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La musique traditionnelle

L’Arménie cultive un répertoire folklorique musical riche et singulier depuis l’Antiquité. Parmi ses éléments les plus remarquables, on trouve les musiques accompagnant les danses de noces, les choror ou les trenguy aux sonorités plus légères. Citons aussi les horhovel, ces mélodies jouées par les paysans à la période des labours. La liturgie arménienne comporte un vaste répertoire de charagan, ces hymnes ou cantiques chantés dans les églises. Ces chants religieux anciens trouveraient leur origine dans les monodies préchrétiennes.

La pierre angulaire de la musique arménienne est Sayat Nova (1712-1795). Ce poète et trouvère, né à Sanahin, chantait ses poèmes en s’accompagnant de plusieurs instruments, dont le kamantcha (instrument à cordes, genre de violon oriental, appelé aussi pampir). Véritable point de rencontre entre cultures caucasiennes et orientales, ses chants sont considérés comme des hymnes à l’amitié entre les peuples de la région et glorifiés comme tels à l’époque soviétique. Aujourd’hui, en dépit de tous les désaccords opposant les différentes nations de la zone, ils tissent toujours ce lien qui transcende les haines ancestrales. Sayat-Nova est toujours chanté par les Arméniens, séduits par les accents, graves et mélancoliques, empreints d’une profonde nostalgie, de ses mélodies, que seuls certains artistes émérites se risquent à interpréter.

Bien entendu, il est impossible de parler de la musique arménienne sans évoquer le duduk, l’instrument national arménien, aussi emblématique du pays que la grenade. Cette petite flûte en rameau d’abricotier percé de neuf trous qui assurait à l’origine l’accompagnement musical des bergers solitaires est souvent jouée pour interpréter des mélodies graves, d’une poignante mélancolie, qui peuvent tirer des larmes du plus endurci des Arméniens. Rarement joué en solo, le duduk est l’occasion d’entendre cette spécificité purement arménienne qu’est la technique ancestrale du dam, consistant à maintenir la note tonique tout au long des morceaux. Si le grand maître du duduk est incontestablement Djivan Gasparian, quelques grands noms ont participé aussi à sa popularisation dans le monde, comme Levon Madoyan, Vatche Hovsepian, Gevorg Dabaghyan ou le Marseillais Levon Minassian.

Au fil des âges, la musique traditionnelle arménienne a trouvé de nouvelles formes entre les mains d’artistes comme Ara Gevorgyan qui la jouait au synthétiseur dans les années 1980, John Berberian, grand joueur d’oud qui la fusionnait au jazz et au rock dans les années 1960 ou encore Arto Tunçboyacıyan, fondateur de l'Armenian Navy Band qui expérimente autour des sonorités traditionnelles arméniennes.

En dépit de son nom hommage à un grand compositeur de musique savante du siècle dernier, la salle de concert Arno Babadjanian, à l’angle de la place de la République à Erevan, présente beaucoup de musique et danses traditionnelles ou folkloriques. Autrement, une bonne occasion d’en entendre est la Fête du Vin d’Areni qui célèbre le sang de la Terre avec de nombreux concerts.

La musique populaire

Quel genre est plus populaire aujourd’hui en Arménie que le rabiz ? Sorte de turbofolk à la sauce arménienne mélangeant mélodies orientales et productions électroniques, le rabiz est autant adoré que détesté. Les anti-rabiz sont même descendus dans la rue à Erevan, en août 1998, pour appeler les pouvoirs publics à défendre les vraies valeurs musicales arméniennes et à faire preuve de vigilance face à ce raz-de-marée orientalisant qui déferle sur les ondes, dans les postes de radio et à la télévision. Mais le rabiz a toujours de nombreux fans, inconditionnels d’une musique résolument orientale dont ils ne pensent pas avoir à rougir et sur laquelle ils dansent dans les salles des restaurants ou lors de leurs virées à la campagne. Toujours est-il qu’avec ses mélodies sirupeuses, amplifiées par la guitare électrique et les trémolos arabisants de ses stars, comme le chanteur Tata Simonyan adoré des Arméniens ou Tatoul Avoyan le père du genre, le rabiz n’adoucit pas vraiment les mœurs et continue à exercer un certain monopole sur les ondes, éclipsant les créations musicales arméniennes dans les autres domaines (jazz, rock, électro, etc.). Le genre est d’ailleurs si important aujourd’hui qu’il dépasse le cadre de la musique et décrit une mode vestimentaire, voire un mode de vie.

