La musique traditionnelle et folklorique
Comme déclinée à l’infini, chaque région connaissant ses variantes propres, les musiques traditionnelles et folkloriques vietnamiennes sont impossibles à lister dans leur totalité. Cela dit, certaines se rencontrent plus fréquemment que d’autres. Reconnu par l’UNESCO comme Patrimoine culturel mondial, le ca trù est une tradition très séduisante. Ce « chant des courtisanes » originaire du Nord, très prisé au XVe siècle était joué lors des rites royaux ou religieux. Strictement codifié, il se présente toujours avec une chanteuse au centre de la scène frappant une planche de bois, accompagnée de joueurs de luth ou de tambours à ses côtés. Les mélodies sont toujours graciles et charmeuses. Un tour dans ce temple du Vieux Quartier de Hanoï sobrement nommé Ca trù en donne un excellent aperçu. Plus rythmée et impressionnante, la chầu văn est une musique spirituelle destinée à invoquer les esprits durant des cérémonies de possession. Cette musique de transe est interprétée à la vièle dan nhi ou au luth dan nguyet. Interdite jusqu’en 1986 par le gouvernement – comme d’autres formes d’expression religieuse –, elle a connu une renaissance entre les mains de musiciens comme Phạm Văn Tỵ. Autre chant listé par l’UNESCO comme Patrimoine immatériel : le quan họ. À l’instar des works-songs des esclaves noirs dans les champs de coton américain, les quan họ se chantaient a cappella, de manière souvent improvisée, durant des travaux pénibles. Ces chants de motivation sont populaires dans tout le pays et on les entend encore régulièrement dans des fêtes de village. Aux antipodes sur l’échelle sociale, le ca huê est originellement une musique de chambre aristocratique liée au divertissement. Généralement, il se compose d’une chanteuse accompagnée d’un ensemble de trois ou cinq instruments à cordes. Resté aristocratique jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le ca huê est aujourd’hui enseigné dans les conservatoires et les écoles de musique. Sur le même registre, mais plus grandiose, le nhã nhạc (« musique élégante ») regroupe les divers styles de musiques et danses royales exécutés à la cour vietnamienne du XVe à la première moitié du XXe siècle. Généralement joué par 9 à 14 instruments, il intervenait lors des anniversaires, fêtes religieuses, couronnements, funérailles ou réceptions officielles.
Après une période de censure – accusée par le régime politique actuel de symboliser le pouvoir royal – la musique traditionnelle effectue un retour remarqué. L’artiste vietnamienne installée en Californie Van-Anh Vanessa Vo est un excellent nom à retenir. Si ses compositions sont modernes, son utilisation des instruments et sonorités vietnamiennes demeure traditionnelle. Autrement, l’Académie nationale de Musique possède un Orchestre Traditionnel. S’il se produit peu (plutôt dans l’un des Opéras du pays), il est, avec l’Orchestre du Théâtre national du Viêt Nam, un des meilleurs interprètes du répertoire traditionnel et folklorique.
La musique populaire
Des années 1930 – période coloniale française – à l’issue de la guerre du Viêt Nam, un grand mouvement de musique populaire se développe au pays, inspiré de genres occidentaux. Interdite pendant la guerre du Viêt Nam (et censurée à peu près jusqu’à la Chute du Mur) au profit de la « musique rouge » (le nhạc đỏ - porteur des valeurs socialistes), car considérée « contre-révolutionnaire », la musique populaire vietnamienne a pourtant été très prolifique. Pour l’embrasser pleinement, trois grandes figures sont à connaître : Trinh Cong Son, Van Cao, et Pham Duy. Le premier est sans conteste le plus connu d’entre eux. Le « Bob Dylan vietnamien » a composé durant sa carrière plus de 700 chansons très colorées et profondément pacifistes. Sa musique fut interdite durant la guerre et lui, considéré comme un dissident. Un autre grand pionnier de la musique populaire vietnamienne est Van Cao. Auteur de l’hymne national, c’est lui qui pose les bases de la musique populaire vietnamienne durant la période d’avant-guerre (jusqu’en 54). Explorant la chanson d’amour et les thèmes épiques (les marches militaires), la quasi-totalité de sa musique fut interdite jusqu’en 1987. Pour compléter ce trio d’éminences, on se doit d’aborder Phạm Duy. Légende de la musique vietnamienne, il fit entrer celle-ci dans la modernité en étant un des instigateurs du tân nhạc (la « nouvelle musique »). En 70 ans de carrière, il est l’auteur d’un millier de compositions offrant un témoignage précieux sur le Viêt Nam du XXe siècle.
