Flore
Richesse des forêts vietnamiennes. On estime qu’à l’origine, près de 80 % du territoire qui constitue aujourd’hui le Viêt Nam étaient couverts de forêts, forêts tropicales denses, forêts tempérées en altitude, forêt-clairière dans le sud du Centre, pinèdes dans les hauts plateaux, forêts de palétuviers aux racines plongeant dans l’eau à l’embouchure des fleuves… Les premiers inventaires systématiques de la flore indochinoise ont été établis par des botanistes français. La Flore forestière de Cochinchine de Louis Pierre, directeur du jardin botanique de Saigon, est publiée sous les auspices du ministère de la Marine et des Colonies en 1880. Elle est suivie par la monumentale Flore générale de l’Indochine, ouvrage collectif dirigé par H. Lecomte, subventionné par le gouvernement de la colonie, et publié entre 1907 et 1951. Ces travaux révèlent l’abondance et la variété des espèces estimées entre 11 000 et 12 000, inconnues pour la plupart en Europe. Les espèces endémiques formeraient le quart ou le tiers de cet effectif. L’organisation de la végétation dépend de la nature du terrain et de l’altitude, où s’épanouit une flore « tempérée sino-himalayenne ». Parmi les essences les plus précieuses, le lim (Erythrophleum fordii) ou bois de fer, imputrescible et qui était utilisé dans la construction des palais et des pagodes ; le gu (Sindora Cochinchinensis), très dur et très lourd, utilisé en batellerie pour la fabrication des membrures ; le huynh (Tarrietia Cochinchinensis), dont le bois est rouge, fibreux, résistant aux intempéries et aux insectes ; le dang huong (Pterocarpus), quelquefois assimilé au « bois de rose », rouge et veiné, utilisé en ébénisterie, résistant aux intempéries et non attaqué par les insectes. La richesse originelle des forêts vietnamiennes transparaît dans le récit des explorateurs. Au XVIIIe siècle, Pierre Poivre, missionnaire, botaniste et « découvreur » des épices, qui vécut à Faifo (Hôi An), remarque que la cannelle de Cochinchine se vend de trois à quatre fois plus cher que celle de Ceylan, vendue par les Hollandais. Dans son récit Autour du Tonkin, Henri d’Orléans (1867-1901) s’intéresse au commerce de la cardamome (Elettaria cardamomum) et du benjoin, résine obtenue par l’incision du tronc d’un grand arbre (Styrax tonkinensis), et utilisée en pharmacopée et en parfumerie.
En des temps plus anciens, Cristoforo Borri (1583-1632), jésuite milanais, l’un des premiers missionnaires à pénétrer en Cochinchine, s’était penché sur le commerce du bois d’aigle, également appelé calambac, bois d’aloès ou bois d’agar (en vietnamien, Trâm huong, Trâm gio ou Ky nam). Il s’agit d’une résine parfumée produite par un arbre (Aquilaria) du fait d’une blessure ou d’une moisissure. Les arbres peuvent atteindre 40 m de haut et entre 1,5 et 2,5 m de diamètre. Ils poussent généralement dans les régions montagneuses, au Viêt Nam, mais également en Indonésie, en Malaisie, au Cambodge, en Thaïlande, au Laos et en Papouasie–Nouvelle-Guinée. Cependant, tous les Aquilaria ne produisent pas de résine et il est impossible de juger de l’extérieur si un arbre est ou non infecté. Abattre l’arbre est donc souvent le seul moyen de savoir s’il contient la précieuse résine. Au Viêt Nam, d’anciens textes évoquent l’utilisation du bois d’aigle en relation avec des moines bouddhistes itinérants. On sait également qu’il jouait un rôle important dans l’économie des royaumes du Champa où les produits des régions montagnardes venaient alimenter le commerce des comptoirs maritimes. Aujourd’hui, le bois d’aigle, utilisé pour la fabrication de l’encens, dans la parfumerie ou les produits cosmétiques, est toujours aussi recherché et très demandé, surtout en Asie et dans les pays du Golfe. Il sert à la fabrication de la plus précieuse des huiles essentielles, dont le prix atteint jusqu’à dix fois celui de l’huile de bois de santal. En raison de cette valeur commerciale, les coupes sauvages pratiquées dans les forêts ont conduit à une extrême raréfaction de l’espèce et à son inscription sur la liste de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Pourtant, le trafic bat son plein et dans les hauts plateaux du Viêt Nam, les chasseurs de résine affrontent les périls de la forêt et les embuscades meurtrières de leurs concurrents à la recherche de l’arbre qui les rendra riches.
