La musique traditionnelle
Véritable carrefour culturel, la Sicile a enregistré dans beaucoup de ses traditions musicales des influences arabes, espagnoles ou grecques. C’est particulièrement palpable dans des hymnes tels que les chants de charretiers qui, bien que le métier ait disparu, continuent d’être couramment chantés. C’est d’ailleurs loin d’être la seule chose que l’on chante sur l’île, car en Sicile… on chante tout le temps. Il suffit d’un rien de temps sur place pour s’en apercevoir, ici, quel que soit l’âge, tout le monde chante à tue-tête, fredonne, siffle et même parfois hurle, dans la rue, les restaurants ou sur les marchés. Depuis le Moyen Âge, ils sont le terreau des chants populaires traditionnels, parfois les plus complexes, et qui inspirèrent nombre de compositeurs : de Bellini, fils et gloire de Catane, à Luciano Berio qui répertoria dans ses œuvres les chants des pêcheurs et les cris des marchés de Sicile. Écoutez au petit matin avec quel art les poissonniers de Catane ou de Palerme tentent de vous vendre la plus modeste sardine ! Laissez-vous enivrer par leurs mélopées et, entre les volutes, vous pourrez distinguer des origines arabisantes... Autre air typique de l’île, La Siciliana figure parmi les plus emblématiques. Musique de danse apparaissant autour du XVIIe siècle, elle se caractérise par sa lenteur, ses rythmes pointillés et pourrait s’apparenter à une tarentelle. Pastorale, bucolique et sentimentale, on croise La Siciliana à plusieurs reprises dans l’œuvre d’Alessandro Scarlatti comme par exemple dans La Gloria di Primavera (1716).
Sans surprise, la Sicile utilise de nombreux instruments traditionnels comme la ciaramedda, un type de zampogna (famille des cornemuses italiennes), la friscaletto, petite flûte en canne de Provence très populaire, la marranzanu, une harpe à mâchoires, ou encore l’organetto, un accordéon populaire diatonique datant du XIXe siècle. Côté percussions, on trouve le cupa cupa, un tambour à friction au son unique.
Autre spécificité, la Sicile nourrit une passion pour les fanfares traditionnelles, appelées banda, partie intégrante du patrimoine de l’île. Chaque ville ou village en possède une, celles-ci accompagnant les processions lors des grandes fêtes religieuses. La plus célèbre d’entre elles est sans conteste Banda Ionica qui, bien qu’elle se concentre sur les musiques traditionnelles de Campanie, Calabre ou Sicile, n’hésite pas à y ajouter des touches de musique classique, d'opéra ou de jazz. Aujourd’hui des musiciens siciliens tels que Saro Tribastone font voyager les sons traditionnels de Sicile – et même du sud de l’Italie voire de la Méditerranée – en les mariant à la world music.
Une bonne occasion d’approcher les traditions musicales siciliennes est de se rendre au Festival International de Musique Sacrée. Plus qu’un simple rendez-vous musical, cette manifestation est aussi un événement symbole de la culture traditionnelle sicilienne conviant un programme de haut niveau avec de nombreux artistes locaux. Moins couru, le festival Sagro del Mandorlo in Fiore d’Agrigente offre également un beau panorama sur la discipline. Autrement, le Teatro Ditirammu de Palerme possède un espace dédié à la mémoire des chants et des traditions populaires.