À l’issue de la guerre du Viêt Nam, en 1975, le régime communiste bannit la musique populaire pour son caractère « sentimental » (entendre : pas assez « patriotique »). Seule la « musique rouge » porteuse des « valeurs de l’État » est encouragée. Il faut vraiment attendre la moitié des années 1990 et la levée de l’embargo américain pour voir apparaître la « V-pop » (Vietnamese pop). Qualification plus que style (elle est très hétérogène), la V-pop s’adresse généralement à un public jeune et s’inspire de genres occidentaux. Un de ses premiers artistes phares est Lam Trường avec son tube à l’eau de rose Tình Thôi Xót Xa. S’alignant sur le marché mondial, les artistes de V-pop produisent aujourd’hui la même musique mainstream que partout ailleurs – EDM, pop, R&B et K-pop de Corée – adaptée à la culture vietnamienne. Ses vedettes actuelles sont des divas à la voix puissante comme Mỹ Linh et Thanh Lam, Mai Khôi (la « Lady Gaga vietnamienne »), My Tam dont les ballades sont devenues des classiques ou Son Tung M-TP, le « Justin Bieber local » dont le succès bat tous les records.
La musique classique
L’histoire de la musique classique au Viêt Nam est intimement liée à la présence coloniale française du temps de l’Indochine. L’architecture de certains édifices en est d’ailleurs le meilleur témoin : le Grand Opéra de Hanoï est un petit frère de l’Opéra Garnier, L’Opéra de Haiphong est truffé d’éléments eux aussi copiés sur Garnier et l’Opéra de Hô Chi Minh-Ville est grandement inspiré du Petit Palais. Construit en 1895, ce dernier est le plus ancien théâtre du pays. On peut y voir des représentations de l’Orchestre symphonique d’Hô Chi Minh-Ville interprétant les grands classiques occidentaux ou vietnamiens ainsi que des créations locales contemporaines. Plus prestigieux, l’Opéra de Hanoï est aussi le plus grand du pays (presque 900 places) ainsi que la résidence de l’Orchestre symphonique national du Viêt Nam. Dirigé par le japonais Tetsuji Honna, c’est sous sa baguette exigeante que l’OSVN a conquis une aura internationale. Très dynamique, il propose une grande variété de représentations avec un répertoire oscillant entre les incontournables habituels et des créations contemporaines et vietnamiennes (ou issues de la diaspora).
L’un des grands noms de l’Opéra de Hanoï fut Lê Dung. Grande soprano formée au Conservatoire Tchaïkovski, elle fit voyager avec elle la réputation lyrique du Viêt Nam. S’ils circulent peu, certains grands noms du classique vietnamien sont tout de même familiers ici. C’est le cas du compositeur Nguyen Van Quy, le « Beethoven vietnamien », de formation française (il fut l’élève d’Adolphe Borchard) et auteur de neuf sonates pour violon et piano. C’est aussi le cas de Nguyễn Thiên Đạo (1940-2015), un élève d’Olivier Messiaen qui pensait sa musique comme synthèse d’Orient et d’Occident. Derrière ces deux figures, une scène vivante continue à émerveiller le monde de la musique classique. C’est le cas de Dang Thai Son, pianiste virtuose dont la réputation explosa en 1980 lorsqu’il remporte le premier prix du Concours international de piano Chopin. Admiré pour le raffinement et la pureté de son jeu, il joue et a joué avec toutes les grandes formations (Philharmonique de Moscou, l’Orchestre national de Paris, le Philharmonique de Berlin…). Bui Cong Duy, plus grand violoniste du pays, a quant à lui remporté une médaille d’or au Concours international Tchaïkovski et collabore avec les ensembles ou lieux les plus prestigieux.
