Texas Espagnol
Les missions étaient une arme de taille dans la politique d’évangélisation des colons espagnols. Aujourd’hui classées au Patrimoine Mondial de l’Unesco, les missions de San Antonio offrent de beaux exemples de cette architecture. La plus célèbre est bien sûr la Mission San Antonio de Valero, que vous connaissez mieux sous le nom de The Alamo Mission - Fort Alamo. S’inspirant des techniques de construction indiennes, les colons espagnols privilégient l’usage de l’adobe séché au soleil. Ce mélange d’argile, sable et boue s’avère d’une étonnante résistance, et possède des qualités thermorésistantes de bon aloi sur un territoire aussi aride. La brique brûlée et le calcaire sont également très présents dans les missions texanes. Pensées comme des forteresses, les missions sont protégées par des murs d’enceinte. L’ensemble, le plus souvent de plan rectangulaire, est toujours organisé autour d’une grande cour intérieure bordée par les bâtiments phares de la mission. Le convento est la résidence des prêtres, que l’on reconnaît à son plan en L et ses deux étages de pierre. L’église, elle, possède toujours d’imposants et épais murs, et se reconnaît à son ou ses campanario ou tour-clocher. Elle peut-être en pierre (calcaire le plus souvent) ou en adobe. De plan basilical (plan rectangulaire complété d’une abside polygonale ou semi-circulaire) ou en croix avec un transept surmonté ou non d’un dôme, l’église est imaginée comme une sorte de livre liturgique en 3D. Par l’ornementation des éléments structurels et des surfaces, les religieux espagnols veulent éduquer les populations autochtones. Et pour s’assurer de la réussite de cette mission, ils n’hésitent pas à faire dialoguer imagerie chrétienne et motifs et symboles issus des cultures indiennes autochtones. Ce syncrétisme se fait de façon d’autant plus naturelle que les colons espagnols avaient besoin de la main-d’œuvre locale pour édifier leurs bâtiments. La lumière y joue un rôle de premier plan, ses rayons animant ces représentations religieuses. L’entrée Ouest de l’église en pierre de la Mission Concepcion a d’ailleurs été pensée pour s’aligner sur la lumière du soleil couchant. D’une manière générale, le style des missions est calqué sur les styles à la mode en Espagne (Gothique, Renaissance, Baroque, Néoclassique) et sont réinterprétés en fonction de la disponibilité des matériaux. Bordant également la place centrale : des baraquements de un à deux étages pour accueillir les familles autochtones, des entrepôts de stockage, des ateliers et greniers, tous réalisés en adobe. Les missionnaires ont également mis en place d’ingénieux systèmes d’irrigation comprenant canaux, barrages, aqueducs, vannes et puits. L’histoire du Texas espagnol se lit également dans certains centres historiques, à l’image du San Agustin Laredo Historic District. Ce dernier a conservé son découpage en blocs carrés, sa Plaza centrale, et ses bâtiments alternant adobe et blocs de grès local taillés.
Carrefour d’influences
La très forte immigration allemande au XIXe siècle a donné à certaines parties du Texas une atmosphère « Vieux Continent ». Beaucoup de ces colons allemands étaient paysans, c’est donc tout naturellement qu’ils ont développé une architecture inspirée des fermes germaniques, notamment dans l’organisation des bâtiments autour d’une cour. Mais aux inspirations allemandes, ils ont mêlé des apports résolument américains. Ils se sont notamment inspirés de la Dog Run House, composée de deux cabines en bois à toit à pignons, reliées par un passage, et de la Saltbox House. Cette dernière est reconnaissable à son toit à deux versants dont la pente est plus longue à l’arrière, la façade arrière ne possédant qu’un étage, alors que la façade avant en possède deux. Au départ simplement en bois, ces maisons ont ensuite mêlé la pierre (grès, calcaire) et le bois, ou usé des techniques de clayonnages et torchis ou de colombages. A côté de cette architecture résidentielle, dont vous pouvez voir d’intéressants exemples à San Antonio ou dans le Comté de Médina, les Allemands ont également développé une architecture religieuse, dont la néogothique Marienkirche de Fredericksburg est la plus fière représentante. En parallèle, s’est développé le style Texas Vernacular. De plan rectangulaire avec des toits aux avancées en saillie, ces maisons étaient, à l’origine, simples et fonctionnelles, puis ont progressivement gagné en ampleur et en stature, se dotant notamment de grands porches flanquant des façades de pierre aux poutres et tasseaux de bois apparents.