Menaces sur les forêts du pays. L’histoire du bois d’aigle est emblématique des menaces qui pèsent sur les forêts vietnamiennes… ou sur ce qu’il en reste. Car aujourd’hui, le Viêt Nam est l’un des pays les moins forestiers d’Asie du Sud-Est. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), sur 12,9 millions d’hectares officiellement classifiés en forêts, seuls 85 000 ha sont couverts d’une forêt primaire vierge c’est-à-dire qui n’a jamais subi de dommages liés à une activité humaine, soit seulement 1 % de la superficie nationale. Vers 1943, les forêts couvraient encore près de 43 % de la superficie du pays. De 1945 à 1975, le Viêt Nam a connu une période de guerre ininterrompue qui a causé des destructions à grande échelle. Les effets dévastateurs des bombardements américains sur la végétation sont encore manifestes. Des millions d’hectares de forêts, en particulier dans le sud, ont été emportés par les tapis de bombes, l’épandage de 72 millions de litres de défoliants sur près de la moitié de la surface forestière totale, la mise à nu du sol par les bulldozers ou l’usage du napalm. L’après-guerre n’apportera aucun répit à la couverture forestière dont la régression s’emballe en raison de l’accroissement de la population, de l’urbanisation et des migrations. Entre également en jeu un problème de représentation historique. Les Viêt, hommes des plaines deltaïques et de la riziculture irriguée, ont historiquement considéré la forêt comme un espace hostile, qu’il fallait défricher, une vision antagoniste de celle des ethnies montagnardes qui entretiennent avec la forêt une relation étroite, où les aspects spirituels tiennent une place fondamentale. Depuis la fin des années 1980 et l’ouverture économique, les zones forestières ont donc été identifiées comme des zones pionnières destinées à l’extension des cultures de rente (en particulier, la caféiculture dans les hauts plateaux) au détriment de la sylve originelle et de la diversité biologique. Selon les dernières données de Global Forest Watch, de 2001 à 2018, le Viêt Nam a encore perdu 2,64 millions d’hectares de couvert forestier, soit 16 % de diminution depuis 2000, une tendance qui conduit à un appauvrissement écologique qui semble inéluctable. Le reste de couverture forestière du Viêt Nam se concentre aujourd’hui dans les hauts plateaux (les cinq provinces de Tây Nguyên portent officiellement à elles seules le quart des espaces forestiers nationaux), dans quelques zones d’altitude et dans les parcs nationaux où elles sont censées être protégées, ce qui n’effraye ni les braconniers ni les coupeurs de bois. Officiellement, les autorités vietnamiennes ont pris conscience des enjeux sociaux et environnementaux liés à la forêt. Le gouvernement vietnamien mène d’ailleurs une politique de reforestation, qui, si elle permet d’améliorer les statistiques relatives au couvert forestier, reste peu convaincante : choix d’essences inappropriées, plantation d’arbres en monoculture, couverture insuffisante... Seule note optimiste, de nouvelles espèces végétales sont régulièrement découvertes au Viêt Nam. C’est le cas notamment du Xanthocyparis vietnamensis (le cyprès doré vietnamien) ; révélée en octobre 1999, c’est la seule nouvelle espèce de conifère découverte dans le monde depuis 1948. Également, de deux espèces de Camellia, Camellia vuquangensis et Camellia hatinhensis, découvertes en 2016 dans une zone protégée de la province de Ha Tinh.
Faune
De même que pour la flore, la diversité des écosystèmes favorise la richesse de la faune. On dénombre des milliers d’espèces : 275 pour les mammifères, 180 pour les reptiles, 826 pour les oiseaux, 80 pour les amphibies, environ 5 000 espèces de poissons et 12 000 espèces d’insectes. Mais la réduction des superficies forestières et la chasse illégale ont déjà provoqué la disparition de nombreuses espèces de mammifères, et la liste des animaux en voie d’extinction ne cesse de s’allonger.
