Découvrez le Viêt Nam : A l'écran (Cinéma / TV)

30 ans de guerre quasi ininterrompue expliquent en partie la production famélique de films au Viêt Nam par rapport aux pays avoisinants. Cette singularité est peut-être à mettre en lien avec une autre. Gardien de buffles, L’Odeur de la papaye verte, À la verticale de l’été, La Saison des goyaves, Quand viendra le mois d’octobre, Les coupeurs de bois, ces quelques titres de films vietnamiens font foi de l’inspiration qui longtemps a prévalu, comme rebelle à la modernisation. Le cinéma de ce pays encore majoritairement rural, attaché à ses traditions, imprégné de confucianisme, semble aujourd’hui arriver à maturité. Il s’ouvre aux films de genre, comme Furie (2019) tourné au sud du fleuve Mékong et dans les environs de Hô Chi Minh-Ville, où l’actrice Ngô Thanh Vân, déjà entr’aperçue dans un épisode de Star Wars, démontre ses aptitudes pour les arts martiaux, devenant à sa sortie le plus gros succès de l’histoire du cinéma vietnamien.

De guerre lasse

L’héroïne sacrificielle est l’un des archétypes du cinéma vietnamien dont on peut faire remonter l’origine au Kim Vân Kiều, qui est le grand classique de la littérature vietnamienne. Rien d’étonnant que le premier film dont on ait gardé la trace – pas de copie hélas – en soit une adaptation en 1924. « Le ciel bleu jaloux a coutume de s’acharner sur le destin des joues roses » dit ce long poème, description adéquate des calamités qui vont s’abattre sur le Viêt Nam. Invasion japonaise, puis guerre d’indépendance avec le pouvoir colonial français n’ont rien de propice au développement d’une industrie cinématographique. Bandes d’actualités, films de propagande bricolés dans l’urgence, La Victoire de Môc Hoa (1948) sur la débandade d’une opération française, constituent alors l’essentiel de cette production. Le réalisateur soviétique Roman Karmanen livre un documentaire d’un type bien particulier avec Viêt Nam, Sur la voie de la victoire (1954), qui est en fait une reconstitution de la bataille de Diên Biên Phu, confectionné pendant les rares moments de répit offerts par la guerre. Pierre Schoendoerffer, qui y a été fait prisonnier, tournera au Cambodge le premier de ses nombreux films qui sont consacrés au conflit, La 317e section (1965). Deux productions occidentales tournées à Saigon se distinguent dans le même temps, pour des raisons cinématographiques, mais aussi politiques : Mort en fraude (Marcel Camus, 1957), l’histoire d’un contrebandier qui prend parti pour la cause indépendantiste est l’un des rares films anticolonialistes de l’époque, ce qui lui vaut d’être censuré dans les territoires d’outre-mer alors même que les derniers soldats français n’ont pas encore quitté Saigon. Deux ans plus tard, Un Américain bien tranquille (Joseph L. Mankiewicz, 1958) déforme le roman d’espionnage original de Graham Greene pour servir un discours anti-communiste forgé par la CIA, qui préfigure la guerre du Viêt Nam. Au nord comme au sud, le cinéma de fiction, en parallèle du flot de documentaires guerriers qui exaltent les victoires vietminh, connaît ses premiers frémissements : Sur les rives opposées du même fleuve (Pham Ky Nam, 1959) pleure, à travers une histoire d’amour tragique, une impossible réunification après la division du pays en deux en 1954. Quelques années plus tard, l’une des premières grandes productions vietnamiennes, Le 17e Parallèle jour et nuit (Hải Ninh, 1972) creusera ce motif où amour et politique s’entremêlent inextricablement. Cette timide éclaircie, dont témoignent Le Petit Oiseau (Trần Vũ, 1962), La Jeune Femme de Bãi Sao (Phạm Kỳ Nam, 1963), ou Le Vent se lève, (Huy Thành, 1966) sera de courte durée, interrompue par le déploiement massif de l’armée américaine dans le sud du pays. Les motifs récurrents qui parcourront inlassablement le cinéma vietnamien sont en tout cas déjà bien constitués : stoïcisme et dévouement féminin, panorama bucolique de la vie rurale, traumatisme de la guerre. C’est donc la guerre du Viêt Nam, ce conflit dont le caractère cauchemardesque est abondamment relaté par le cinéma américain (Voyage au bout de l’enfer, Apocalypse Now, Full Metal Jacket, Platoon pour ne citer que les plus célèbres), mais où les forces vietminh font le plus souvent figure de menace invisible. De l’autre côté du miroir, un documentaire réalisé sous les bombardements américains aux alentours du village de Vinh Linh, Le 17e Parallèle, (Joris & Marceline Loridan Ivens, 1968) offre une autre perspective. « Ils ont tout détruit. Le riz était si beau. Les tanks ont tout détruit », entend-on de la bouche d’un des villageois dans cet impressionnant témoignage. Pendant ce temps, quelques films rencontrent un grand succès au Sud, mais sont irrémédiablement frappés de suspicion aux yeux de l’État réunifié de 1975.