La musique classique
Véritables fiertés locales, vous ne pouvez pas passer à côté des quelques monstres sacrés que la Sicile a enfantés, à commencer par Alessandro Scarlatti (1660-1725). Bien que Sicilien, c’est à Naples qu’il étudie la musique. Son premier opéra est un franc succès et lui ouvre les portes des salons romains, où il se met au service des nobles et des religieux de la Ville Éternelle. A partir de 1684, il partage sa vie entre Naples et Rome au gré des postes et des charges octroyées. Sa principale œuvre reste Il Trionfo dell’onore, d’abord jouée à Rome où elle fut applaudie, puis à Naples où elle fut reprise 18 fois ! Alessandro Scarlatti initia son fils Domenico (1685-1757) à la musique dès son plus jeune âge. Parallèlement à ses fonctions d’organiste à Naples, celui-ci compose des musiques religieuses et des opéras. Après un bref passage par Venise, où il rencontre Haendel et Gasparini qui influenceront son art, il redouble d’activité à Rome, mais en 1720 il entre au service du roi du Portugal à Lisbonne comme maître de la chapelle de la cour. En 1729, il officie à la cour d’Espagne à Madrid, où il a suivi l’infante Maria Barbara. Son œuvre est constituée de quantité de sonates et de quelques opéras écrits à ses débuts.
Autre gloire des Siciliens en matière de musique : Vincenzo Bellini (1801-1835). C’est l’un des plus importants compositeurs d’opéras italiens. Fils d’un modeste organiste sicilien, il fait ses études au Conservatoire royal de Naples. Très connu en Italie, il part à Londres, puis à Paris, où il devient l’ami de Chopin, Cherubini et Liszt. Ses opéras les plus connus et immortalisés par la Callas sont La Somnambule, Norma (1831) et Les Puritains (1835). Enfin, il faut savoir que c’est en Italie, et pour un moment en Sicile, que Richard Wagner (1813-1883) a cherché refuge loin de l’Allemagne qu’il finissait par exécrer, et ce, avant de mourir à Venise. Il acheva à Palerme (à l’Hôtel des Palmes) son testament et chef- d’œuvre Parsifal, monument insurpassable de l’histoire de la musique qui ouvrit à la modernité de Debussy. En errant dans les rues de la ville, au milieu des palais délabrés, éventrés, et en particulier à la tombée de la nuit, vous comprendrez mieux pourquoi l’orchestration prit des teintes si funèbres et crépusculaires. Moins célèbre, la Sicile est également la terre natale d’Errico Petrella (1813-1877), compositeur d'opéras le plus en vogue du milieu du XIXe siècle, jusqu’à Verdi.
Plus contemporains, Roberto Carnevale - compositeur, pianiste et chef d’orchestre italien très influencé par le sérialisme et le minimalisme – et le très bon violoncelliste Giovanni Sollima – qui n’hésite pas à s’aventurer aussi dans le jazz et le rock – sont des enfants de Sicile. Tout comme les Palermitains Salvatore Di Vittorio - compositeur et chef d’orchestre, directeur musical du Chamber Orchestra of New York – et Salvatore Sciarrino - un des compositeurs actuels les plus joués (si ce n’est le plus joué) dans le monde – qui figurent parmi les musiciens les plus en vue actuellement.
À noter également que l’île possède un ensemble philharmonique dynamique - l’Orchestre Symphonique Sicilien – qui, au travers des âges, a été dirigé par de nombreux chefs invités prestigieux : Stravinski, Chailly, Muti, Milhaud, Penderecki et même Ennio Morricone. Son chef actuel, le Biélorusse Evgeny R. Bushkov, est régulièrement couvert de louanges pour ses prestations. L’orchestre se produit au Teatro Politeama Garibaldi, un des plus beaux théâtres de Palerme. Construit en 1859, reconnaissable à sa forme ronde et à son architecture néoclassique, le bâtiment vaut le déplacement pour lui-même. À l’année, le lieu reçoit les artistes parmi les plus prestigieux. Autre scène importante de la ville, le Teatro Massimo est le troisième plus important d’Europe (en termes de superficie) après l’Opéra Garnier de Paris et celui de Vienne. Majestueux de par son architecture sicilienne antique incorporant des éléments des temples grecs, ses dimensions lui permettent de recevoir 1 880 personnes. Désormais sous la direction du chef israélien Omer Meir Wellber – aussi directeur du prestigieux BBC Philharmonic -, le Teatro Massimo devrait rapidement retrouver une dimension internationale grâce à ses partis pris créatifs et modernes. Citons également le Teatro Bellini de Catane qui accueille la plupart des opéras et des concerts de la ville. Un lieu réputé de l’art lyrique. Aussi, tous les mois de juillet et août, la ville de Noto organise NotoMusica, une série de concerts classiques, souvent bons, dans le cloître San Domenico. Un festival qui dure depuis plus de 40 ans.