Espèces en voie d’extinction. Le tigre, autrefois, pullulait dans les forêts vietnamiennes, qui fournissaient au grand carnivore de vastes territoires de chasse. Les archives coloniales nous apprennent qu’à la fin du XIXe siècle, le tigre semait la terreur. Plusieurs centaines de victimes périssaient chaque année, dévorées par le terrible fauve : 1,10 m de hauteur et jusqu’à 3 m de la gueule à l’extrémité de la queue. De crainte d’attirer l’attention du tigre – réputé pour avoir l’ouïe très fine –, les Vietnamiens, aujourd’hui encore, ne parlent de lui qu’à voix basse et avec déférence. Ils s’interdisent de prononcer son nom et évoquent de manière allusive Ong Kop. En vietnamien, Ong, qui signifie Monsieur, Maître, est réservé aux hautes personnalités dignes du plus grand respect et Kop est une onomatopée qui rappelle le feulement du tigre. Les autorités coloniales prennent des mesures afin « d’éliminer progressivement la race carnassière ». Elles octroient des primes et généralisent le piégeage. De nombreux animaux sont capturés vivants et certains entreprennent un long voyage, jusqu’à Paris, où ils découvrent les cages du Jardin des plantes. Pris très jeunes, les tigres s’apprivoisent facilement et en 1875, un arrêté municipal interdit aux Saïgonnais de se promener en ville avec un tigre « même tenu en laisse ». Aujourd’hui, il subsisterait moins de cinq tigres dans les forêts vietnamiennes. L’espèce est « fonctionnellement éteinte », c’est-à-dire que sa population s’est amenuisée à un point tel qu’elle est devenue incapable de se reproduire ou de remplir son rôle dans l’écosystème. Le Viêt Nam compterait par ailleurs plusieurs centaines de tigres retenus en captivité dans des fermes d’élevage plus ou moins clandestines où ils se reproduisent pour être abattus afin d’entretenir un commerce illégal, mais très lucratif de peaux, d’os et de griffes utilisés pour de prétendues vertus curatives. Triste destin pour Ong kop !
Comme le tigre, l’éléphant tient un rôle éminent dans la tradition vietnamienne. On trouve nombre de statues en pierre et les éléphants domestiques étaient utilisés comme animaux de parade dans les cérémonies officielles, mais également comme animaux de guerre. Placés sous l’autorité d’un mandarin de grade élevé, ils étaient chargés d’ouvrir la brèche dans les lignes adverses. Au début du XXe siècle, on recensait dans le pays environ 5 000 éléphants. En 1980, leur nombre était estimé entre 1 500 et 2 000. Aujourd’hui, il n’en subsisterait que moins d’une centaine dans les forêts vietnamiennes, dans les hauts plateaux et la province du Nghe An. La population des éléphants sauvages, comme celle des tigres, est désormais considérée comme « fonctionnellement éteinte », victime de la guerre, de l’épandage des herbicides, de la déforestation, du commerce de l’ivoire (aujourd’hui illégal)… On recenserait moins de 200 éléphants domestiques (contre 600 en 1980), localisés dans la province du Dak Lak où il existe chez les ethnies minoritaires une longue tradition de capture et de dressage.
Autre pachyderme, le rhinocéros (Rhinoceros sondaicus annamiticus). Le corps du dernier spécimen, une femelle entre 15 et 25 ans, fut découvert dans le Parc national de Cat Tien en avril 2010. L’animal avait été abattu par un braconnier qui avait prélevé la corne à laquelle la médecine traditionnelle sino-vietnamienne attribue des propriétés aphrodisiaques. Le rhinocéros a donc totalement disparu.
Découverte de nouvelles espèces. Après le cimetière des espèces disparues ou en voie d’extinction, un peu d’optimisme avec la révélation de nouvelles espèces récemment découvertes. Le Viêt Nam est en effet l’un des rares endroits de la planète où l’on découvre encore des espèces aussi bien végétales qu’animales. C’est notamment le cas du saola (Pseudoryx nghetinhensis), cousin des bovins, mais d’une apparence proche de l’antilope, découvert en 1992 dans la province de Ha Tinh, à la frontière entre le Viêt Nam et le Laos. L’espèce reste mystérieuse et invisible. On ne recenserait au maximum que 200 individus. Depuis la découverte du saola, le Viêt Nam et le Laos ont créé un réseau d’aires protégées dans la zone centrale d’habitation de l’animal, et s’efforcent de lutter contre le braconnage. Deux nouvelles espèces de cerfs ont également été découvertes dans la région, le Muntjac géant (Muntiacus vuquangensis) en 1994 et le Truong Son Muntjac (Muntiacus truongsonensis) en 1997, sans oublier d’autres espèces moins spectaculaires, mais tout aussi importantes pour les écosystèmes : le crocodile-lézard du Viêt Nam (Shinisaurus crocodilurus vietnamensis) identifié en 2003 ; une chauve-souris (Murina kontumensis) détectée sur les hauts plateaux ; le lapin tigré (Nesolagus timminsi) ; un serpent venimeux aux yeux rouge vif (Trimeresurus rubeus), découvert dans les forêts proches de Hô Chi Minh-Ville ; plusieurs espèces d’oiseaux, dont l’actinodure à calotte noire (Actinodura sodangorum)… L’identification d’une nouvelle espèce constitue toujours une bonne nouvelle, mais implique également une course contre la montre pour faire en sorte qu’elle soit protégée. Un certain nombre de collectionneurs sont prêts à débourser une fortune pour des espèces rares et en danger, et beaucoup de spécimens ont déjà disparu ou disparaîtront avant d’avoir pu être identifiés.