Une longue transition

Au sortir de la guerre, la ligne radicale du régime communiste, une situation économique désastreuse et de nouveaux conflits frontaliers provoquent la fuite des boat people, catastrophe humanitaire relatée de façon poignante dans Boat People (1983) de la réalisatrice hongkongaise Ann Hui. Un véritable cinéma vietnamien connaît néanmoins ses premiers balbutiements, expression qui ne rend peut-être pas justice au brio formel de Quand viendra le 10e mois (1984), portrait douloureux et stoïque d’une jeune veuve. Mais c’est l’ouverture économique du pays, consacrée par le Doi moi, ou Renouveau, en 1986 qui marque enfin un tournant décisif. La Fille de la rivière (1987) de Dang Nhat Minh achève de faire de ce dernier la figure tutélaire de ce cinéma vietnamien naissant et réussit l’exploit d’être à la fois primé et interdit dans son propre pays. Censuré également, Troupe de cirque ambulant (1992) de la cinéaste Việt Linh, autre nom important, qui signera par la suite L’Immeuble (1999) et Il fut un temps (2002), conte crépusculaire sur un Viêt Nam en voie de disparition au début du XXe siècle. Chronique intimiste de la vie rurale, comme son titre l’indique, Nostalgie de la campagne (Dang Nhat Minh, 1995) offre un tableau qui contraste avec la satire grinçante des Coupeurs de bois (Vuong Duc, 1999). Coïncidence frappante et signe de l’ouverture du pays, deux réalisateurs français, Jean-Jacques Annaud et Régis Wargnier viennent au Viêt Nam tourner des films sortis en 1992 qui reviennent sur son passé colonial. L’Amant, adaptation du roman de Marguerite Duras, fait la part belle aux vestiges coloniaux de Saigon, qui a bien changé depuis, tandis qu’Indochine fresque romantique qui déroule presque trente ans d’histoire, capitalise à fond sur la splendeur de la baie d’Along semée de jonques, celle de la Cité impériale de Hué ou du delta du fleuve Rouge. Ces films présentent la vision capiteuse, fantasmatique d’un Viêt Nam suranné, non exempte, par la force des choses, d’une certaine forme de nostalgie coloniale. De manière un peu factice, c’est à des réalisateurs expatriés, qu’on appelle viet keus, que le Viêt Nam doit ses premiers feux sur la scène internationale. Ainsi, L’Odeur de la papaye verte (Tran Anh Hung, 1993), couvert de Prix, est intégralement tourné dans des studios de la région parisienne où une ruelle de Saigon des années 1950 a été reconstituée. Ce n’est que partie remise pour le réalisateur franco-vietnamien qui retourne dans son pays d’origine pour y tourner, d’abord à Saigon, Cyclo (1995), un polar urbain – quasiment une première, puis à Hanoi pour À la verticale de l’été (2000), une chronique familiale tout en sérénité, tous deux pareillement léchés. Trois saisons (Tony Buy, 1999) entrelace plusieurs histoires, dont celle d’un vétéran américain revenu à Saigon pour retrouver sa fille qu’il y a laissée. Coproduit par une société de production américaine – une première depuis la fin de la guerre, il amorce une réconciliation symbolique entre les deux pays. Cinéaste rare, venu comme Bui des États-Unis, Nghiem-Minh Nguyen-Vo signe l’un des films marquants de la décennie, Gardien de buffles (2004), une épopée pastorale à travers de splendides paysages aquatiques.

