeures légendaires qui vont vous faire tourner la tête. Ne manquez surtout pas : le Stollmeyer’s Castle dont l’imposante structure crénelée de pierres grises est directement inspirée du Château de Balmoral ; l’Ambard’s House qui mêle foisonnant décor inspiré du baroque italien (le marbre est d’ailleurs importé d’Italie), toits mansardés de tuiles à la française, et décors en fonte d’origine écossaise ; Whitehall avec ses allures de villa méditerranéenne tout en calcaire blanc de la Barbade ; ou bien encore Hayes Court avec ses céramiques et tuiles de terra-cotta, ses marbres italiens, ses fenêtres Demerara locale et ses décors très écossais ; et le Queen’s Royal College qui porte la marque très Renaissance allemande de l’architecte Daniel Hahn à qui l’on doit également les célèbres Red House avec ses élégants tympans et frontons, et la National Museum and Art Gallery. Parmi les autres chefs-d’œuvre de ce tournant du siècle, ne manquez pas : le Knowsley Building dont l’élégante structure mêle brique jaune, calcaire local travaillé à la main et bois violet de Guyane ; et la Maison Boissière avec ses superbes crêtes et lambrequins ciselés telle de la dentelle, son élégant portique et surtout ses petits pavillons aux toits rappelant les pagodes asiatiques. Un mélange des genres très prisés par les maîtres des grandes plantations dont les demeures trônaient au milieu de vastes domaines. Grandes vérandas, larges terrasses et nombreuses fenêtres assuraient des vues magnifiques sur la nature… mais permettaient aussi de surveiller l’activité de la plantation et de ses esclaves. Cette somptueuse architecture ne doit pas faire oublier que tout le système des plantations (cacao, sucre, indigo…) reposait sur l’esclavage. D’origine africaine, les esclaves étaient parqués dans des « quartiers » où ils parvenaient malgré tout à garder leurs traditions vivantes, notamment en matière d’habitat, où ils construisaient de longs bâtiments rectangulaires érigés sur pilotis et aux toits de chaume, le plus souvent réalisés en clayonnages de bois et argile, et flanqués de porches et espaces protégés essentiels à la vie de la communauté.
Architecture moderne et contemporaine
Moins nombreux que les étonnants témoins de l’éclectisme trinidadien, quelques intéressants bâtiments modernes ont malgré tout été construits à Port of Spain ; des bâtiments aux lignes géométriques simples et épurées d’inspiration résolument Art Déco, à l’image du Treasury Building et du McEnearny Building. Durant la Seconde Guerre Mondiale, les îles Trinidad & Tobago servent de base militaire aux Américains qui vont, dès lors, marquer de leur empreinte l’architecture locale, notamment en matière résidentielle. Après-guerre, l’architecte trinidadien Anthony Lewis, formé à l’Illinois Institute of Technology, s’inspire du style international de Mies van der Rohe, avec qui il a étudié, tout en y incorporant des éléments locaux inspirés des ajoupas. La Wight House, avec ses volumes rectangulaires et horizontaux de béton, sa façade couverte d’éléments en bois dessinant des motifs verticaux et son toit composé de blocs aérés, est un parfait exemple de ce mélange des genres. D’autres architectes, eux, puiseront leur inspiration dans l’architecture organique de Frank Lloyd Wright, réalisant d’élégantes maisons aux grandes baies vitrées coulissantes, avec balcons et terrasses, l’ensemble mêlant harmonieusement bois et béton. L’influence américaine se fait également ressentir en périphérie de la capitale avec la multiplication de maisons de styles ranch ou bungalow. Après des années marquées par une forte crise économique et sociale, les îles connaissent, dans les années 1990, un essor économique fulgurant fondé sur les industries gazières et pétrolières. Partout, et à Port of Spain surtout, se dressent des tours de verre et d’acier. Le Eric Williams Financial Complex est la quintessence de cette architecture de la prospérité avec ses deux gratte-ciel de 92 m de haut, rebaptisés les Twin Towers. Il est intéressant de remarquer que les deux tours ont été conçues de manière à pouvoir mieux résister aux séismes : contreventements croisés et murs porteurs ont été élaborés de manière à absorber de 15 à 85% des poussées sismiques, tandis que les bases des tours sont dotées d’un système de plaques et poutres conçu comme une sorte de radeau flottant absorbant les secousses et assurant une meilleure résistance. Non loin de là, la Nicholas Tower, de plan elliptique et tout en verre bleu, s’élance, elle, à 88 m de haut. Mais la plus intéressante des réalisations contemporaines reste bien sûr la National Academy of Performing Arts, étonnante structure de verre tout en arches et en courbes, lui donnant des allures d’élégant coquillage. Déjà très présente aux siècles précédents, comme le montrent de très belles villas telle la Lion House de Chaguaras, tout en arches, entrelacs, et sublimée par un étonnant travail de la couleur, l’influence indienne est encore très prégnante aujourd’hui, comme le prouvent deux superbes temples hindous à ne surtout pas manquer : le Temple sur la Mer de Carapichaima, (ainsi baptisé parce qu’il fallut des années pour le construire sur cette zone humide et marécageuse à proximité de la mer) entouré de nombreuses statues, de plan octogonal, tout en couleurs, et célèbre pour ses murtis (divinités indiennes sculptées dans l’or, l’argent, le bronze ou la pierre) ; et le Sri Dattatreya Centre à l’entrée flanquée de deux statues géantes d’éléphants et aux plafonds ornés de multiples peintures et statuettes colorées. Etonnant !