La musique populaire
La Sicile a porté au travers des générations quelques grandes voix qui ont fait voyager les airs et traditions de l’île avec elles. Parmi elles, l’artiste la plus emblématique est sans le moindre doute Rosa Balistreri (1927-1990). Sa voix rauque, chargée de mélancolie, et sa personnalité bien trempée l’ont portée au rang d’icône du XXe siècle. Tout au long de sa carrière, la « Cantatrice du Sud » n’a eu de cesse de chanter les splendeurs et mystères de son île. Une carrière qui doit d’ailleurs beaucoup à l’écrivain et dramaturge Dario Fo qui la propulse en la faisant jouer dans ses spectacles. C’est également le cas de Ciccio Busacca, autre grand nom de la chanson sicilienne qui a beaucoup écrit pour les spectacles du prix Nobel. Parmi les autres musiciens populaires imprégnés par leur île, on trouve Franco Trincale, qui a installé ses chansons dans la tradition des conteurs siciliens, la Taberna Mylaensis, groupe des années 1970 dont les compositions étaient pétries de traditions et histoires siciliennes, Etta Scollo, célèbre pour son mélange de traditions locales, pop et jazz, Alfio Antico, grand joueur de tambours sur cadre et héritier du répertoire populaire de la Sicile, ou encore Oriana Civile, spécialiste de la musique traditionnelle de l’île et actrice importante de sa renaissance. Aujourd’hui Mario Incudine, Franco Battiato, Carmen Consoli ou Fratelli Mancuso sont parmi les musiciens les plus populaires de Sicile. Tous chantent (ou ont chanté) en langues siciliennes et cherchent à emmener les traditions et couleurs siciliennes vers d’autres genres et d’autres terres (souvent le rock ou la pop).
Jazz
Fait largement méconnu, la Sicile a participé à dessiner le son de la Nouvelle-Orléans. Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, la ville américaine connaît une vague migratoire importante en provenance de Sicile : la capitale de l’île, Palerme, ayant établi un commerce de coton et d’agrumes avec la Nouvelle-Orléans. En conséquence, une ligne maritime reliait les deux villes portuaires, ce qui a permis à de nombreux Siciliens de migrer vers la Nouvelle-Orléans (entre autres). Voilà comment une grande partie du jazz de la Nouvelle-Orléans a été modelée à partir de la musique sicilienne. L’exemple le plus célèbre est incarné par l’Original Dixieland Jass Band, fondé par le cornettiste Nick LaRocca et le batteur Tony Sbarbaro, tous deux fils d’immigrés siciliens, qui ont introduit les couleurs de l’île dans le jazz de la ville.
Aujourd’hui, la Sicile jouit d’une scène de jazz dynamique portée par des noms tels qu’Enzo Rao et son groupe Shamal, qui ont ajouté des influences siciliennes et orientales au jazz américain, le grand pianiste Salvatore Bonafede ou encore le jeune saxophoniste Nicola Caminiti.
Île amoureuse de jazz, la Sicile abrite évidemment un rendez-vous dédié de renom : le Catania Jazz Festival. Depuis sa création en 1983, il a accueilli les pontes du genre : Sun Ra Arkestra, McCoy Tyner, Ornette Coleman, Dizzy Gillespie, Wayne Shorter, Dee Dee Bridgewater ou encore Jaco Pastorius. Autrement, à Messine, le bar Picnic en programme régulièrement. Rien d’étonnant : le patron est lui-même un jazzman !