Des promesses profuses

La même année, Lê Hoàng lance avec Filles de bar une vague de films qui explorent avec une franchise inédite les zones d’ombres de la mégalopole saïgonnaise, indication que la censure se relâche. Cela signe aussi l’avènement d’un cinéma commercial, où le genre prospère enfin. Truc Charlie Nguyen s’en fait le spécialiste avec Le sang des héros (2006), fresque historique à grand spectacle ou Fool for Love (2010), tentative tout à fait honorable de comédie romantique qui montre une diaspora vietnamienne enfin disposée à retourner dans son propre pays pour y poursuivre ses rêves – ici devenir chanteuse à succès pour l’héroïne. Ngô Thanh Vân, revenue de Norvège, est une des incarnations de ce rêve dans la réalité et l’égérie de ce cinéma à vocation commerciale : comédie musicale (Saigon Love Story, Ringo Le, 2006), film d’action (Clash, Le Thanh Son, 2009), elle est avec Johnny Tri Nguyen, avec qui elle partage l’affiche à plusieurs reprises, la grande star vietnamienne de ces dernières années. Le très prolifique Victor Vu est un des principaux dispensateurs aujourd’hui de ce cinéma grand-public, alternant film épique à gros budget (Blood Letter, 2012), adaptation d’un succès de la littérature pour enfants (Yellow Flowers on the Green Grass, 2015), horreur et l’on en passe. Les films qui parviennent jusqu’à nos écrans sont d’un genre différent, généralement intimiste, et visuellement soigné, tels Vertiges (Bui Thac Chuyen, 2009), qui retrace l’éveil à la sexualité d’une jeune femme, Au fil de l’eau (Phan Quang Binh Nguyen, 2010) qui suit une famille vivant isolée sur un bateau parmi le labyrinthe de canaux du delta du Mékong, ou les films de Phan Dang Di comme Bi, n’aie pas peur ! (2010) sur une famille de Hanoi dont les liens se sont distendus, ou Mekong Stories (Phan Dang Di, 2015) sur les illusions brillantes de la jeunesse à l’orée du XXe siècle – et ses déceptions. Perdu au paradis (Ngoc Dang Vu, 2011) fait aussi tableau de Saigon, sa jeunesse déphasée et ses laissés-pour-compte à travers l’histoire d’un jeune homosexuel contraint de se prostituer pour survivre. Après une longue absence, Nghiem-Minh Nguyen-Vo a signé son retour avec un film de science-fiction minimaliste, 2030 (2014) qui imagine un Viêt Nam envahi par les eaux sur fond de crise climatique. La troisième épouse (Ash Mayfair, 2019) s’inscrit dans cette veine ultra-classique qui met à l’honneur la beauté de la nature environnante, laquelle tranche avec la violence des traditions patriarcales infligées à son héroïne. Superproductions (Kong : Skull Island, Jordan Vogt-Roberts, 2017), ou film plus modeste qui revient sur la guerre d’Indochine en s’inspirant de la rêverie hallucinée à la Apocalypse Now (Les Confins du monde, Guillaume Nicloux, 2018), à n’en pas douter, le Viêt Nam est en train de redevenir un havre pour les cinéastes étrangers comme pour les locaux.

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