Aujourd’hui l’héritage rabiz est entre de bonnes mains, partagé par de nouvelles stars comme Hayko Ghevondyan qui le modernise, Super Sako qui mélange le genre au rap ou Sirusho qui l’emmène dans la pop mainstream.

Dans un autre genre, n’oublions pas de citer des artistes tels qu’Harout Pamboudjian, rabiz, mais pas trop ou Charles Aznavour qui font partie de ces Arméniens vedettes à l’étranger, tout autant adorés dans le pays.

La musique classique

La musique classique arménienne doit énormément au Révérend père Komitas (1869-1935). Compositeur, il a mis en musique des centaines de chants populaires collectés dans les provinces arméniennes et a popularisé la culture du pays à l’étranger, notamment à Berlin lors de ses études philosophiques et musicales. En 1915, Komitas est déporté comme tous les intellectuels et artistes arméniens. Marqué par les horreurs qu’il a vécues, sa raison vacille et il est hospitalisé en 1916, puis transféré en France où il mourut en 1935 dans le service des aliénés de Villejuif. En 1936, ses cendres sont rapatriées à Erevan, où il intègre le Panthéon national. Depuis, Komitas est considéré à juste titre comme le père fondateur de la musique arménienne moderne. En collectant le patrimoine musical national, ce compositeur parfaitement au fait des musiques occidentales s’essaiera à une sorte de synthèse entre les principes de la musique arménienne traditionnelle, résolument monodique, et ceux de la polyphonie et l’harmonie européennes. Il ouvrira la voie à de grands compositeurs et musiciens arméniens, dont les plus connus sont Aram Khatchatourian, Arno Babadjanian et Tigrane Mansourian.

Le premier est peut-être le compositeur arménien le plus célèbre. Immortalisé par sa Danse du Sabre composée pour le ballet Gayane, Khatchatourian s'est imposé comme l’un des compositeurs « officiels » de l'Union soviétique aux côtés de Shostakovitch et Prokofiev et fut même député au Soviet suprême. Une immense figure qui en cache une autre, Arno Babadjanian, l’autre compositeur arménien de la période soviétique, dont la virtuosité au piano ne fut pas sans rappeler celle de Rachmaninov. Dans le sillage d’Aram Khatchatourian et d’Arno Babadjanian, le compositeur Tigrane Mansourian est sans nul doute la figure majeure de la musique contemporaine arménienne. Né en 1939, ce dernier a puisé dans les traditions musicales arméniennes, populaires et religieuses pour composer une musique aux tonalités résolument contemporaines. Un Tigrane qui a ouvert la voie à un autre puisqu’un des derniers grands noms de la musique savante arménienne, le pianiste de jazz et classique contemporain mondialement célèbre Tigrane Hamassian, est un fils spirituel de Mansourian.

Parmi les autres noms à connaître du classique arménien, citons Iosif Andriasov (1933-2000) éminence grise de la discipline, Alexander Arutiunian (1920-2012) célèbre pour son Concerto pour trompette en la bémol majeur ou plus récemment Vache Sharafyan, au style contemporain et au succès mondial retentissant.

Côté voix, de nombreux Arméniens ont acquis une reconnaissance internationale : la soprano Gohar Gasparyan (1924-2007) était considérée comme le « Rossignol arménien », Lusine Zakaryan (1937-1992) reste associée à la musique médiévale spirituelle, Sona Ghazarian (soprano) a chanté pour les plus grands opéras d’Europe, Cathy Berberian (1925-1983) est restée célèbre pour « Stripsody », un chant d’onomatopées tiré de comics ou encore Gegham Grigoryan (1951-2016), grand ténor qui fut notamment un des chanteurs du Mariinsky.

