Homogénéité ethnique
Située au carrefour de l’Orient et l’Occident et sur les axes des grandes invasions, l’Arménie n’occupe qu’une petite partie de son territoire historique, que les Arméniens ont dû partager avec des voisins dominateurs au fil des invasions, mais elle connaît une homogénéité ethnique sans précédent. Les Arméniens, peuple de langue indo-européenne dont les ancêtres venus dit-on de Thrace, se seraient mêlés au premier millénaire avant notre ère aux populations autochtones de l’Ourartou (de langue ni sémitique ni indo-européenne, comme les peuples actuels du Caucase, Géorgiens et autres Tchétchènes), pour les dominer finalement et les assimiler, constituent la majorité écrasante. Cette homogénéité extrême d’un peuple qui a failli être anéanti en 1915 résulte du lent processus de création d’États-nations au sud du Caucase. Un processus douloureux, en raison des inimitiés persistantes entre peuples de la région, et dont le dernier épisode est la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan autour du Haut-Karabagh arménien. Ce conflit renvoie l’écho des guerres arméno-tatares du début du XXe siècle, qui ont donné lieu à de vastes transferts de populations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, quand ces provinces de l’empire tsariste accédèrent à l’indépendance. Les Tatars (Turcs, Azéris ou Persans), qui représentaient près de 40 % de la population de la 1re République d’Arménie, quittent le pays, laissant la place aux Arméniens chassés d’Azerbaïdjan (notamment du Nakhitchevan) et d’Arménie occidentale en raison du génocide.
Soviétisation et effondrement de l’URSS
La soviétisation en 1921 figera la carte ethnique de la Transcaucasie, imbriquant les populations au nom de l’internationalisme, et divisant pour mieux régner. Il restera ainsi d’importantes poches de peuplement arménien en Azerbaïdjan, concentrées dans le Haut-Karabagh et dispersées à Bakou et ailleurs (en tout près de 500 000 personnes), ainsi qu’en Géorgie, qui comptait autant d’Arméniens, dont une forte concentration dans le Djavakhk, limitrophe de l’Arménie. L’effondrement de l’URSS réveillera les problèmes en latence. En réponse à la révolte du Karabagh, les Arméniens étaient chassés dès 1988, avec les pogromes dans la ville pétrolière de Soumgaït, du reste de l’Azerbaïdjan, tandis que les Azéris (7 % de la population) et les Kurdes musulmans fuyaient l’Arménie, puis les territoires sous contrôle arménien au Haut-Karabagh proprement dit et dans les 7 districts environnants, que les Arméniens victorieux de la première guerre (1989-1994) laisseront inhabités, dans l'espoir de les monnayer contre une paix durable. La guerre de l'automne 2020, déclarée et remportée par l'Azerbaïdjan, en décidera autrement : récupérant les 7 districts, mais aussi la ville emblématique de Shushi, ainsi que Hadrout au Haut-Karabagh, les autorités de l'Azerbaïdjan s'emploient à y reloger les réfugiés azéris qui en avaient été chassés lors de la première guerre, tandis que retournent au Haut-Karabagh (qui compte moins de 150 000 habitants, tous arméniens, depuis la défaite de 2020) sous protection de soldats de la paix russes, les milliers d'Arméniens qui s'étaient réfugiés en Arménie durant les combats.
En Arménie même, depuis 1991, seuls les Kurdes dits Yézidis n'ont pas été concernés par ces transferts de populations. Nombre de Russes et Ukrainiens ont quitté le pays pour des raisons économiques. Quant aux Assyro-Chaldéens (peuple catholique de rite oriental ou nestorien descendant des Babyloniens), Grecs orthodoxes et descendants de colons allemands, ils ne sont que quelques milliers.Inverser le déclin démographique
Présentée comme le foyer national d’un peuple dont la plus grande partie a été privée de patrie depuis la disparition de l’Arménie occidentale, l’Arménie indépendante avait vocation à attirer les Arméniens de la diaspora (environ 7 millions) que le Parti dachnak mobilisait dès 1991 avec son slogan tébi Yerguir ! (vers le pays). Mais dans un pays en proie à la guerre avec l’Azerbaïdjan et aux difficultés économiques, cet appel sera bien moins entendu que celui lancé dans les années 1940 par l’Arménie soviétique, qui attira 200 000 Arméniens de la diaspora, y compris des Franco-Arméniens, dont la plupart, déçus par le Nerkaght (littéralement « exode intérieur ») vers la « mère-patrie », retournèrent en France. Si elle accueille quelques téméraires patriotes, l’Arménie indépendante devient une terre d’émigration et se vide de ses habitants – y compris ceux qui avaient fui l’Azerbaïdjan – partis travailler en Russie, en Europe ou en Amérique. Les devises qu’ils envoient à leurs proches restés au pays sont un précieux appoint financier, mais le déclin démographique est alarmant. L’Arménie comptait 3,5 millions d’habitants en 1991, elle n’en compte que 2,9 millions en 2021, et ni la croissance naturelle ni l’accueil de 13 000 Arméniens de Syrie ayant fui la guerre, n’ont pu compenser les saignées que furent le séisme de 1988 (25 000 morts), la guerre contre l’Azerbaïdjan, et l’émigration. Inverser cette courbe a été érigé en une cause nationale dès 2017 par S. Sarkissian, son successeur N. Pachinian, affirmant y parvenir en créant les conditions propices à un retour massif des Arméniens de la diaspora dans une Arménie qui compterait alors 4 millions d’habitants en 2050. Des objectifs annoncés avant la défaite humiliante de 2020...
Yézidis
Constituant la seule minorité ethnique importante, quelque 60 000 Yézidis sont établis dans des villages autour de l’Arakadz. Parlant un idiome kurde, le kurmandji, ce peuple de pasteurs pratique une religion héritée des anciens Perses, dans sa version manichéenne, Mani étant ce prophète perse dont l’interprétation du conflit entre le principe du bien, Ahura Mazda, et du mal, Ahriman, connut un certain succès dans la région au début de notre ère. Mâtinés d’influences chrétiennes et islamiques, leurs croyances et rituels initiatiques leur ont valu le surnom désobligeant d’« adorateurs du diable ». Ils tiennent l’Arménie pour leur patrie d’adoption, les gorges de Lalsh-Avan, à Sinjar, au nord de l’Irak, où reposent leurs patriarches, étant le berceau de cette religion persécutée. L’Arménie en retour, se fait fort de protéger les Yézidis, dont les frères irakiens ont été massacrés par Daech en 2014, et se flatte d’abriter, à Aknalidj, près d’Erevan, le plus grand temple yézidi du monde, construit en 2019, où ils honorent leur dieu paon et les autres divinités de leur panthéon en toute tranquillité.
Malakans
Dans une communauté russe en déclin, les Malakans occupent une place à part. Ces Russes schismatiques ou Vieux-Croyants étaient présents avant l’arrivée des troupes tsaristes en Arménie, où ils étaient venus pratiquer leur « hérésie » à l’abri des foudres de Pierre le Grand. Leur secte, comme tant d’autres, prospéra au XVIIIe en Russie où elle fut sujette aux persécutions. Les Malakans ne se nourrissaient que de lait (malako en russe) et de produits laitiers, synonymes de pureté. Industrieux et taciturnes, reconnaissables à leur longue barbe, ils ont installé leurs isbas dans des villages du nord, comme Krasnosselsk ou Semionovka.