Le jazz et les musiques actuelles
Encore timorée, freinée par un gouvernement à la censure facile, la musique actuelle vietnamienne s’éveille doucement. Fer de lance de cette nouvelle scène : Huong Thanh. Depuis plus de vingt ans, la chanteuse propose des lectures modernes et novatrices des chants traditionnels où le jazz épouse le tân nhac (la fameuse « musique populaire »). Gracieuse et raffinée, son esthétique est de plus en plus prisée en France. Son album collaboratif avec Nguyen Lê, Fragile Beauty, y est sans doute pour beaucoup. Jazzman parisien d’origine vietnamienne, Nguyen Lê a consacré une grande partie de sa carrière à populariser les sonorités traditionnelles vietnamiennes en France et en Europe. Il en résulte des albums de jazz-rock souvent déroutants, comme Ha Noi Duo, sa récente collaboration avec Ngô Hông Quang, jeune artiste visionnaire et novateur de la musique traditionnelle. Mais il n’y a pas que la diaspora qui fournit des jazzmen intéressants. Les plus grandes stars de la scène jazz sont à l’intérieur des frontières vietnamiennes avec de superbes saxophonistes comme Quyền Văn Minh ou Trần Mạnh Tuấn, deux légendes dans le pays.
Avec une scène de musiques « indées » encore balbutiante, les nouvelles créations se divisent souvent entre hard rock (voire métal) et musique expérimentale (populaire auprès de musiciens formés au Conservatoire). La scène hip-hop, elle, est encore un peu tiède, mais s’épaissit à vue d’œil, quelques stars commençant même à éclore. Des artistes tels que Wowy, Suboi ou Kimmese transforment une niche en phénomène culturel à part entière. Un bel album à recommander vient de la diaspora avec ONRA et Chinoiseries, objet où se rencontrent pop vietnamienne des années 1960 et 1970 et hip-hop. Depuis que l’obligation de fermeture à minuit a été levée, la vie nocturne décolle au Viêt Nam. À Hanoï, désormais, on peut apprécier une électro ambitieuse au Savage, club accueillant autant de talents locaux que de grands noms internationaux. Hô Chi Minh-Ville est plus généreuse avec de très bons lieux comme The Lighthouse club en rooftop, à la programmation très pointue ou The Observatory, plus branché et design, mais bien pourvu en artistes de renom. Côté jazz, le Saxn’art Club à Hô Chi Minh est un des meilleurs clubs du pays. C’est l’occasion d’y voir Tran Manh Tuan et son orchestre sur scène, car… il en est le propriétaire !
Le théâtre et la danse
Comme dans toute la région, au Viêt Nam l’opéra chinois a eu une influence importante sur le théâtre. Un phénomène qui se ressent particulièrement dans le tuong. Ce théâtre classique de cour importé de Chine au XIVe siècle est très proche de son opéra dont il emprunte la gestuelle et l’aspect cérémonieux. Les intrigues sont le plus souvent historiques et les rôles marqués par un maquillage appuyé. Une des plus anciennes formes d’opéra vietnamien est sans doute le chèo (« chant comique »). Ce théâtre populaire apparu au Xe siècle conte des légendes autour du bien et du mal accompagné de mélodies d’origines paysannes. Comparé au tuồng et au chèo, le cải lương est resté populaire puisqu’il a incorporé beaucoup d’innovations et d’éléments modernes dès le début du XXe siècle (on y trouve parfois même des guitares électriques). Le múa rối nước ou « marionnettes sur eau » est la forme théâtrale la plus populaire du pays. Ce spectacle d’une grande beauté présente sur de la musique folklorique la vie paysanne avec des marionnettes imperméables dans un théâtre… d’eau (comme son nom l’indique). Un des meilleurs endroits pour en voir est le Théâtre Kim Dông à Hanoï. Côté danse, une excellente troupe à surveiller est Lune Production. Leurs spectacles, subtils mélanges de danse contemporaine, art visuel théâtral et musique traditionnelle inventent un langage unique qui raconte l’essence de la culture fascinante du Viêt Nam.