Le Texas possède également quelques très beaux exemples de belles demeures aux façades rythmées de colonnades, frontons sculptés et autres détails décoratifs leur donnant des allures de temples. Cette mode Greek Revival et néoclassique rappelle les grandes demeures de plantation. A Houston, la Nichols-Rice-Cherry House et la Kellum Noble House en sont deux parfaits exemples. Imposer stature et puissance, tel est l’objectif des tout jeunes Etats-Unis d’Amérique ! Le plus impressionnant représentant de cette architecture du pouvoir est évidemment le Texas Capitol. Imaginé par Elijah E. Myers (seul architecte à avoir réalisé le Capitol de trois états !), l’édifice de style Renaissance italienne domine Austin de sa silhouette de granit rose haute de 92 m. 33 000 m2 au sol, 400 pièces, 900 fenêtres, un dôme monumental… tout n’est que démesure dans ce chef-d’œuvre que l’on doit voir de toute la ville. Dans les années 1980, l’état mit d’ailleurs en place les Texas Capitol View Corridors, délimitant un quadrilatère où les constructions de grande hauteur sont interdites ou fortement contraintes… certains gratte-ciel ont des fondations en diagonale ou des sommets très effilés pour ne pas obstruer la vue ! Le Texas montre aussi sa puissance à travers d’imposants bâtiments à vocations culturelles ou scientifiques aux accents résolument néo. Le Ashbel Smith Building de l’Université de Galveston, surnommé le « Old Red » du fait sa belle polychromie de grès et brique rouge, impressionne avec ses arcades néo-romanes. Autre superbe bâtiment de la ville : The Grand Opera House. Façade en pierres rouges, briques et terra-cotta, porte vitrée encadrée d’une arche sculptée romane, sols en marbre, murs en lambris de bois local… tout n’est que faste ! Cette fin de siècle est également marquée par le travail de l’architecte Henry C. Trost. S’il s’inspire souvent des missions et pueblos espagnols, Trost amorce également une élégante transition vers la modernité. Il est l’un des pionniers de l’utilisation du béton renforcé en acier, technique de construction qu’il utilise notamment dans la réalisation du tout premier gratte-ciel d’El Paso. De nombreux hôtels de la Big Bend Region portent sa marque.
Essor de la modernité
Le tournant du XXe siècle se fait résolument éclectique. Tourelles et lambrequins ciselés à la mode victorienne, simplicité du bois du style Craftsman, pittoresque rusticité des cottages, faste de stucs et de loggias aux accents méditerranéens… les nouvelles fortunes du pétrole ne reculent devant aucune fantaisie. A partir des années 1920, deux styles vont être privilégiés : le Spanish Revival et le style Ranch. Le premier se reconnaît à ses bâtiments en grès chaulés ou stuqués de blanc, aux toits couverts de tuiles d’argile rouge, et aux fenêtres protégées d’élégantes ferronneries. Inspirées des modestes habitations des travailleurs des exploitations agricoles, les maisons de style Ranch se caractérisent par un plan en L ou en U ; une importance donnée au rapport intérieur/extérieur via de grandes fenêtres et des portes coulissantes donnant sur des patios, jardins ou arrière-cours. Les années 1920 sont également des années de transformation urbaine. Le nouveau plan d’urbanisme de Dallas, baptisé Plan Hessler, prévoit notamment d’améliorer le système d’égouts et le réseau électrique, et de créer de larges boulevards ombragés bordés de beaux parcs inspirés de ceux de… Paris ! Théâtres et universités perpétuent également ces styles à l’Européenne, à l’image de l’impressionnante Armstrong Browning Library de l’Université de Waco avec sa superbe rotonde Renaissance italienne ; du Yucca Theater de Midland à l’architecture mêlant grès, marbre et fer dans une fantaisie orientalisante ; ou bien encore le Majestic Theater de San Antonio à l’auditorium peuplé de masques baroques et de sculptures gréco-romaines. Les gratte-ciel n’échappent pas à la règle, comme le prouve le Tower Life Building de San Antonio. Moderne dans ses structures en béton armé et acier renforcé, l’édifice déploie sa silhouette octogonale dans un élan résolument néogothique. Des fastes historicisants qui vont bientôt être balayés par l’Art déco. Le complexe du Dallas Fair Park en abrite l’une des plus grandes concentrations du pays. Construits à l’occasion de l’Exposition Internationale de 1936 par l’architecte George Dahl, ses bâtiments déploient toutes les potentialités du béton que l’on peut courber, déstructurer, graver, sculpter. Des éléments que l’on retrouve dans l’Administration Building de la Randolph Air Force Base de San Antonio, surnommé par certains le Taj Mahal du Texas du fait de sa blancheur immaculée. La tour octogonale de sa citerne à eau surplombée d’un dôme reposant sur des chevrons en mosaïque bleu et or est immanquable. Une sobriété très étudiée que l’on retrouve chez O’Neil Ford, surnommé « le Parrain de l’architecture moderne au Texas ». Faisant la transition entre l’aspect rustique et artisanal du style Arts and Crafts et la modernité du style International, il privilégie les formes fuselées et les matériaux naturels. C’est lui qui a réalisé l’étonnante Little-Chapel-in-the-woods, au cœur de l’Université de Denton. Cette dernière fait émerger de la végétation sa silhouette de pierres des champs grises et briques dont les courbes sont dues à la série d’arches paraboliques menant à l’autel. Dans les années 1950, le Texas accueille deux figures internationales de l’architecture moderne. Frank Lloyd Wright y réalise notamment le Kalita Humphreys Theater de Dallas, sobre structure de béton blanc abritant une scène circulaire dotée d’une innovante plateforme centrale rotative qui permet au public d’être au plus près de la scène. Le Museum of Fine Arts de Houston porte, lui, la marque de Ludwig Mies Van der Rohe. Ce dernier ajouta au bâtiment néoclassique originel un étonnant bâtiment au plan en éventail reconnaissable à son mur-rideau donnant sur les espaces d’exposition. Objectif : casser les codes de l’architecture muséale traditionnelle !