Trafic d’animaux. Le Viêt Nam est en effet un maillon important sur l’itinéraire du trafic illégal d’espèces sauvages, à l’échelle régionale et mondiale. En novembre 2016, l’ONG Wildlife Justice Commission a présenté les résultats d’une longue enquête dévoilant le rôle du petit village de Nhi Khe, situé au sud de Hanoi, dans un vaste trafic de produits issus d’animaux sauvages. À Nhi Khe, les enquêteurs infiltrés par l’ONG ont découvert des morceaux d’animaux issus de 907 éléphants, 579 rhinocéros et 225 tigres, ainsi que des animaux essentiellement venus d’Afrique (pangolins, ours, tortues...) et destinés au marché chinois. L’ivoire arrive au Viêt Nam sous la forme de petites défenses qui sont travaillées par les artisans vietnamiens. Les objets réalisés sont ensuite acheminés en Chine par contrebande. Les cornes de rhinocéros auxquelles une certaine médecine traditionnelle prête des vertus thérapeutiques sont également très recherchées. Sur le marché noir, le kilo de corne de rhinocéros atteint jusqu’à 50 000 euros, soit plus que l’or et sept fois plus que l’ivoire ! Selon le Fonds mondial pour la nature, « l’explosion de la demande au Viêt Nam est la principale raison de l’essor du commerce de cornes de rhinocéros » et ces huit dernières années, plus de 5 000 d’entre eux, soit le quart des effectifs mondiaux, ont été tués en Afrique du Sud.
Voir des animaux sauvages au Viêt Nam
Le nombre surprenant de nouvelles espèces découvertes au Viêt Nam depuis le début des années 1990 a attiré l’attention de la communauté internationale et incité le gouvernement vietnamien à adopter des mesures en faveur de la protection et de la conservation de la biodiversité. Le système de parcs nationaux et de zones protégées développé depuis les années 1960 a donc été renforcé et étendu. Il inclut dorénavant certains écosystèmes côtiers et maritimes. La découverte des parcs nationaux constitue une excellente opportunité d’approcher la richesse de la vie sauvage. Les structures d’accueil et l’organisation des visites demeurent néanmoins rudimentaires. On répertorie ici quelques-uns des parcs les plus accessibles et les plus intéressants pour l’observation de la faune sauvage. Au nord, à 120 km au sud-ouest de Hanoi, dans la province de Ninh Binh, le Parc national de Cuc Phuong abrite une forêt primaire et un centre de sauvetage des primates en voie de disparition (Endangered Primate Rescue Center : https://www.eprc.asia/). Le Parc national de Cat Ba, la plus grande des îles de la baie d’Along, est le refuge du langur (Trachypithecus poliocephalus) une espèce de singe en danger critique d’extinction. Ce n’est pas un parc national, mais le centre de secours des ours de Tam Dao (www.animalsasia.org), à 65 km au nord de Hanoi, permet d’approcher des ours rescapés des fermes d’élevage où ils étaient retenus en captivité dans des conditions déplorables pour permettre la ponction de la bile, utilisée pour ses prétendues vertus médicinales. Le centre offre un sanctuaire et une retraite aux plantigrades, désormais trop affaiblis pour pouvoir être relâchés dans la nature. Près de Da Nang, la Réserve naturelle de Son Tra, dans le cadre de programmes organisés par l’ONG GreenViet (en.greenviet.org), permet l’observation d’un singe magnifique et méconnu, en danger critique d’extinction, le Douc à pattes rousses (Pygathrix nemaeus). Dans les hauts plateaux, le Parc national d’Yok Don (province de Dak Lak) a mis en place un nouveau modèle touristique qui substitue l’observation aux balades à dos d’éléphant, très traumatisantes pour le pachyderme. Plus au sud, le Parc national de Cat Tien est l’un des plus importants du pays et l’un de ceux où l’hébergement et les activités sont les mieux organisés. Le Parc national de l’archipel de Con Dao organise des circuits écotouristiques permettant l’observation de la ponte des tortues de mer.