Comme dans la plupart des pays d’ex-Union soviétique, l’Arménie ne manque pas de scènes pour diffuser du classique. Enfin, surtout à Erevan où l’on trouve bon nombre d’adresses de qualité comme la Salle de concert Aram Khatchatourian, lieu réputé au cœur de la capitale, dirigé par Edouard Toptchian, la Salle Komitas de Musique de Chambre, prestigieuse scène où l’on donne des soirées de musique d’orgue (instrument pour lequel Komitas a beaucoup composé) et des récitals de musique classique ou encore la Salle de Musique de Chambre d’État consacrée au style dont elle porte le nom. À noter que l’Opéra Spendiarian présente aussi un répertoire classique comprenant quelques piliers de l’art lyrique arménien.

Les musiques actuelles

Alors que les musiques dites folkloriques se mettent à l’heure de la mondialisation, on sent frémir une jeune scène arménienne prête à marier les mélodies traditionnelles aux rythmes modernes. Le percussionniste et chanteur arménien de Turquie, Arto Tunçboyaciyan, à la tête des onze musiciens de l’Armenian Navy Band, est l’un des initiateurs de ce courant mi-folk, mi-jazzy, qui intègre les rythmes arméniens à la World music, aux côtés de musiciens plus classiques, comme la chanteuse Tatévik (Hovannissian). Citons aussi Time Report, une formation fondée en 1997 et composée de six musiciens – dont Armen Hyusnunts au saxophone et Vardan Grigorian au duduk – parfaitement rodée aux festivals internationaux, qui est devenue une institution et une référence pour la scène contemporaine jazz en Arménie.

Prohibée sous l’ère soviétique, la culture rock séduit une – petite – partie de la jeunesse contestataire arménienne par son caractère subversif et une scène modeste se forme à Erevan durant les années 1970/80 autour de quelques figures comme Arthur Meschian ou des groupes tels que Bambir et son folk-rock progressif (dont les enfants des membres perpétuent aujourd’hui la musique en tant que « Bambir 2 »). Cela dit, le genre va connaître un vrai boom au début des années 2000, lorsque des Arméniens de Los Angeles, System of a Down, s’imposent sur la scène rock internationale, propulsant directement le pays à l’ère du Heavy Metal...

En se mettant à l’heure de la fête de la musique, le 21 juin, l’Arménie s’est ouverte davantage encore aux musiques électroniques et au rock. Les 26, 27 et 28 août 2011, Erevan accueillait ainsi son premier festival international de rock, le Yerevan Summer Music Festival. Depuis le genre s’est imposé sur les scènes du pays et on l’entend souvent résonner dans des lieux comme le Stop Club, un des rares clubs d’Erevan où un groupe différent se produit presque chaque soir. Envie de  folk ? Direction la scène du Calumet Ethnic Lounge, bar situé au cœur du quartier branché d’Erevan et QG des expatriés.

La danse

Avec un folklore aussi riche, l’Arménie compte sans surprise autant de danses que de régions. Un répertoire d’une étonnante variété, et un patrimoine national pieusement inventorié et restitué par les grands ensembles folkloriques de l’Arménie soviétique, qui avaient acquis une réputation internationale. Entraînantes ou langoureuses selon l’accompagnement musical et/ou chanté, les danses arméniennes sont toujours hautes en couleur et riches en prouesses physiques. Côté mise en scène, on trouve une extrême féminité chez les danseuses, dont les mains sont mises à forte contribution, dessinant dans les airs une gestuelle raffinée et codifiée, tandis que les danses masculines sont martiales, chaque danseur réalisant à tour de rôle un numéro devant ses compagnons qui relèvent le défi dans une surenchère de prouesses. Un spectacle impressionnant, immortalisé par La Danse du sabre d’Aram Khatchatourian. Hors de la scène du folklore ou de l’opéra, les Arméniens ne perdent pas une occasion de danser. Après un bon repas, quand les esprits sont échauffés par la vodka ou le cognac, on pousse les tables et on se lance sur la piste improvisée dans un kotchari (version locale du sirtaki) endiablé, une ronde où hommes et femmes évoluent en se tenant par l’épaule, tapant frénétiquement le sol de leurs pieds. Le kotchari incarne par excellence la danse arménienne, et a par ailleurs été inscrit sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO en 2017 (après la musique du duduk en 2008).