Texas contemporain
Dans les années 1960, le béton est roi et se fait le matériau phare d’un nouveau style : le brutalisme. L’Alley Theatre de Houston tout en courbes, avec ses terrasses ouvertes et ses cages d’escaliers en spirale en est l’exemple parfait. L’Astrodome de la ville est un autre chef-d’œuvre de béton avec son dôme de 216 m de diamètre et 63 m de haut supporté par un étonnant treillis métallique. A Fort Worth, impossible de manquer l’un des plus beaux musées de l’époque : le Kimbell Art Museum. Signée Louis I. Kahn, maître de la lumière et du béton, la silhouette du musée, tout en travertin, béton et chêne blanc, offre d’étonnants jeux de géométrie entre surfaces planes et voûtes en tonneaux. A Houston, la famille De Menil est à l’origine d’un lieu unique : la Rothko Chapel. Son plan octogonal et son intérieur tout de stucs gris et roses éclairé par un puits de lumière en font un étonnant lieu de méditation. Quelques années plus tard (1981), la famille De Menil fera appel à Renzo Piano pour réaliser le bâtiment de bois, d’acier et de verre abritant sa riche collection d’art. Il s’agit d’ailleurs de la première réalisation américaine du grand maître italien. Les années 1970, elles, vont être marquées par le style de Philip Johnson, qui fut l’un des disciples de Mies Van der Rohe. Les deux tours du Pennzoil Place, avec leurs sommets dont une partie inclinée semble avoir été coupée, leur plan trapézoïdal et leurs bases occupées de lobbies vitrés pensés comme des serres, valurent à leur créateur d’être le tout premier lauréat du Prix Pritzker, le Nobel d’architecture ! Les Fort Worth Garden de Houston, étonnant ensemble de piscines de béton ; la Thanks-Giving Square de Dallas avec sa chapelle en forme de spirale, et son grand anneau d’aluminium couvert de feuilles d’or ; le TC Energy Center de Houston avec ses trois tours en une aux pignons rappelant les maisons flamandes ; ou bien encore la Chapel of Saint Basil de l’University of St Thomas de Houston, étonnant cube surmonté d’une demi-sphère et divisé par un grand bloc rectangulaire… tous sont signés Philip Johnson. Les années 1980 portent la marque de Ieoh Ming Pei. C’est à lui que l’on doit, à Dallas, l’Hôtel de Ville, robuste pyramide inversée de béton s’inclinant à 34° ; et le Morton H. Meyerson Symphony Center, dont l’auditorium est inspiré de l’architecture « boîte à chaussure » (style fonctionnaliste caractérisé par une prédominance de lignes droites et de formes octogonales avec des rangées horizontales de fenêtres.) Parmi les célèbres gratte-ciel du maître citons notamment la Fountain Place de Dallas, grand prisme de verre. Si vous doutiez encore de la vitalité créatrice texane, alors lancez-vous à la découverte de ses plus récents musées et centres culturels. Le AT&T Performing Arts Center de Dallas abrite la Winspear Opera House aux espaces ouverts et aux murs de verre signés Norman Foster, et le Dee and Charles Wyly Theater à la façade de verre amovible signée Rem Koolhaas. Les superbes pavillons de verre du Modern Art Museum of Fort Worth, dont les élégantes structures de béton, acier, aluminium et granit se reflètent dans un apaisant bassin, sont l’œuvre de Tadao Ando. L’extension du Museum of Fine Arts de Houston tout en lumière et en calcaire a été réalisée par Rafael Moneo. Thom Mayne, lui, a réalisé le Perot Museum of Nature and Science de Dallas que l’on reconnaît à ses 656 panneaux de béton moulé donnant un aspect très texturé à cet ensemble flanqué d’un long tube de verre. Récompensé du Global Awards for Excellence, le Tobing Center for the Performing Arts à San Antonio opère un élégant dialogue avec le passé grâce à un voile métallique poreux et brillant qui se déploie sur tous les espaces. Autre merveille de la ville : la Ruby City de David Adjaye. L’architecte s’est inspiré d’un dessin tout droit sorti d’un rêve de l’artiste et collectionneuse Linda Pace (le musée abrite sa collection) pour imaginer cette composition anguleuse et texturée d’un rouge éclatant. Et bien d’autres étonnantes réalisations s’apprêtent à sortir de terre : Herzog & De Meuron ont un projet commercial et résidentiel tout en bois à Austin ; la célèbre agence BIG a dévoilé ses projets de maisons et hôtels imprimés en 3D, à Marfa notamment ; l’agence HKS a annoncé fin 2022 la construction de la Wilson Tower qui, avec ses 315 m, sera la plus haute tour résidentielle des USA en dehors de New-York… le Texas n’a pas fini de nous surprendre !